Selon un pli diplomatique publié par WikiLeaks, le roi Hamad a critiqué la "technologie dépassée" des avions de combat français. "Du cirage de pompe" pour complaire aux Américains, analyse le rédacteur en chef de la revue spécialisée DSI.
Décidément, WikiLeaks appuie là où ça fait mal. Après avoir semé l’embarras dans toutes les chancelleries du monde, les révélations du site relancent en France le débat autour du Rafale, l’avion de combat construit par Dassault, et dont les difficultés d’exportation sont devenues légendaires.
Parmi les quelque 250 000 télégrammes diplomatiques dévoilés par WikiLeaks figure la transcription d’une discussion entre le roi Hamad de Bahreïn et le général américain Petraeus au sujet de l’avion français.
"Il a dit que la France essayait de pousser le Rafale et serait présente en force (à un salon aéronautique au Bahreïn en janvier 2010), bien qu'il partage l'avis de Petraeus selon lequel l'avion de combat français est doté d'une technologie d'hier", indique le pli, rédigé par l'ambassade américaine à Manama, et dévoilé ce mercredi par Le Monde.
Démenti gêné du Royaume : "Les mots attribués au roi Hamad sur le Rafale sont inexacts et hors de propos", a affirmé, à peine quelques heures après la publication du câble, le porte-parole du ministère bahreïni des Affaires étrangères via l’agence officielle Bna.
Dassault Aviation fait peu de cas de ces fuites. Pour l’industriel, ce télégramme diplomatique démontre seulement la préoccupation des États-Unis face aux qualités technologiques offertes par l’avion de combat français. "Le Rafale est le seul avion au monde omnirole, c'est-à-dire capable de remplir tout type de mission durant un même vol. Il est normal que les Américains s’inquiètent de nous, nous sommes leur principal concurrent", a fait savoir le constructeur.
Une perte d'influence française
"Tout est une question politique", analyse Joseph Henrotin, chercheur en science politique et rédacteur en chef de la revue DSI (Défense et sécurité internationale) spécialisée dans les questions d’armement et de géostratégie. "La vente d’armement n’est pas uniquement une histoire d’acquisition de matériel, mais aussi – et surtout – une forme de protection politique inhérente à l’achat d’armes de ce type. En sociologie des technologies de défense, on estime que le matériel compte pour seulement 30% dans le choix d'un avion".
Pour le chercheur, les difficultés de Dassault Aviation à exporter son avion de combat n’est que la conséquence de la perte d’influence de la France sur la scène internationale. "Les plus forts politiquement remportent la mise, estime-t-il. La France et les pays européens sont en perte de puissance, militairement et politiquement".
L’année dernière, les États-Unis ont battu leurs records de vente d’armement à l’étranger. "C’est clairement la preuve qu’ils ne sont pas en perte de puissance dans le monde", poursuit le chercheur. Les propos tenus par le roi de Bahreïn – allié des États-Unis – et révélés par WikiLeaks en sont, selon lui, l’illustration. Face au général Petraeus, en charge du commandement régional au Moyen-Orient et dans la Corne de l’Afrique, il s’agissait d’une forme d’amabilité politique. "Grosso modo, c’était du cirage de pompe", résume Joseph Henriton.
Échecs à répétition
Toujours est-il que cette nouvelle révélation rappelle au bon souvenir des Français la saga des multiples ventes ratées du Rafale. Car jamais l’avion de combat, présenté comme un petit bijou de technologie capable au cours d’un même vol de faire de l’observation, d’attaquer des cibles au sol et dans les airs, n’a été exporté dans un pays étranger.
En dix ans, le Rafale a perdu cinq appels d’offre majeurs face au F-16 de l’Américain Boeing, au Gripen du Suédois Saab et à l’Eurofighter Typhoon britannique. Et l’avenir ne s’annonce pas plus radieux pour l’industriel : seuls deux marchés se profilent : l’Inde et le Koweit. Mais la bataille s’annonce rude.