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Entre l’attentat de 2002, le financement illégal de la campagne présidentielle d'Édouard Balladur en 1995 et la création d'une société offshore au Luxembourg, les méandres de l'affaire Karachi sont complexes. France 24 fait le point sur l'enquête.

Que sait-on vraiment de cette obscure affaire Karachi ? L'attentat qui a fait 15 morts, dont 11 Français, en 2002, au Pakistan, fait l'objet de deux enquêtes conduites par deux juges d'instruction. L'une est instruite depuis 2002 par le pôle antiterroriste, Marc Trévidic ayant pris le relais de Jean-Louis Bruguière en 2007.

L'autre a été ouverte cette année par le pôle financier après une plainte des familles des victimes. Elle a été confiée au juge Renaud Van Ruymbeke, qui est chargé d'enquêter sur l'éventuel versement de rétrocommissions (retour en France de certains fonds versés à des intermédiaires) dans le cadre du contrat portant sur la vente, par Paris, de sous-marins au Pakistan.

L’enquête devra déterminer si l'attentat de Karachi est lié ou non à l'arrêt, en 1996, du versement de certaines commissions décidées sous le gouvernement Balladur par Jacques Chirac, fraîchement élu à la présidence de la République. Elle devra par ailleurs déterminer le rôle de Nicolas Sarkozy - porte-parole de la campagne d'Édouard Balladur pour la présidentielle de 1995 - dans cette affaire, et dire si les services secrets pakistanais ont commandité l’attaque.

Ce qui semble se confirmer…

  • L’existence de rétrocommissions

Le juge Marc Trédivic est le premier à avoir évoqué cette piste, qu’il a confirmée au mois de juin 2010. Depuis, des protagonistes de l'affaire lui donnent du poids. Le 15 novembre, Charles Millon, ancien ministre de la Défense de Jacques Chirac, a dit avoir "l’intime conviction" que des rétrocommissions issues de la vente des sous-marins Agosta au Pakistan ont été versées jusqu'en 1995. Il confie également que Jacques Chirac lui a demandé d'y mettre fin.

Un témoin-clé de l'affaire, Michel Mazens, haut fonctionnaire chargé de négocier les marchés d'armement à l'époque des faits, et Dominique de Villepin, qui était lui secrétaire général de l'Élysée, partagent cette vision des choses. Au mois de novembre, l'ancien Premier ministre a notamment confié avoir de "très forts soupçons" de corruption de certains décideurs français en marge du contrat d'armement. Il s'est toutefois rétracté en partie quelques jours après avoir tenu ces propos, y apportant cette nuance : Il n'y a "pas de preuve formelle".

Ce qui n’est que soupçons …

  • Le lien entre la fin du versement des commissions et l’attentat

Pour l’heure, rien ne prouve un quelconque lien de cause à effet entre les deux volets de l’affaire. En 2008, un rapport réalisé en 2002, intitulé "Nautilus", a été rendu public. Il juge sans preuves la thèse selon laquelle l'attentat de Karachi serait une vengeance des individus qui n'auraient pas touché leurs commissions après que Jacques Chirac a ordonné d'en cesser le versement.

Michel Mazens, lui, estime ne pas être en mesure de le confirmer. "L'attentat s'est déroulé longtemps après cet épisode [la fin du versement des commissions, NDLR]. À mon sens, il n'y a pas de lien entre les deux. Je n'ai jamais reçu la moindre information qui m'aurait permis de le penser", a-t-il déclaré dans "Libération", le 22 novembre.

Toujours selon le quotidien français, un flux d’argent aurait continué à alimenter de manière officieuse les comptes de deux intermédiaires jusqu’en 2001, soit quelques mois seulement avant l’attentat.

  • Le financement illégal de la campagne d'Édouard Balladur

Une somme de 10 millions de francs (1,5 million d'euros) a été versée le 26 avril 1995 sur le compte bancaire de l'Association pour le financement de la campagne d’Édouard Balladur, à Paris. Celui-ci dément tout financement illégal, s'abritant derrière le fait que ses comptes de campagne ont, à l'époque, été validés par le Conseil Constitutionnel.

Les juges Tredivic et Van Ruymbeke demandent à consulter les archives des délibérations des Sages, mais leur président, Jean-Louis Debré, refuse de donner suite à leur requête au motif qu’elles sont couvertes par le secret pendant 25 ans.

  • Le rôle de Nicolas Sakozy dans l'affaire

L'actuel chef de l'État est-il impliqué dans la vente des sous-marins français au Pakistan ? Pour l'heure, aucun élément ne permet de l’affirmer. Son nom apparaît toutefois à plusieurs reprises dans des rapports d’enquête de la police luxembourgeoise. Selon ces documents, le président français, qui était ministre du Budget dans le gouvernement Balladur, aurait donné son aval à la création d'une société off-shore, baptisée Heine, en 1994. Heine servait à payer les dirigeants étrangers qui passaient commande auprès de la DCN. Les rétrocommissions qui semblent avoir été versées dans le cadre du contrat auraient également transité par ses comptes. À l'époque, Nicolas Sarkozy était porte-parole de la campagne d’Édouard Balladur.

Dans le but de montrer patte blanche, le président, qui parle de "fable", affirme que "l’État aidera la justice en communiquant tous les documents [nécessaires à l'enquête] en temps et en heure".

  • L’implication des services secrets pakistanais dans l’attentat

Première piste creusée à la suite de l’attaque, elle n’est toujours pas complètement écartée. Trois islamistes condamnés à mort au Pakistan en première instance, en 2003, ont été acquittés au printemps 2009, la justice ayant admis que la procédure était fondée sur un témoignage fabriqué.

Selon les notes des services secrets français de la DGSE communiquées en 2009 aux enquêteurs, un quatrième homme pourrait être impliqué dans l’attentat : l’influent chef islamiste Amjad Farooqi, qui en a été désigné comme le cerveau présumé. Lié aux services secrets pakistanais, il a été tué en 2004.