Alors que les deux candidats à l'élection présidentielle, Alpha Condé et Cellou Diallo, ont chacun revendiqué la victoire, des incidents ont éclaté dans plusieurs quartiers de Conakry. Le tout alors que le vainqueur du scrutin sera connu ce soir.
Leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Cellou Dalein Diallo, issu de l'ethnie peule, est arrivé en tête du premier tour, le 27 juin, recueillant 43,62 % des suffrages. Premier ministre de décembre 2004 à avril 2006, il fut, pendant de longues années, un cacique du Parti de l’unité et du progrès (PUP) de l'ancien président Lansana Conté, avant de rejoindre l’opposition. Considéré comme l’un des principaux opposants à l'ex-chef de la junte Moussa Dadis Camara, il fut grièvement blessé lors du massacre du 28 septembre 2009 à Conakry, dans lequel plus de 150 personnes ont trouvé la mort.
La confusion et l’inquiétude règnent ce lundi en Guinée. Le pays attend le verdict de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), qui doit proclamer, ce lundi soir, les résultats du second tour de l’élection présidentielle du 7 novembre dernier. Une annonce officielle que n’a pas attendue Alpha Condé, candidat du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), pour donner une conférence ce presse dans la matinée afin de revendiquer la victoire.
Aussitôt après, des heurts ont éclaté dans certains quartiers de Conakry, la capitale, entre forces de l'ordre et partisans du candidat Cellou Dalein Diallo - qui était arrivé en tête du premier tour, et qui a, lui aussi, annoncé être le "vainqueur" du second tour, se basant sur des résultats "purgés" des fraudes. La police indique que le bilan provisoire de ces affrontements s’établit à au moins deux morts et des dizaines de blessés.
Heurts à Bambeto, dans la banlieue de Conakry
Ces incidents ont lieu malgré la présence de l’armée, qui quadrille la capitale, et l’interdiction des manifestations. "Plus les résultats se font attendre, plus la tension monte dans certains quartiers de la capitale", rapporte d'ailleurs l’envoyée spéciale de FRANCE 24 en Guinée, Pauline Simonet.
"On n’acceptera pas les résultats qu'ils vont proclamer parce qu'ils les ont maquillés", a lancé un jeune Guinéen à l'adresse des envoyés spéciaux de FRANCE 24 en Guinée. En compagnie d’autres militants pro-Diallo, il a affronté - à coup de jets de pierre - pendant plusieurs heures les forces de l’ordre à Bambeto, dans la banlieue de Conakry.
Après s’être rapidement rendu sur les lieux, le gouverneur de Conakry a mis en garde les fauteurs de troubles : "Ceux qui ont donné l'argent la nuit pour faire sortir les enfants (…) seront arrêtés et traduits devant la justice. Ils devront répondre de leurs actes devant la justice."
it"Il y a un risque que l’armée revienne au pouvoir"
"La situation est d’autant plus difficile qu’au premier tour Cellou Dalein Diallo avait recueilli 44 % des voix et Alpha Condé 18 %. On pensait donc que Diallo n’aurait aucun problème à l’emporter", rappelle, sur le plateau FRANCE 24, Antoine Glaser, ancien directeur de "La Lettre du continent", qui craint que le pays ne connaisse une nouvelle période de troubles malgré "l'avancée formidable qu’a été la tenue de cette première élection démocratique". "Si les deux leaders ne s’entendent pas et si l’un d’eux ne reconnaît pas sa défaite, il y a un risque que l’armée revienne au pouvoir", prévient-il.
Candidat du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), Alpha Condé, qui appartient à l'ethnie malinké, est arrivé en deuxième position au premier tour de scrutin, avec 18,25 % des voix. Opposant historique des deux premiers chefs de l'État guinéen, Sékou Touré (1958-1984) et Lansana Conté (1984-2008), il a déjà participé à deux présidentielles, en 1993 et en 1998. Longtemps exilé en France, incarcéré au lendemain de la présidentielle de 1998, il a été condamné en 2000 à cinq ans de prison pour "atteintes à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national", avant d’être gracié en 2001.
Dimanche, des dizaines de partisans de Diallo ont protesté devant le siège de son parti et ont accusé les autorités de faire pression sur la Céni pour qu'elle penche en faveur de Condé.
Les militants pro-Diallo reprochent en outre à leurs adversaires de s’être ligués contre leur candidat du fait de son origine ethnique. Issu de la communauté peule, l'ancien Premier ministre pourrait en effet devenir le premier président guinéen issu de cette ethnie. "Les peuls sont les grands commerçants du pays, ils sont majoritaires en Guinée mais ils n’ont jamais été au pouvoir, explique Antoine Glaser. Ils considèrent que c’est leur tour."
Ce spécialiste de l’Afrique francophone redoute que le pays ne connaisse un nouveau repli identitaire et ethnique, les partisans de Diallo ayant le sentiment d’être victimes d’une campagne "tout sauf les Peuls".
Les Guinéens ont l’opportunité de porter au pouvoir un civil après 52 ans de régimes dictatoriaux ou autoritaires.