Pour la première fois depuis 1990, des patrons français vont rallier la capitale irakienne grâce à un vol direct en provenance de Paris. Destination : la Foire internationale de Bagdad, afin de se positionner dans un pays en pleine reconstruction.
En Irak, la France a de l'ambition. Et elle l'affiche : pour la deuxième année consécutive, celle-ci sera l'un des cinq pays les plus largement représentés - sur 25 - à la Foire internationale de Bagdad qui s'ouvre lundi prochain. Une quarantaine d'entreprises seront du voyage. Parmi elles, des poids lourds de l'industrie hexagonale comme Alstom, Lafarge, Schneider Electric, Peugeot ou Sanofi-Aventis, mais aussi des petites et moyennes entreprises (PME).
Le groupe Lassarat, une entreprise de peinture industrielle, a par exemple décidé d'aller tâter le terrain. La société a déjà travaillé en Irak. C'était avant la première guerre du Golfe. "Une partie de nos clients sont des sociétés pétrolières, explique Olivier Lassarat, le PDG. Il y a beaucoup de projets de reconstructions en Irak. Nous allons à Bagdad pour nous rendre compte du potentiel et des conditions de sécurité, sans savoir pour l'instant si nous donneront suite."
La société Riou Glass, elle aussi, considère cette participation à la foire comme une première approche. L'une de ses filiales fabrique des vitres de haute sécurité. "À priori, il y a tout à faire en Irak, explique Sébastien Joly, responsable marketing de l'entreprise. Nous allons profiter de ce séjour pour mieux identifier les besoins des acteurs locaux et, peut-être, trouver un agent ou un distributeur local."
Vol direct Paris-Bagdad
À l'occasion de la Foire internationale de Bagdad, la compagnie aérienne Aigle Azur inaugure samedi une liaison directe entre Paris et la capitale irakienne. Une première depuis l'invasion du Koweït par les troupes de Saddam Hussein, en 1990... La société, qui avait déjà été la première à retourner en Algérie en 2001, espère assurer deux vols par semaine vers Bagdad à partir du début de l'année 2011.
- Les besoins en matière de reconstruction sont estimés à 600 milliards de dollars
- La croissance prévue en 2010 est de 7 % - elle était d'environ 5 % en 2009 et 9,5 % en 2008
- L'Irak possède les 3e réserves mondiale de pétrole. Le pétrole représente près de 60 % du PIB, 85 % des recettes budgétaires et 95 % des exportations
- Les exportations françaises ont été multipliées par 2,4 entre 2008 et 2009 (413 millions d'euros). Elles ont progressé de 65 % au premier semestre de 2010.
- Lafarge est le premier investisseur français en Irak
- La CMA-CGM exploite 2 quais du port d’Umm Qasr et est la première compagnie maritime à desservir l'Irak
- Total, qui va participer au développement du champ pétrolier d'Halfaya, dans le sud-est du pays, pourrait devenir l'un des premiers investisseurs en Irak
- Les premiers partenaires commerciaux de l'Irak sont la Syrie, la Turquie et l'Iran
"C'est un évènement historique, assure Boris Boillon, ambassadeur de France à Bagdad. Le message symbolique est très fort, cela marque la fin de l'isolement de l'Irak et la victoire sur le terrorisme. C'était aussi le chaînon qui nous manquait pour faire revenir les entreprises en Irak. Nous pouvons désormais les prendre en charge, de l'obtention du visa à leur séjour sur place."
En février, le ministre français de l'Industrie, Christian Estrosi, a inauguré à Bagdad un Centre français des affaires. Située juste en face de l'ambassade de France, dans le quartier ultra sécurisé d'Abu Nawas, cette structure issue d'un partenariat public-privé propose toute une gamme de services aux entreprises : bureaux, hébergement, veille stratégique... "Aujourd'hui il est possible, à condition de respecter certaines conditions de sécurité, de revenir à Bagdad et d'y faire des affaires", avait affirmé le ministre à cette occasion.
"La France veut aider l'Irak à se reconstruire et à normaliser ses relations sur le plan politique, stratégique, économique, culturel, structurel, reprend Boris Boillon. Les entreprises françaises ont des compétences reconnues en matière de reconstruction, que ce soit dans le secteur de la santé, de l'eau, de l'assainissement, des transports... Dans ces domaines clés, il est essentiel qu'elles soient présentes."
600 milliards pour la reconstruction
Essentiel pour les Irakiens... mais aussi pour la France : l'Irak est en effet un pays de plus de 30 millions d'habitants, ses besoins de reconstruction sont estimés à 600 milliards de dollars ces prochaines années, et sa prévision de croissance est de 7 % en 2010... "L'avenir appartient aux ambitieux et à ceux qui se lèvent tôt ! lance Boris Boillon. Si nous ne sommes pas là aujourd'hui, ensuite il sera trop tard."
Malgré ce volontarisme, la France ne compte pour l'instant qu'une minime part du marché irakien. L'ambassade avance le chiffre de 1,4 %. Le Centre des affaires héberge une dizaine d'entreprises. Une vingtaine sont physiquement implantées en Irak, par le biais d'agents locaux ou d'expatriés.
"Cette politique de la France en Irak procède d'une volonté présidentielle, d'un désir de réaffirmer la position de Paris dans la région et de se distinguer, explique Peter Harling, spécialiste de l'Irak chez International Crisis Group (ICG). Nicolas Sarkozy souhaite que la France occupe l'une des premières places dans ce pays, mais n'a pas forcément les moyens de ses ambitions. Pour compenser, elle fait appel au secteur privé, mais celui-ci est traditionnellement assez frileux, hostile au risque."
"S'ouvrir sur le monde"
Alors que, six mois après les législatives de mars, les négociations sur la formation d'un gouvernement national n'ont toujours pas abouti et que les violences font toujours près d'une dizaine de victimes chaque jour, n'est-il pas prématuré d'inciter les chefs d'entreprises français à miser sur l'Irak ?
Pour Boris Boillon, la réponse est clairement non. "Il est faux de dire qu'il n'y a pas d'institutions ; il y a un gouvernement qui gouverne et prend des décisions tous les jours. Les 32 millions d'Irakiens ont besoin de s'ouvrir sur le monde, et si le risque zéro n'existe pas, la sécurité s'est fortement améliorée. Al-Qaïda n'a pas réussi à s'implanter et les forces de sécurité irakiennes remportent des victoires au quotidien."
"Le fonctionnement des institutions est très variable selon les secteurs, tempère toutefois Peter Harling. Le processus de stabilisation va être lent et difficile. Il est tout à fait justifié que les entreprises françaises occupent le terrain ; il faut simplement que les entreprises françaises veillent à construire sa crédibilité pas à pas."