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Passé de la clandestinité aux hautes sphères de l'État, le président sortant a fait preuve de ténacité pour conquérir le pouvoir... et le conserver. Parcours d'un inoxydable et habile politicien.

Voilà désormais cinq ans que Laurent Gbagbo dirige la Côte d’Ivoire sans mandat électif. Cinq ans que l’élection présidentielle promise par plusieurs accords de paix successifs est sans cesse reportée. Cinq ans que les leaders de l’opposition, l’ex-Premier ministre Alassane Dramane Ouattara (ADO) et l’ancien chef de l’État Henri Konan Bédié (HKB), piétinent d’impatience de se mesurer au président sortant.

Pour la première fois, le trio qui domine la scène politique ivoirienne depuis la mort du "père de la nation" Félix Houphouët-Boigny va en découdre sur le terrain électoral. La confrontation est historique. Suffisamment en tous cas pour susciter l’excitation d’un président en quête d’une légitimité par les urnes depuis 2005. Ancien opposant socialiste contraint à la clandestinité sous le règne d’Houphouët, Gbagbo le militant n’aime rien tant que battre campagne. Même si certaines mauvaises langues affirment que Gbagbo le président ne se serait jamais jeté dans la bataille s’il n’avait été certain de l’emporter...

Les années de militantisme

Originaire du pays bété, dans l’ouest ivoirien, Laurent Gbagbo voit le jour le 31 mai 1945 dans le village de Mama, près de Gagnoa. Fils d’un catholique pratiquant, le jeune Laurent, pris de passion pour le grec et le latin, décide de suivre le chemin de l'enseignement. Son bac de philosophie en poche, il rejoint la faculté de lettres classiques à l’université d’Abidjan. Après un détour par l’université de Lyon, en France, il retrouve la capitale économique ivoirienne où il intègre l’Union nationale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Uneeci). Un peu trop turbulente aux yeux des autorités, l'organisation syndicale estudiantine est rapidement dissoute.

Enseignant en histoire et en géographie au Lycée classique d’Abidjan puis chercheur à l'Institut d'histoire, d'art et d'archéologie africaine (IHAAA), Laurent Gbagbo soutient, en 1979, une thèse de doctorat sur les ressorts socio-économiques de la politique ivoirienne entre 1940 et 1960. Son militantisme actif au sein du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares) lui vaut de séjourner quelques temps en prison.

Naissance d’un opposant

Galvanisé par les manifestations étudiantes de février 1982 auxquelles il a pris part, le jeune syndicaliste durcit son opposition au régime d'Houphouët en lançant, cette même année, avec une poignée de camarades militants, le Front populaire ivoirien (FPI). Très vite, la formation, née dans la clandestinité, s’attire les foudres du pouvoir. En 1985, Laurent Gbagbo est contraint de s’exiler en France. À 5 000 km du marigot politique ivoirien, le leader du FPI ne perd toutefois pas son temps : il met à profit son séjour forcé dans l'ex-métropole coloniale pour se constituer un réseau au sein du Parti socialiste français.

De retour au pays en 1988, il dote le FPI d'une structure et d'un programme qui lui permettent d'adhérer à l’Internationale socialiste. Puis, lors de l’instauration du multipartisme dans le pays, celui-ci annonce sa candidature à la présidentielle d’octobre 1990. Contre toute attente, le camarade Gbagbo récolte 18,3 % des voix : la Côte d’Ivoire se découvre un opposant tenace qui - fait rare - ne craint pas de s’attaquer à la statue Houphouët.

Après la mort du "Vieux" en 1993, le leader socialiste appelle, aux côtés d'ADO, au "boycott actif" de l’élection présidentielle de 1995, qui doit désigner le successeur du défunt "père de la nation". Henri Konan Bédié s’adjuge le scrutin haut la main, mais Gbagbo n'en a cure : il sait que son tour viendra...

Celui-ci ne tarde d'ailleurs pas à arriver : cinq ans plus tard, après avoir contribué à l’invalidation de la candidature d’Alassane Ouattara, le chef du FPI remporte la présidentielle d'octobre 2000 à l’issue d’une élection l’opposant au putschiste Robert Gueï, qui a renversé le président Bédié 10 mois plus tôt. Lors de la cérémonie d'investiture, son épouse Simone ne peut contenir ses larmes. Compagne de lutte de la première heure dotée d'une forte influence sur son mari au point de le convertir à un évangélisme fervent, la nouvelle première dame savoure le couronnement de vingt années de combat politique.

À la tête d'une Côte d’Ivoire coupée en deux

Parvenu à la tête de l’État, Laurent Gbagbo charge son gouvernement d’appliquer les grandes lignes de son programme : décentralisation, gratuité de l’école, mise en place d’une assurance-maladie universelle… Mais tout le monde n’y trouve pas son compte. Dans le nord, où vit une importante communauté d'Ivoiriens d'origine burkinabè, les allogènes se plaignent du harcèlement dont ils font l’objet de la part des autochtones. Les tensions communautaires, ravivées par l'insidieuse réthorique nationaliste qui gagne les discours politiques, menacent la stabilité du pays, autrefois réputé pour son hospitalité.

C'est dans ce contexte que des hommes armés venus du nord profitent de l’absence du président, en visite officielle en Italie, pour mener des attaques simultanées sur Abidjan, Bouaké (centre) et Korhogo (nord), dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Repoussés par les forces gouvernementales, les insurgés se replient à Bouaké, où ils installent leur base. Au nom des accords de défense qui lient Abidjan et Paris depuis 1961, le gouvernement ivoirien sollicite l’aide de l’armée française, qui refuse de prendre parti. Le président Chirac se contente de lui assigner une mission d’interposition entre le nord, aux mains des rebelles, et le sud, sous contrôle gouvernemental.

La France dans le collimateur

Commence alors un véritable bras de fer entre les deux pays. Au nez et à la barbe des troupes françaises, Laurent Gbagbo lance, le 6 novembre 2004, un raid aérien contre les positions rebelles de Bouaké. Durant l’assaut, un chasseur tire des roquettes sur un cantonnement français. Paris riposte en ordonnant la destruction de la flotte militaire ivoirienne.

Entraînés par la milice des Jeunes patriotes, les partisans de Gbagbo s’attaquent alors aux intérêts de l’ancienne puissance coloniale. Malgré ses appels au calme répétés, le président ivoirien est régulièrement accusé par Paris d’attiser le sentiment antifrançais. Le divorce entre la France et la Côte d'Ivoire est consommé.

Le goût du pouvoir

Dans les mois qui suivent, c’est au tour de la communauté internationale de montrer des signes d’impatience. Les négociations entamées entre le camp présidentiel et les rebelles traînent en longueur. Les protagonistes du conflit ne parviennent pas à s’entendre sur le désarmement des insurgés, la distribution de cartes d’identité et la tenue d’un scrutin présidentiel.

L’accord de paix signé le 4 mars à Ouagadougou, au Burkina Faso, vient finalement relancer les espoirs des Ivoiriens éprouvés par cinq années de crise. Après avoir nommé le chef rebelle Guillaume Soro à la tête d'un gouvernement de transition, Gbagbo annonce la tenue imminente d’une présidentielle… qui sera maintes fois reportées.

Alors que son mandat électif a pris fin depuis octobre 2005, le président ivoirien est accusé de retarder l’organisation du scrutin. L’ancien syndicaliste qui avait coutume de battre le pavé aurait-il pris goût au pouvoir ? Pour beaucoup, il ne serait en tout cas pas près de le céder. Même s’il se pense aujourd’hui imbattable.