À Montreuil, en région parisienne, 14 personnes appartenant à la communauté rom ont été invitées à quitter le territoire français à la mi-août. Leurs avocats dénoncent une expulsion collective et discriminatoire.
Le 14 août dernier à l’aube, 70 personnes appartenant à la communauté rom étaient délogées de la maison qu’elles squattaient à Montreuil-sous-Bois, en banlieue parisienne. Séparés de leurs femmes et de leurs enfants,14 adultes du clan originaires du nord-ouest de la Roumanie ont été placés en garde à vue. En fin d’après-midi, ils quittaient le commissariat munis, chacun, d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) leur donnant un mois pour faire leurs valises.
Sur chaque document figurent les raisons pour lesquelles ils
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© {{ scope.credits }}doivent quitter le territoire français : ils vivent en France depuis plus de trois mois, ne disposent pas de ressources suffisantes pour y rester et n'ont pas d'obligation familiale dans le pays. En accord avec la loi européenne, Paris peut donc les contraindre à s'en aller.
Toutefois, Me Hélène Clément et Me Guillaume Traynard, leurs avocats, ne voient pas les choses du même œil : les documents délivrés aux 14 Roms de Montreuil sont, tous, strictement identiques, expliquent-ils. Seul l’espace correspondant à leur nom et à leur date de naissance a été laissé vacant pour être ensuite rempli à la main. Signe, assurent-t-ils, que les autorités n'ont pas pris la peine de vérifier la situation personnelle de chacun...
Les lois française et européenne sont pourtant claires. La situation personnelle de chaque personne potentiellement expulsable doit être examinée afin de déterminer si sa présence en France est bien légale. Or, "le seul point que ces hommes ont en commun, c’est leur appartenance à la communauté rom, s'emporte Guillaume Traynard. On stigmatise donc clairement une population."
Le document indique par exemple qu'ils ont dépassé la période de trois mois pendant laquelle tout citoyen européen peut séjourner dans un autre pays de l’Union sans être inquiété. Parmi les 14 hommes d'origine rom, plusieurs assurent que tel n’est pas le cas. Une affirmation impossible à vérifier étant donné que les citoyens européens n'ont pas d'obligation d'enregistrement dans leur pays d'accueil et ne voient plus leurs passeports visés aux frontières...
Les familles délogées le 14 août vivent désormais dans une maison prêtée par la municipalité de Montreuil. Leurs avocats ont déposé une requête pour abus de pouvoir contre la préfecture, afin de faire annuler les OQTF du 14 août.
"Un seul point en commun : l'appartenance à la communauté rom"
Assis sur l’un des quatre lits doubles qui meublent la pièce principale du rez-de-chaussée, Badarut Lunca, 33 ans, raconte sa journée en détention en badinant. Son air détaché a pourtant bien du mal à masquer l'anxiété qui l'habite face à une procédure judiciaire qu’il ne comprend pas bien. "On nous a mis dans une pièce, on nous a donné à manger… La traductrice nous a dit que nous devions quitter la France, mais que nous n'étions pas obligés de rentrer en Roumanie. Nous pouvons tout simplement nous rendre en Belgique et revenir." Personne, ici, n’a envie de rentrer en Roumanie...
Le cas de ces hommes n’est pas isolé. Depuis 2008 en effet, les associations françaises de défense des migrants critiquent la mise en place de déclarations "pré-rédigées et identiques pour l’ensemble des occupants d’un campement (de Roms) évacué". Les cas recensés se sont produits dans différentes préfectures. "On ne peut pas dire que ce soit une simple négligence de la part de quelques agents. Il s’agit clairement d’une politique d’État", assure, indignée, Claudia Charles, responsable du dossier des Roms au sein du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).
Des dizaines de cas similaires cet été, assurent les associations
Au Centre européen pour les droits des Roms (CEDR), on ne mâche pas non plus ses mots. Ce lobby pro-Roms a recensé cinq cas similaires à celui de Montreuil depuis le début du mois d'août. Quelque 120 personnes, au total, seraient concernées. À chaque fois, des dizaines de personnes sont visées simultanément. Souvent encore, les document sont identiques, à l’exception du nom, de l’origine, et du lieu de naissance.
La plupart des Roms sont originaires de Roumanie et de Bulgarie, deux pays membres de l’Union européenne (UE) depuis 2007. Ils peuvent donc circuler librement dans les pays de l'UE, mais sont soumis à des restrictions "transitoires". Ils doivent notamment demander une autorisation pour travailler en France.
Comme tous les Européens, les Roms sont soumis à une obligation de ressources s'ils désirent rester en France au-delà de trois mois. Ils peuvent également être expulsés à tout moment s'ils sont reconnus coupables de troubles à l’ordre public.
"Ces OQTF produites à la chaîne en disent déjà long. Mais lorsque nous avons parlé aux personnes qui en ont fait l’objet, nous avons constaté un climat général de crainte et d’intimidation de la part des forces de l’ordres", explique Victoria Vasey, directrice des affaires légales au CEDR. Les 14 hommes visés par les OQTF du mois d’août n’accepteront d’ailleurs pas qu’on les prenne en photo.
Le 29 septembre dernier, la commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding, donnait à la France jusqu’au 15 octobre pour démontrer qu’elle était en conformité avec le droit européen, tant sur le plan législatif que sur le plan des pratiques administratives. "La Commission cherche à savoir si la France a négligé d’appliquer la directive et les droits procéduraux des citoyens européens de façon systématique", précise le porte-parole de Mme Reding, Matthew Newman. Sans une réponse satisfaisante, la Commission européenne menace d’instruire une procédure d’infraction contre Paris.
Mais les associations craignent que, dans un souci d’apaisement, la Commission européenne ne se limite à l’examen des textes législatifs. "La loi française est peut-être incomplète, mais elle est conforme au droit européen. C’est au niveau des pratiques que la France pêche", estime Claudia Charles, pour le Gisti.
Le gouvernement français apportera "toutes les preuves" d'un traitement individuel
Une affirmation que le gouvernement français rejette catégoriquement : "Les principes généraux du droit nous conduisent au traitement individuel des personnes", a assuré mercredi le ministre français de l’Immigration, Éric Besson, lors d’un entretien à la chaîne Public Sénat. "Nous apporterons toutes les preuves, toutes les garanties nécessaires qu'il y a eu un traitement individuel [des cas au mois d'] août", lors des reconduites des Roms en Roumanie et en Bulgarie, a-t-il ajouté.
Entre-temps, Me Guillaume Traynard s'est dit confiant, "sûr de gagner", car ses clients sont européens et donc protégés par le droit communautaire. Le tribunal administratif de Montreuil devrait entendre leur cause début 2011.
À Montreuil, plusieurs membres des familles visées ont fait cercle autour de leurs avocats qui distribuaient un document. Preuve qu'un recours en annulation de leur OQTF est en cours : "Si on vous interpelle, vous montrez ceci. Ils ne pourront pas vous expulser", expliquent ceux-ci. Murmures d’assentiment dans l’assistance. Mais les visages sont inquiets...
"L'examen de situation des 14 personnes placées en garde à vue, samedi 14 août à Montreuil, a été effectué par les policiers. Les services administratifs ont, sur cette base, pris les OQTF qui ont ensuite été notifiées aux intéressés", explique la préfecture de Seine-Saint-Denis.
La délivrance d'OQTF est "systématiquement précédée d'un examen individuel de la situation administrative et personnelle des intéressés", assure-t-elle.