Alors que la polémique sur les expulsions de Roms bat son plein, le Parlement a ratifié un accord franco-roumain visant à "renforcer" la protection des mineurs isolés. L'opposition et plusieurs associations évoquent une "honte".
Ce matin, l’Assemblée nationale a adopté un accord bilatéral franco-roumain au sujet du rapatriement des Roumains de moins de 18 ans isolés en France, c'est-à-dire non accompagnés d'un parent ou d'un autre adulte responsable. Ce traité, qui s’inscrit dans le cadre d’une coopération engagée entre Paris et Bucarest depuis 2002, est supposé protéger les mineurs en situation de précarité, tout en luttant contre "les réseaux d’exploitation".
Jusqu’à présent, les autorités françaises ne pouvaient raccompagner un mineur à la frontière : c'est chose faite. Dorénavant, le parquet pourra ordonner un rapatriement immédiat, sans pour autant saisir le juge pour enfants et sans avoir le consentement de la ou des personne(s) mineure(s) concernée(s).
La gauche invoque l'indépendance de la justice
Cette mesure soulève une vague de contestation dans les rangs de l’opposition et de la part des associations françaises de défense de l’enfance. La gauche dénonce que pour garantir l’intérêt des mineurs et non celui de la politique gouvernementale d’immigration, cette décision doit revenir au juge pour enfant - indépendant du gouvernement - et non au procureur, subordonné au ministère de la Justice.
"Le juge pour enfant est le seul garant d’une enquête approfondie qui permette la protection de l’enfant. Il n’est pas acceptable que le Parquet renvoie les enfants dans leur pays en suivant des procédures rapides. Ce sont des conditions non négociables au regard de la Convention internationale de protection du droit de l’enfant", dénonce Dominique Versini sur France 24, "c’est un recul par rapport à 2002." Pour rappel, Dominique Versini, nommée en 2006 par Jacques Chirac Défenseur des enfants, avait proposé le texte de l'accord similaire signé en 2002, mais arrivé à échéance en 2005.
Cette levée de boucliers de l’opposition surprend la députée UMP Chantal Bourragué, qui s’est félicitée de l’adoption de la loi, votée aujourd’hui sans modification. "Le procès du Parti socialiste n’est pas raisonnable, car il n'y aura jamais de procédure d'une durée inférieure à huit jours. Quant au recours du parquet en cas d’urgence, il n’empêche pas la transmission du dossier sous huitaine au juge des enfants", précise-t-elle.
L’accueil sur le sol roumain en question
C’est aussi la question de l’accueil des mineurs en Roumanie qui inquiète opposition et associations. Un rapport rédigé par Régis Bigot et Jean-Philippe Légaut, publié en septembre 2009, note que sur 23 jeunes renvoyés en Roumanie, 12 n’ont bénéficié d’aucun suivi socio-éducatif, 4 sont repartis en France, 16 envisageaient de nouvelles destinations et 3 seulement désiraient rester dans leur pays natal.
Les associations dénoncent aussi la suppression de l’enquête sur l’environnement familial des mineurs en Roumanie. En effet, renvoyés parfois en moins de 48 heures dans un pays où ils n’ont parfois plus aucune attache, les jeunes concernés se retrouvent à la merci des réseaux criminels - ceux-là mêmes que les accords sont censés combattre.
"En renvoyant un môme sans enquête préalable et sans aucun garantie, on ne fait qu’augmenter les réseaux. En gros, en moins de 48 heures, le jeune arrive à Bucarest et là, il doit se débrouiller !", explique Alexandre Le Clève, président d’Hors la rue, une association qui travaille à la protection et à la réinsertion des mineurs étrangers en France.
Les associations craignent une mesure inefficace, qui ne pourra décourager les mineurs de revenir en France "par défaut ". "Ce sont des logiques migratoires de survie", explique Alexandre Le Clève. Qui poursuit : "Le problème n’est pas que les jeunes reviennent, mais qu’ils retrouvent en France des situations plus précaires qu’à leur départ. Le chemin de la réinsertion est alors à reprendre au début. Il s'agit plus d'une mesure de gestion des flux migratoires que de véritable protection de l'enfance."
Faire face à la hausse du nombre de mineurs isolés
Cet accord est néanmoins l’une des rares mesures prises pour répondre, ne serait-ce que partiellement, à la question de l’augmentation croissante du nombre de mineurs isolés en France, depuis les années 1990. Un rapport du Sénat, rédigé et déposé par Joëlle Garriaud-Maylam en février 2010, faisait ainsi état de quelque 3 000 mineurs isolés dans l'Hexagone, en 2002.
Les mineurs isolés sont victimes des réseaux mafieux, de la délinquance forcée, de la prostitution et/ou de la traite familiale. Selon les associations qui exercent sur le terrain, les enfants, pour la plupart déscolarisés, survivent dans des bidonvilles et sont élevés selon la seule loi de la rue. "Des mômes cassés", selon Alexandre Le Clève, qui précise que les enfants qu’ils rencontrent ont "en moyenne 14 ans".
Parmi eux, des Afghans, des Kurdes, des Turcs, des Chinois et… des Roumains. Les élus de gauche crient donc à la discrimination. Car si la majorité assure que les Roumains sont majoritaires parmi les enfants qui se trouvent dans ce cas, les associations argumentent qu’aucune statistique officielle ne peut confirmer cette affirmation.