Le plus grand bidonville du Kenya n’existe sur aucune carte officielle. Qu’à cela ne tienne, les habitants ont décidé de cartographier leur existence, en ligne, forçant les autorités à en prendre compte.
Barack Obama, Hillary Clinton ou encore le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon s’y sont tous déjà rendus. Pourtant, les autorités kenyanes ont toujours refusé de faire figurer le bidonville de Kibera sur une carte. Une manière d’en nier l’existence qui a fini par pousser ses habitants à bout : aidés par des ONG, ils ont décidé de révéler leur univers grâce à Internet.
Le résultat, baptisé Map Kibera, est en ligne dans sa version finale depuis quelques semaines. Il représente rue par rue, pâté de maison par pâté de maison, les quelque 256 hectares de ce bidonville situé à seulement 5 kilomètres du centre de Nairobi, la capitale. Une carte interactive dont la précision tranche singulièrement avec les représentations officielles qui, à cet endroit, montrent une immense forêt. Kibera est par ailleurs également absent de Google Map.
Bataille de chiffres
Il aura fallu près d’un an pour mener à bien ce projet. Épaulés par deux ONG, 30 habitants de Kibera se sont attelés à cette tâche à partir d’octobre 2009. Ils se sont appuyés sur l’outil de cartographie collaboratif Openstreetmap et ont commencé à mettre les premiers éléments en ligne dès février 2010. Mais ce Kibera virtuel n’a pas pu se faire en une seule nuit. Il est, après tout, le plus grand bidonville du Kenya et probablement le deuxième plus important d’Afrique.
Si, dorénavant, les autorités kenyanes ne pourront plus faire comme si de rien n’était, Kibera Map devrait également contribuer à trancher la bataille des chiffres. Pendant plusieurs années, des ONG, s’appuyant sur les images satellites, soutenaient que plus d’un million de personnes y habitaient, soit près de la moitié de la population officielle de Nairobi. En 2009, un recensement officiel est venu sérieusement remettre cette estimation en cause, la ramenant à 170 000 habitants.
Télé Kibera
Mais l’apport essentiel de cette réalisation concerne le travail des humanitaires. "Kibera est l’une des zones au monde où il y a le plus d’ONG au mètre carré", explique Erica Hagen, cofondatrice de cette initiative sur la page Wikipédia du projet. Mais sans carte précise, leur travail était rendu beaucoup plus difficile. Map Kibera a d’ailleurs déjà prouvé son utilité. En mai dernier, le bidonville a été frappé par un glissement de terrain. Les cartographes, alors en plein travail, ont promptement intégré les zones les plus touchées permettant aux ONG de réagir plus vite. Les pompiers aussi, qui traitent près de 200 incendies par mois à Kibera, vont pouvoir s’en servir.
Enfin, bénéfice indirect mais réel, bon nombre d’habitants ayant participé à l’opération ont découvert l’outil Internet. Résultat : un certain nombre d’entre eux ont monté une chaîne YouTube qui s’est lentement transformée en véritable télévision de Kibera. Les médias officiels, de leurs côtés, étant beaucoup plus discrets sur ce qui se passe dans ce bidonville.
Crédit : Newbeatphoto (sur Flickr)