Le Brésil est une puissance mondiale et entend bien être reconnu comme telle. De l'Amérique à l'Afrique, de l'Europe à l'Asie, Brasilia a, en quelques années, tissé un réseau diplomatique et économique inédit dans l'histoire du pays (partie 2).
Lula mise sur les pays du Sud, mais ne néglige pas pour autant ses alliés traditionnels, avec lesquels il intensifie les échanges économiques. Notamment avec la France, auprès de laquelle le Brésil acquiert une importante quantité de matériel militaire.
Avec les États-Unis, les relations sont sensiblement différentes. Les sujets d’achoppement sont légion. "Tout est question de leadership sur le continent sud-américain", confirme Bruno Muxagato. "Les deux pays entretiennent globalement des relations cordiales, mais ils se disputent l’influence sur une zone."
L’année 2005 signe le début d’une série de crises entre géants sud et nord-américains.
Emmenés par le Brésil, les membres du Mercosur mettent en échec le projet américain d’une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) : un camouflet que Washington a bien du mal à digérer.
Les années suivantes sont ponctuées de passes d’arme entre les deux pays. De la réactivation d'une flotte américaine dans les eaux caribéennes et sud-américaines au coup de force de la Colombie contre une base des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) en Equateur, en passant par l’installation de bases américaines en Colombie à la crise politique au Honduras, tout est sujet à tensions entre Brasilia et Washington.
En toile de fond, un conflit commercial vient également brouiller les relations entre les deux pays. Dès 2006, le Brésil conteste les subventions accordées par le gouvernement américain aux producteurs de coton. Fin 2009, l’OMC donne raison au géant sud-américain. En guise de compensation, il établit une liste de produits américains taxés à hauteur de 50 % à l’importation. La perte est estimée à plus de 590 millions de dollars pour les États-Unis.
Le Brésil intervient dans les grands dossiers diplomatiques
Mais courant 2010, c’est autour du nucléaire iranien et du conflit israélo-palestinien que se cristallisent les dissensions entre Washington et Brasilia. Lula est en effet apparu, d’abord discrètement, puis avec de plus en plus d’insistance, dans les zones d’influence traditionnelles de la diplomatie américaine. Il tente, avec un certain succès, de s’imposer comme un homme de paix dans le conflit israélo-palestinien. Aux yeux des deux parties, le n°1 brésilien apparait comme un médiateur fiable, représentant une voie alternative indépendante de Washnington.
Sur le dossier du nucléaire iranien, Lula parvient à des résultats éloquents. En 2009, le Brésil et la Turquie tiennent tête à l’administration américaine en s’opposant fermement aux nouvelles sanctions contre Téhéran, envisagées par le Conseil de sécurité de l’ONU. "Le mieux, c’est de croire aux négociations et d’avoir beaucoup de patience", estime Lula lors d’une visite à Téhéran.
"Comment des pays qui continuent d’avoir l’arme nucléaire peuvent demander à d’autres de ne pas s’en doter ?", s’interroge-t-il également, égratignant au passage la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine et la Russie. "On doit éviter de faire en Iran ce qu'on a fait en Irak", affirme-t-il alors.
Le Brésil voit également son intérêt dans cette nouvelle alliance avec l'Iran. D'une part, Téhéran est un partenaire commercial de poids - les exportations vers l’Iran ont bondi de 209 % en 2009. Le Brésil développe également des techniques d’enrichissement d’uranium et un durcissement des normes mondiales régissant cette technologie serait lourd de conséquences sur les capacités de son industrie à produire et à exporter du combustible nucléaire.
En mai 2010, le Brésil, la Turquie et l’Iran sont parvenus à un accord prévoyant l’enrichissement de l’uranium en dehors du territoire iranien. C’est, en substance, ce qu’avait en vain réclamé le Conseil de sécurité de l’ONU, quelques mois auparavant.
Un accord jugé "insatisfaisant" par l’ONU
L’accord n’a pourtant suscité que peu d’enthousiasme de la part des membres du Conseil de sécurité : il n’a pas réussi à lever les doutes sur l’ambition militaire du programme nucléaire iranien. En juin, une nouvelle série de sanctions a été votée contre Téhéran.
"En réalité, tout est encore question de leadership diplomatique, estime le chercheur Bruno Muxagato. "Les pays du Conseil de sécurité ne supportent pas de voir un pays tiers - du Sud, de surcroit - s’occuper d’une question cruciale comme celle-ci."
Le Brésil de Lula ne l’entend pas de cette oreille. Il compte peser dans les grands dossiers diplomatiques. En près de huit années à la tête du Brésil, Lula a ainsi passé plus d’un an en visite officielle.
Le succès de sa politique extérieure tient beaucoup à sa personnalité. "Qui d’autre que Lula pourrait […] communier ici avec l’altermondialisme antimarché et convaincre le 'grand capital' d’investir sans crainte au Brésil ?", s’interroge Alain Rouquié. "Le président Lula représente lui-même un atout majeur pour la 'nouvelle' politique extérieure brésilienne. Il éveille partout la curiosité, souvent l’admiration. […] Il aime à séduire ses interlocuteurs par son bon sens et sa bonhommie gouailleuse."
C’est peut-être là le talon d’Achille de la politique extérieure du Brésil. Ni Dilma Rousseff (candidate du Parti des travailleurs et dauphine officielle de Lula) ni José Serra (candidat du Parti de la social-démocratie brésilienne) ne jouissent de la même aura internationale. Moins populaires, leurs "profits politiques seront moins recherchés", selon le politologue spécialiste du Brésil Stéphane Monclaire. Ce qui ne sera pas sans conséquences sur la politique extérieure de l'après-Lula.