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"Il n’y a rien d’attentatoire à la laïcité dans la réforme constitutionnelle"

Dimanche, les Turcs sont appelés à se prononcer sur la réforme de la Constitution militaire héritée du putsch de 1980 préparée par le gouvernement. Quels sont les enjeux de ce référendum ? L’analyse de Didier Billion, spécialiste de la Turquie.

La date est plus que symbolique. Le 12 septembre, 30 ans jour pour jour après le sanglant coup d’État de 1980, les quelque 50 millions d’électeurs turcs sont appelés à se prononcer sur une réforme de la Constitution militaire héritée du putsch.

Le gouvernement, dirigé par les islamistes modérés de l’AKP, y voit une réforme démocratique tandis que ses opposants dénoncent un danger pour la séparation des pouvoirs. Et si l’enjeu était avant tout de consolider le pouvoir en place ? Tel est l’avis de Didier Billion, qui dirige l’Observatoire de la Turquie et de son environnement géopolitique à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).

France24.com : En quoi consiste la réforme ?

Didier Billion : Le gouvernement a présenté un paquet de 26 amendements. Certains points ne font pas débat, par exemple ceux qui visent à développer la parité, donner plus de droits aux enfants, ou renforcer le pouvoir de négociation collective des fonctionnaires.

Les deux points qui ont déclenché la polémique sont ceux concernant la réforme de la composition du Conseil constitutionnel et du Haut conseil des juges et magistrats (l’équivalent du Conseil supérieur de la magistrature en France, NDLR). Si le "oui" l’emporte, l’exécutif renforcera son pouvoir sur ces instances judiciaires.

Pourquoi critiquez-vous cette réforme ?

D.B. : D’abord, l’AKP n’a pas eu le courage de proposer une Constitution complètement nouvelle. La réforme présente, certes, des avancées démocratiques, mais de nombreux points restent problématiques. Il n’est toujours pas question d’accorder le droit de grève aux fonctionnaires ou de supprimer le scandaleux barrage démocratique qui fait qu’un député élu dans une circonscription ne siège pas si son parti n’obtient pas 10 % au niveau national.

En outre, plusieurs questions sont posées en même temps : les électeurs peuvent être d’accord avec certains aspects de la réforme, mais pas avec tous. Cela rend le choix très difficile.

Enfin et surtout, il s'agit d'une atteinte à la séparation des pouvoirs. C’est d’ailleurs ce que dénonce le principal parti d’opposition : la mainmise du pouvoir politique sur le pouvoir judiciaire.

Les modifications constitutionnelles constituent-elles une atteinte à la laïcité ?

D.B. : Il n’y a, dans cette réforme, aucun passage attentatoire à la laïcité. Avec le Conseil constitutionnel et le Haut conseil des juges et magistrats, le gouvernement s’attaque à deux instances qui se font remarquer par leur résistance aux mesures qu’il propose. Son objectif n’est pas très moral : il s’agit de réduire le pouvoir de nuisance de ceux qui sont contre lui, afin de consolider son propre pouvoir.

À mon avis, il ne faut pas analyser le référendum à la lumière du débat sur la laïcité. Il s'agit simplement d'une tactique politicienne.

Que prédisent les sondages ?

D.B. : Sauf surprise, le "oui" devrait l’emporter. Il sera toutefois intéressant de savoir si l’AKP l’emporte avec 51 % ou 60 % des voix. Si sa victoire est nette, le Premier ministre pourrait "surfer sur la vague" et convoquer des élections anticipées.

Un "oui" au référendum ferait-il avancer les négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) ?

D.B. : Non. Certes, le commissaire européen à l’Élargissement s’est félicité de ce référendum et estime qu'il est positif pour la démocratisation du pays. Mais le débat sur l’adhésion est ailleurs : pour parler très directement, le référendum ne changera pas la position de Nicolas Sarkozy sur l'entrée de la Turquie dans l'UE.