La Belgique pourra-t-elle se relever ? Après trois ans de crises politiques à répétition, le pays semble au bord de l’implosion entre un nord flamand tenté par l’indépendance et un sud wallon de plus en plus résigné.
Wallons et Flamands peuvent-ils continuer à vivre ensemble dans un seul et même pays ? Les élections législatives de juin dernier avaient accouché d’une Belgique coupée en deux. Arrivé en tête en Wallonie, le socialiste Elio Di Rupo était en charge des négociations avec les autonomistes flamands du N-VA, vainqueurs dans le nord. Mais après trois mois de pourparlers, il a annoncé, vendredi, que les négociations avaient officiellement échoué et qu’il démissionnait de son poste de "préformateur".
Les tractations butent sur l'avenir institutionnel et financier du pays. En échange de l'abandon de droits linguistiques spécifiques en Flandre, les francophones demandent des subventions supplémentaires pérennes pour Bruxelles, ville très majoritairement francophone et lourdement déficitaire. Les Flamands refusent.
Garant de l’intégrité du pays, le chef de l’État belge, le roi Albert II, a aussitôt réagi en confiant une mission de médiation aux présidents des deux chambres parlementaires belges, l’un étant flamand, l’autre wallon. Mais la rupture semble tellement profonde entre les deux communautés qu’en présentant sa démission vendredi, Elio di Rupo a dit simplement espérer que les Belges puissent encore vivre "en paix"...
"Que veut la Flandre ?"
Le nord et le sud de la Belgique ne se comprennent plus. Tel est le constat que tire une éditorialiste du grand quotidien francophone "Le Soir", qui s’interroge : "Que veut la Flandre ?". Face à une situation devenue "incompréhensible, totalement regrettable et, à ce stade, absolument irresponsable", la journaliste avoue n’avoir désormais plus qu’une seule question à poser aux Flamands : "Que voulez-vous ?". Il n’est pas sûr qu’eux-mêmes le sachent vraiment...
La situation du pays a, en effet, fini par désespérer la plupart des observateurs de la vie politique belge. L’ancienne vice Premier-ministre Laurette Onkelinx annonce ainsi, ce dimanche, qu’il faut se "préparer à la fin de la Belgique". Dans un entretien publié dans le quotidien francophone "Dernière heure", elle met en garde les francophones, qui risquent bien "d’être les dindons de la farce" s’ils ne prennent pas en compte le fait qu’une "grande partie de la population flamande" souhaite effectivement la fin du pays. La classe politique belge doit, selon elle, envisager cette éventualité, "ne pas l’espérer, mais s’y préparer”.
Grand observateur de la vie politique belge, le correspondant de "Libération" à Bruxelles, Jean Quatremer, constate lui aussi le fossé qui s’est creusé entre Wallons et Flamands. "Mutatis Mutandis, les francophones se comportent comme le conjoint bafoué qui tente de retenir l’être autrefois aimé alors que celui-ci a déjà tourné la page", écrit-il sur son blog. Avant de reprocher aux Wallons de se contenter "d’essayer, en vain, de freiner les demandes flamandes d’une plus grande autonomie, sans aucun projet de rechange, si ce n’est une envie confuse d’un retour à la Belgique 'heureuse' de papa".
"Sang froid"
Face à l’alarmisme quasi-général, certains tentent toutefois de faire entendre une voix plus modérée.
Ainsi, "La libre Belgique" appelle les différents acteurs politiques à retrouver leur "sang froid". Dans son éditorial du 4 septembre, le quotidien francophone reconnaît que "la crise est grave", mais que le pays n’est pas perdu. "Que faire à présent ? Hurler au diable ? Monter une communauté contre l’autre, démontrer par A + B qu’il n’y a plus d’avenir commun, que la Belgique est foutue ? Non." Et l’éditorialiste de réaffirmer que la négociation demeure la seule solution pour sortir de la crise : "Même si le point d’équilibre sera périlleux à trouver, il faudra bien un jour stabiliser le pays, quitte à ce qu’il soit très différent de celui dans lequel nous vivons aujourd’hui".
Une partie de la classe politique tente elle aussi d’afficher un optimisme de raison. La président du Centre démocrate humaniste (CDH) veut voir dans la décision du roi de nommer de nouveaux médiateurs "un signe positif permettant de renouer le dialogue et, nous l’espérons, la confiance indispensable à la recherche de solutions durables pour le pays".
Côté flamand, on se veut également rassurant. L’intransigeant leader autonomiste, Bart de Wever, a demandé aux Belges de ne pas "dramatiser" la situation. À la suite de l’annonce de la nomination des médiateurs, son parti a publié un communiqué dans lequel il appelle à la reprise des pourparlers : "Après la désillusion des derniers jours, nous devons retrouver un esprit de travail constructif et rechercher des solutions".
Si les médiateurs ne parviennent pas à obtenir la formation d’un nouveau gouvernement, de nouvelles élections pourraient être convoquées avec, à la clé, un risque accru de radicalisation des électorats de chaque bord. Une situation de pourrissement à laquelle aucun responsable belge n’est parvenu à mettre un terme depuis trois ans.