, envoyée spéciale à Perpignan – À 28 ans, Corentin Fohlen expose à Visa pour l’image, où il s'est vu décerner le Prix du jeune reporter de la Ville de Perpignan. S'il n'a que peu d'années d’expérience, le photographe possède déjà un certain recul sur son métier. Portrait.
Des centaines de photographes débarquent à Port-au-Prince, après que le séisme a frappé la capitale haïtienne. Corentin Fohlen, jeune reporter de 28 ans qui vient de se voir attribuer le Prix du jeune reporter de la Ville de Perpignan dans le cadre du festival de photojournalisme Visa pour l'image, fait partie du lot. Dans les 24 heures qui suivent l’annonce du tremblement de terre, il prend l’avion pour la Martinique, puis pour la République dominicaine, et parvient à passer la frontière pour pénétrer en Haïti. Comme les autres journalistes et envoyés spéciaux, il cherche à capter les instants les plus saisissants de la catastrophe.
Mais Corentin Fohlen ne se souvient pas d'avoir travaillé au milieu d’une masse de journalistes. À Port-au-Prince, il y avait bien une rue principale, une artère de la ville, où beaucoup de médias déambulaient à la recherche d’une scène susceptible de se prêter à la construction d'un reportage. Il y avait bien, aussi, ces mêmes images qui défilaient sur les écrans de télévision, ces mêmes scènes racontées par les dépêches d’agence parlant de pillages dans les commerces et les campements.
Lui a cherché à voir et n’a pas perçu la même chose.
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© {{ scope.credits }}"Au début, on s’en mord les doigts. Et on se dit, comme tout journaliste : j’ai raté une scène cruciale, il fallait absolument que j’y assiste." Puis, il finit par se rendre à l’évidence : il n’y a pas eu d’émeutes à proprement parler. Certes, celui-ci raconte avoir vu le désespoir des Haïtiens, assisté à des scènes où des individus font les poches des cadavres, et avoir été le témoin de quelques débordements. Mais il parlerait de survie plutôt que de mise à sac. "Il y a un décalage énorme entre la situation qu’on m’a donné à imaginer quand je suis parti, et ce que j’ai constaté sur place", affirme-t-il aujourd'hui, opposant son travail à celui, "caricatural", des chaînes de télévision. "Régulièrement, je me demande, effaré, à quoi je participe."
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© {{ scope.credits }}Indépendant
Corentin Fohlen n’a pas reçu une formation de photojournaliste, mais de dessinateur de BD. Après quelques essais de photos urbaines et esthétisantes, il a très vite fait le choix du "news", de l’information qui n’attend pas, du travail intrépide. Et s'est lancé comme indépendant. C’est-à-dire sans rédacteur en chef qui, depuis son bureau, téléphone à son équipe pour lui demander de tourner telle ou telle scène qu’il a aperçu sur une chaîne de télévision ou dans un magazine concurrents. Cette indépendance a un coût : il achète lui-même son billet d’avion, avance tous les frais, bref, prend tous les risques. Mais il en tire une certaine fierté et l’impression d’avoir travaillé comme il le souhaitait.
Retravailler une photo ?
Quand d’autres jouent sur la clarté et la lumière, lui cherche la densité et la saturation. Il règle volontairement son appareil en sous expostion pour éviter trop de luminosité le jour. "Cela rend la scène plus dramatique. Mais j’assume", explique-t-il. Du coup, cette vieille femme qui somnole sur une chaise à même la rue, entourée de trois enfants, semble évoluer dans une atmosphère lourde et étouffante. Quand le photographe s’aventure la nuit sous les décombres du séisme haîtien ou parmi les barricades montées par les chemises rouges en révolte contre le pouvoir thaïlandais, les couleurs jaillissent de l’ombre.
Sa pugnacité a été récompensée. Par l'intermédiaire d'une association de photojournalistes indépendants comme lui, Fedephoto, il vend ses clichés à des magazines comme "Le Nouvel Observateur", "La Vie" ou "Le Journal du Dimanche". Et quand, tout récemment, le "New York Times" et "Le Monde" lui passent commande, il accepte... mais jure de rester libre.