Dans cet ancien bastion taliban, les autorités craignent que la colère des sinistrés, qui dénoncent l'inaction du gouvernement face aux dégâts causés par les inondations, ne redonne de l'élan aux combattants islamistes.
REUTERS - Guerres, coups d'Etat militaires, assassinats, troubles politiques ou corruption.
Babou Zay a été le témoin de tout cela au Pakistan, mais rares ont été les incidents qui ont autant discrédité le gouvernement à ses yeux que les récentes inondations.
Cette catastrophe a dévasté une grande partie du pays et la lenteur de réaction des autorités soulève de nouvelles questions sur la stabilité du gouvernement.
it"J'ai entendu à la radio que le gouvernement donnerait 200.000 roupies à chaque famille. Nous n'avons rien reçu. Tout cette aide dont on a parlé. Le gouvernement l'a volée", dit Zay, sourire édenté et longue barbe blanche, le regard porté sur ce fleuve Swat qui a détruit sa maison et des centaines d'autres.
La vallée de Swat, dans le nord-ouest du pays, est une des régions les plus durement affectées et l'inaction des autorités pourrait avoir de lourdes conséquences politiques.
La colère de la population ne faiblit pas et va sans doute aller crescendo si les demandes d'indemnisation pour la perte d'habitations, de cultures ou du bétail ne sont pas satisfaites.
Depuis un an, le gouvernement tente de regagner la confiance des habitants de cette vallée, jadis bastion des taliban, où l'armée a chassé les islamistes lors d'une vaste offensive.
Après l'opération, il a promis d'investir plus d'un milliard de dollars dans des écoles, des entreprises et des hôpitaux, et dans le renforcement de la police et des forces de sécurité.
Mais les inondations ont détruit des routes, des ponts et des cultures sur un grand axe allant du nord-ouest au sud et, de fait, ont balayé les projets pour la vallée de Swat. Le Pakistan doit aujourd'hui venir en aide à six millions de sans-abri.
Cinq ans sans toit
Les autorités et les Etats-Unis, alliés d'Islamabad, ont prévenu que les insurgés islamistes risquaient de chercher à tirer prodit du chaos.
{{ scope.legend }}
© {{ scope.credits }}Un responsable américain a ainsi déclaré à la BBC que les coopérants humanitaires étrangers pourraient être visés par les attaques des taliban, une hypothèse largement réfutée néanmoins par les ONG et l'armée pakistanaise.
"La population locale est impatiente d'accueillir (les travailleurs humanitaires). Dans cette situation désespérée, tout le monde est bienvenu" et des attaques contre les ONG seraient très mal perçues, explique le général Athar Abbas, porte-parole de l'armée.
A Swat, les gens disent ne pas vouloir le retour des taliban et des séances de coups de fouet ou pendaisons en pleine rue destinées à faire respecter leur version radicale de l'islam.
Mais le gouvernement ne pourra pas compter sur cette répulsion pour redorer son image.
"Oui, il y aura des gens en colère, observe l'analyste politique Hasan-Askari Rizvi. Mais ils sont si nombreux que tout le monde ne pourra pas être satisfait. Il y a encore des secteurs où l'ont ne peut se rendre qu'en hélicoptère, et on en manque. Cela prendra du temps pour atteindre tout le monde et l'opposition continue à mettre la pression sur le gouvernement."
A quelques pas d'un bâtiment détruit par les taliban lors des combats contre l'armée, des ouvriers construisent pierre après pierre un pont suspendu pour remplacer l'ouvrage de béton haut de trois étages qui s'est effondré durant les inondations.
"Le gouvernement ne fait rien. Nous ne voulons plus de son aide. On ne peut compter que sur nous-mêmes", dit Altaf Hussain, un de ces ouvriers, dont le salaire est payé par un bijoutier qui a lancé une fondation pour les sinistrés.
Rencontré à un bac, Mohammed Sherin, fonctionnaire de l'office des forêts, souhaite un nouveau gouvernement, dirigé par "quelqu'un de transparent".
Mais peu de gens croit cela possible à court terme.
"Il y a beaucoup de mauvaise gestion et un manque d'organisation", observe Saad Sarfraz Sheikh, un bénévole, en préparant un convoi d'aide privé au départ de Lahore.
Selon lui, la gestion de l'aide après le séisme de 2005 explique en grande partie la défiance de la population envers le gouvernement et les fonds mis en place pour les sinistrés.
"Il y a beaucoup à faire avec le séisme parce que des gens sont encore sans-abri. Les gens disent: 'Ces rescapés du séisme n'ont même pas encore de maison, alors pourquoi donnerions-nous encore de l'argent ?'", dit-il.