Près de 200 femmes et enfants ont été violés au Nord-Kivu au début du mois d'août. Un acte "horrible" contre lequel Washington promet d'agir. Sur le terrain, la Monusco explique n'en avoir été informée qu'une dizaine de jours après les faits.
Après la révélation, lundi, d'une série de viols collectifs perpétrés au début d'août en République démocratique du Congo (RDC), les États-Unis ont promis, mercredi, d'agir contre ces actes "horribles". L'envoyé spécial de l'ONU dans le pays a affirmé que les patrouilles de Casques bleus n'ont pu empêcher ces viols parce qu'elles "n'en avaient pas été informées" avant le 12 août.
Des associations humanitaires ont fait état, en début de semaine, du viol de près de 200 femmes et enfants entre le 30 juillet et le 3 août dans la ville de Luvungi, au Nord-Kivu, une province de l'est de la RDC.
Les rebelles hutus rwandais nient toute implication
Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, s'est aussitôt dit "indigné" par ces agressions, confirmant qu'au moins 154 civils congolais en ont été victimes lors d'une offensive menée par des miliciens Maï-Maï et des insurgés hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Les FDLR qui affirment, ce jeudi, n'être "en rien impliquées dans ces actes odieux".
Un haut responsable de l'ONU a été dépêché dans le pays. Ban Ki-moon a également appelé Kinshasa à ouvrir une enquête et à poursuivre en justice les auteurs de ces crimes. Le Conseil de sécurité de l'ONU doit se réunir, ce jeudi, pour discuter de la situation.
"Cet incident représente un cas extrême, compte tenu de l’ampleur et du niveau d’organisation des attaques", a ajouté la représentante spéciale de l'ONU pour la violence sexuelle dans les conflits, Margot Wallström.
Les villageois n'ont pas alerté l'ONU
Depuis Goma, le nouveau représentant spécial de l'ONU en RDC, Roger Meece, a expliqué mercredi que les Casques bleus n'avaient eu connaissance de ces viols que près de deux semaines après le début des attaques.
Pourquoi les villageois ne les ont-ils pas alertés, alors que des patrouilles se sont rendues à Luvungi le 2 puis le 9 août ? "Les habitants ont-ils craint des représailles s'ils alertaient l'ONU ? C'est possible", répond Roger Meece. "Étaient-ils gênés ou honteux de ce qui s'est passé ? C'est possible. Les actions de nos forces pour protéger les civils sont insuffisantes et doivent être améliorées", a-t-il encore admis.
L'ONU dispose d'une force de maintien de la paix - la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco, ex-Monuc) - de 20 000 hommes dans le pays. "Cet incident terrible met en évidence la nécessité d'une communication directe entre les forces de maintien de la paix et les populations locales, insiste Ellie Kemp, porte-parole d'Oxfam en RDC. Parfois, les Casques bleus ne descendent pas de leur voiture lorsqu'ils effectuent une patrouille... La Monusco semble avoir entendu ces critiques. Depuis 2008, elle commence à mettre en place de bonnes pratiques, avec des systèmes d'alertes régulières et précoces. Elle doit absolument les systématiser."
Des téléphones portables devraient être distribués dans les communautés vivant autour des bases de l'ONU, et le réseau de communication radio étendu pour toucher les zones les plus enclavées. Oxfam recommande également de renforcer le personnel civil de la Monusco, notamment dans les zones les plus dangereuses.
La RDC, "capitale mondiale du viol"
En avril dernier, Margot Wallström avait qualifié la RDC de "capitale mondiale du viol". "Cet incident terrible confirme mes conclusions générales du caractère généralisé et systématique des viols et des violations des autres droits de l’Homme", a-t-elle affirmé mardi.
Mercredi, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a, à son tour, affirmé que les États-Unis feraient tout leur possible pour que les auteurs de ces actes "rendent des comptes". Si la législation congolaise en matière de violences sexuelles est l'une des plus progressistes d'Afrique, peu de violeurs sont poursuivis en justice. "Depuis un an, il y a un peu plus d'actions en justice et de condamnations, notamment contre les militaires, constate toutefois Ellie Kemp. Nous sommes encore très loin de la 'tolérance zéro' annoncée par le gouvernement en la matière, mais on observe des progrès."
Cette série de viols intervient alors que des discussions sur un retrait des forces de l'ONU déployées en RDC sont engagées. "Il faut absolument prendre en compte, dans cette évaluation, les réalités du terrain et la capacité de l'armée congolaise à protéger la population, indique Ellie Kemp. Le gouvernement doit se mobiliser pour réformer et professionnaliser ses forces armées et de police."
"Il y a des violences et des abus systématisés contre les populations civiles dans l'est du pays, auxquels tous les acteurs armés prennent part, poursuit-elle. La véritable solution au fléau des violences sexuelles passera par une résolution durable du conflit dans cette région. Il faut démilitariser les villages et adopter une approche en profondeur, au lieu de n'avoir recours qu'à la seule option militaire."
Selon un rapport, publié en avril 2010 par Oxfam International et The Harvard Humanitarian Initiative, basé sur les témoignages de plus de 4 000 femmes violées, 60 % des victimes sont attaquées par des bandes d'hommes armés. Les agressions commises par les civils sont, cependant, en forte progression, relève le document : plus de la moitié des viols ont eu lieu au sein même du foyer familial.
Près de 14 agressions sexuelles par jour sont recensées en moyenne dans le pays - 200 000 cas ont été repertoriés depuis 1996 -, dont plus du tiers dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu.
Photo : Sarah Leduc