Le général Desportes, haut gradé de l’armée française, va être sanctionné pour s'être exprimé sur le conflit en Afghanistan dans la presse. L’affaire fait écho au limogeage fin juin du général McChrystal, qui avait critiqué l’administration Obama.
Quand un militaire haut gradé se confie à la presse - fait plutôt rare -, ça ne passe généralement pas inaperçu. Quand le général Vincent Desportes, directeur du Collège interarmées de défense, un homme réputé pour sa grande intelligence, critique vertement le conflit en Afghanistan dans les colonnes du "Monde", ça fait l’effet d’une bombe.
Dans l’interview qu’il a accordée au "Monde" daté du 2 juillet, le général Vincent Desportes ne mâche pas ses mots pour qualifier la stratégie militaire en Afghanistan. "Tout se passe comme si le président [Obama] n’était pas très sûr de ses choix […], confie-t-il. À l’issue des débats sur les renforts nécessaires, il y a un an, il a opté pour 30 000 soldats de plus. Tout le monde savait que ce devait être zéro ou 100 000 de plus. On ne fait pas de demi-guerres." Un peu plus loin, il soutient que la France n’a aucun pouvoir de décision sur la stratégie à adopter en Afghanistan. "C’est une guerre américaine, analyse-t-il. Quand vous êtes actionnaire à 1%, vous n’avez pas la parole. Il n’y a pas de voix stratégique des alliés."
Devoir de réserve
Le chef d’état major des armées, Edouard Guillaud, et le ministre de la Défense, Hervé Morin, n’ont visiblement pas apprécié les propos du général. À la publication de l’article, l’amiral Guillaud voit rouge, qualifie le général Desportes d’ "irresponsable", le convoque et réclame des sanctions auprès d’Hervé Morin. Jeudi, le couperet tombe : "Il sera sanctionné", déclare le ministre sur RMC et BFM-TV.
Deux semaines après le limogeage du général américain McChrystal, commandant des forces alliées en Afghanistan, qui avait critiqué l’administration Obama dans le magazine new-yorkais "Rolling Stone", l’affaire tombe mal. D’autant qu’au mois d’avril, selon le "Canard Enchainé", le président Nicolas Sarkozy a exigé que ni l’armée ni les membres du gouvernement ne s’expriment sur le conflit en Afghanistan. Selon l’hebdomadaire, le président souhaite éviter que cette guerre - dans laquelle la France a engagé 3 750 hommes - ne fasse l’objet d’un débat.
"C’est difficile de faire un lien entre l’affaire McChrystal et l’interview de Vincent Desportes", estime Pierre Servent, colonel de réserve et professeur au Collège interarmées de Défense, joint par France24.com. "Ce n’est pas le même registre : McChrystal a été limogé parce que son entourage s’est un peu lâché contre les dirigeants américains. Il s’agit d’une faute particulière, de dérapages verbaux. Pour le général Desportes, qui est un intellectuel militaire, il s’agit d’une analyse, du produit d’une réflexion dans laquelle il met en cause le poids de la France en Afghanistan et dans laquelle il émet une critique directe à l’égard d’un chef d’État étranger. C’est quelque chose qu’il ne peut pas faire, il est soumis au devoir de réserve", poursuit le militaire.
Élève modèle de l'armée
Ces déclarations sont pour le moins surprenantes de la part de cet élève modèle de l’administration militaire française, qui est loin d’ignorer ce sacro-saint devoir de réserve. Son accession à la tête du Collège interarmées de défense en 2008 n’est que la suite logique d’une brillante carrière au sein de l’armée. Il a successivement rempli les fonctions d’attaché militaire près de l’ambassade de France aux Etats-Unis, de conseiller défense du secrétaire général de la défense nationale puis de directeur du Centre de doctrine et d’emploi des forces, organe pensant des stratégies militaires.
Le militaire de 57 ans, joint par France24.com, n’a pas souhaité revenir sur les raisons qui l’ont poussé à se confier au "Monde", préférant "attendre que la tempête se calme" avant de s’exprimer à nouveau dans la presse.
À quelques semaines de la retraite, l’homme s’est peut-être autorisé de déroger au mutisme du corps militaire, comme le suggère Pierre Servent. "C’est quelqu’un qui a ouvert beaucoup de portes intellectuelles. Il a fait évoluer la réflexion militaire", témoigne le militaire. "Il n’est pas simplement un meneur d’hommes, il a beaucoup de pensées en matière de stratégies et de philosophie", confirme Patrick de Gmeline, historien militaire, auteur de "Se Battre pour l'Afghanistan - Soldats de montagne contre les Taliban" (Presses de la Cité, mai 2010). A-t-il été imprudent ? "À deux ou trois semaines de la retraite, il n’encourt aucune véritable sanction, estime l’historien. Et son interview ne va avoir absolument aucune influence sur la conduite des opérations en Afghanistan."
Une manière de jeter un pavé dans la marre et de rouvrir le débat sur une guerre sans fin.