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Les attentats qui ont visé jeudi le tombeau Data Durbar, à Lahore, et qui ont fait 41 morts, sont avant tout une attaque contre le soufisme, un ancien mouvement ascétique de l’islam, dans un pays qui se radicalise de plus en plus.
Les attaques de jeudi contre le mausolée d'un saint soufi à Lahore peuvent être considérées comme un massacre prémédité contre l’essence même d’une forme d’islam centenaire et tolérante. Le tombeau Data Durbar est le plus ancien et le plus prestigieux de Lahore. Il abrite les restes d’un saint soufi du XIe siècle, Abul Hassan Ali Hajweri et attire des pèlerins chiites et sunnites – et même des non musulmans- de tout le sous-continent indien. Le site est particulièrement bondé le jeudi soir, une nuit traditionnellement sacrée pour les musulmans.
Au lendemain de l’attaque, Raza Rumi, un expert pakistanais du soufisme, est encore sous le choc. "C'est une tragédie à plusieurs niveaux", a déclaré ce natif de Lahore joint au téléphone par FRANCE24. "C'est une tragédie humaine, une attaque contre l'avenir du Pakistan."
"L’attaque d’une minorité illuminée contre la majorité"
Le soufisme puise ses bases dans les relations mystiques entre l’individu et le divin. Avec une éthique égalitaire et une forme d’adoration expressive - incluant la poésie et la musique -, le soufisme est souvent considéré comme une forme alternative de spiritualisme. Les poètes soufis perses tels que Rumi, qui vécut au XIIIe siècle, sont même en train de revenir à la mode en Occident.
Mais en Asie du Sud, jusqu’il y a peu, le soufisme était la norme et non une tendance. Des siècles durant, les dévots ont traversé des milliers de kilomètres pour venir implorer l’esprit des saints de les aider dans leurs luttes quotidiennes contre la pauvreté, l’infertilité et bien d’autres problèmes
Juste après le triple attentat de jeudi, certains bulletins d’information ont fait état d’une attaque contre une "minorité pakistanaise". Une déclaration qui a hérissé les cheveux de nombreux Pakistanais. "Ce n’est pas une attaque contre une minorité, explique Raza Rumi. C’est l’attaque d’une minorité illuminée contre une majorité."
Au cours de l'Histoire, le soufisme, considéré comme du paganisme, a souvent été la cible de promoteurs d'un islam plus austère et radical. L'adoration d'un autre dieu est formellement interdite par l'islam et est passible de la peine de mort dans de nombreux pays, dont le Pakistan.
Retombée du djihad anti-Soviet des années 80
Le plus sérieux affront au soufisme remonte aux années 1980, durant le djihad contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan. Des dizaines de milliers de combattants du monde arabe avaient alors convergé vers le pays et établi un réseau de madrasas, où ils prêchèrent le wahhabisme, une forme austère de l’islam qui s’est rapidement étendue dans le reste du pays.
Pendant le djihad anti-Soviet, des fonds en provenance d’Arabie Saoudite, véritable porte-étendard de l’islam wahhabite, ont permis d’étendre l’influence du wahhabisme et d’autres formes salafistes de l’islam jusqu’au Pakistan, faisant reculer les formes de culte plus anciennes.
Le soufisme, un bouclier contre le fondamentalisme ?
Au Pakistan, un pays qui produit une grande palette d’islamistes radicaux, le soufisme est perçu dans certains cercles comme un bouclier potentiel contre le fondamentalisme grandissant du monde musulman.
Jusqu’à présent, l’attentat de jeudi n’a pas été revendiqué. Un porte-parole des Taliban pakistanais a démenti toute implication dans l’attaque. "C’est une conspiration des services secrets étrangers", a déclaré le porte-parole du mouvement dans un entretien téléphonique avec l’AFP.
Au lendemain de l'attaque, certains experts se demandent si ces évènements affecteront le soufisme au Pakistan. "J'aurai peur de me rendre à nouveau au tombeau, confesse Raza Rumi. Ça devient dangereux. Je pense que je viens de perdre mon lieu de méditation préféré."