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Une réalité africaine douloureuse

Chaque année en Afrique, quatre millions de femmes avortent clandestinement, 300 000 en meurent. Sur l'ensemble du continent, l'avortement est légal dans seulement trois pays : l’Afrique du Sud, le Cap Vert et la Tunisie. Ailleurs, se faire avorter est puni de prison ou autorisé dans certains cas très limités.

L’avortement, tabou de la nouvelle Constitution au Kenya

Au Kenya, le projet de Constitution autoriserait pour la première fois l’avortement si la mère est en danger. Alors que l’avortement est pour le moment illégal, comme dans de nombreux pays africains, cette nouvelle disposition provoque la colère des religieux qui lancent une campagne pour le non lors du referendum prévu en août prochain. Selon un récent sondage, près de 70 % des kenyans rejettent l’avortement. Cela pourrait donc être un des principaux obstacles au oui pour cette Constitution attendue depuis plus d’une vingtaine d’années.

La campagne du référendum n’a pas officiellement commencé. Et pourtant, les églises chrétiennes mobilisent déjà leurs troupes. Entre prières, et prêches enflammés, le message est simple : il faut dire non au projet de constitution. La raison : l’avortement deviendrait légal, si la santé de la mère est en danger. Dans un rallye organisé à Machakos, des tracts anti avortement sont distribués par un groupe de jeunes. « L’avortement porte atteinte à la vie … Si nous légalisions l’avortement au Kenya, tout le monde ici… Nous n’existerions pas ! », estime Nicholas Maasai. “Dieu nous a créés tous pour avoir le même droit à la vie, une vie complète. Si un avortement a lieu, vous ôtez à quelqu’un son droit à la vie. Personne ne vous a ôté ce droit, votre mère ne vous a pas ôté ce droit, votre vie. Notre gouvernement va supprimer des vies innocentes », poursuit Priscilla Kilewe.

Mais pour gagner les esprits, les danses et les chants ne suffisent pas. A Limuru, à cent kilomètres au nord de Nairobi, ces pasteurs participent à un atelier que les églises protestantes sont en train de mettre en place dans tout le pays. La matinée est consacrée aux dévotions. Puis, Lilian Owiti, professeur de sociologie les questionne sur l’avortement pour qu’ils apprennent à défendre leurs arguments et persuader les fidèles. « -Quel argument vous utiliseriez dans ce cas particulier ? Sur l’avortement ? ». Un des pasteurs répond : « La formulation de cette clause autoriserait tout simplement les gens à pratiquer l’avortement et vous savez, dès que vous parlez de la santé de la reproduction, eh bien cela inclut l’avortement, ce qui revient à tuer, c’est du meurtre ».

300 000 avortements ont lieu chaque année en toute clandestinité au Kenya. A Kibéra, bidonville de Nairobi, la pauvreté et la prostitution poussent beaucoup de femmes à y recourir secrètement. Elles utilisent des objets coupants, se bourrent de médicaments, ou se tournent vers la médecine traditionnelle. Cette maternité de quartier accueille chaque semaine trois à quatre femmes qui ont avorté en cachette. Pour John Mongare le directeur, informer les femmes enceintes sur les risques qu’elles courent peut sauver bien des vies. « Moi je dirais que l’avortement devrait être légalisé. Pour sauver la vie de la mère. Plutôt que de risquer la vie des deux, on devait plutôt sauver la mère et avorter l’enfant ».

2000 femmes meurent chaque année des suites d’avortements clandestins. Mais les églises ne sont pas prêtes à baisser les armes. Et l’avenir de la constitution pourrait bien être suspendu à la question de l’avortement.

Avec nos invités :

  • Agnès GUILLAUME, démographe à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), auteur d’un rapport sur l’avortement en Afrique pour l’IRD
  • Stéphanie BRAQUEHAIS, correspondante de France 24 et RFI au Kenya, par téléphone de Nairobi (Kenya)

Émission préparée par Kate Williams, Marie Billon et Patrick Lovett