Les images amateur qui ont inondé le Web au lendemain des élections iraniennes du 12 juin 2009 sont à l'honneur d'une exposition parisienne. Au plus près d'une "révolution" Web.
Derrière une vitrine, entre deux magasins de la rue de Rivoli, des danseurs au visage voilé par un tissu blanc interpellent les passants, agitent des tissus bariolés, poussent de tout leur corps contre la vitre ou se figent dans une attitude implorante. À l'arrière-plan, des écrans diffusent des scènes de foule et de violences sur fond urbain. La scène tranche avec la frivolité qui est de mise sur cette artère commerçante du centre de Paris. Interloqués, les passants s’arrêtent, scrutent. Des adolescents rient nerveusement. Une dame examine les noms qu’un jeune homme inscrit au marqueur noir sur la vitrine : "C’est de l’arabe, on dirait"...
L’exposition "Action 1", montée par le collectif Ruban vert, vise à prolonger l’esprit de la "révolution verte" qui a suivi la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en Iran, le 12 juin 2009. Pendant des mois, les opposants se sont donné rendez-vous dans les rues de Téhéran, bravant une répression féroce, pour dénoncer des "élections volées".
itLes œuvres et performances présentées en plein centre de Paris s’appuient sur la prolifique production multimédia qui s’est frayée un chemin sur Internet malgré la censure pendant les semaines et les mois consécutifs à l’élection du 12 juin. Les nouvelles technologies ont alors permis de faire entendre les voix de milliers d’anonymes. Des milliers d'enregistrements ont été mis en ligne sur les sites communautaires comme YouTube et Facebook. Filmés sur des téléphones portables ou par de véritables cameramans, ils sont de qualité variable, mais souvent extrêmement poignants.
"Comme un film américain"
Ces anonymes ont aujourd’hui la parole dans une exposition qui s’efforce de les mettre en avant, sans dénaturer leur point de vue par un quelconque montage. "La star, c’est le peuple", assure Maryam*, vidéaste parisienne d’origine iranienne de 30 ans. Au total, une douzaine de vidéos a été sélectionnée pour cette première exposition. Des télévisions installées au rez-de-chaussée de la galerie invitent à un parcours à travers les manifestations qui ont jalonné le quotidien des Iraniens de juin à décembre.
Six d’entre elles montrent le même événement vu par six personnes différentes. La multiplication des vidéos amateur a fini par donner des airs de tournage professionnel aux manifestations. "C’est comme un film américain", s’exclame en riant la jeune artiste, qui a visionné des milliers de vidéos. Elle s’étonne encore du foisonnement d’images qui attestent d’événements que le pouvoir iranien aurait voulu taire. "Pour nous, c’est une preuve, une trace, dit-elle. Les Iraniens n’ont pas de mémoire, mais cette fois ils ne pourront pas oublier."
Restituer la parole des anonymes
Norvégien d'origine iranienne, Hooman Sharifi a choisi de recréer les événements de juin par le mouvement. Ses interprètes expriment le drame, l'incompréhension. En interpellant les passants de leurs gestes, ils expriment aussi le besoin d'être entendus. Le chorégraphe insiste sur la portée universelle de la contestation : "Il ne s'agit pas que de l'Iran, ces événements concernent le monde entier." Leyla abonde dans le même sens. Cette Iranienne a quitté son pays il y a plus de 25 ans. "Il s'agit de défendre la liberté de s'exprimer, de voter. Les grandes phrases ont un sens ici", assure celle qui, pourtant, n'avait "jamais milité de [sa] vie".
itCette consultante dans l’événementiel, mariée à un Français, a complètement basculé dans le militantisme au lendemain du 12 juin. Autour d’elle, le gros du contingent de Ruban vert est composé de jeunes professionnels et d’étudiants iraniens. Beaucoup sont artistes. La plupart assure, comme elle, qu’ils ne s’intéressaient pas beaucoup à la politique avant les élections du 12 juin. Aujourd’hui, leur vie personnelle ne tourne plus qu’autour de la cause "verte" et ils ont mobilisé leurs réseaux pour la promouvoir. Le comité de parrainage de l’événement compte de nombreuses personnalités françaises et étrangères - les artistes Christian Boltanski et Annette Messager, la photographe Sarah Wilson, le philosophe Michel Onfray, ou encore le président de Reporters sans frontières (RSF), Jean-François Julliard.
De l'universel à l'individu, le mot d’ordre de l'exposition est de restituer au plus près la parole de chacun des auteurs, le plus souvent des amateurs, qui commentent leurs images au fur et à mesure qu’ils les tournent. Ces commentaires, souvent occultés dans les médias par la voix des journalistes télé, reprennent ici leurs droits. "On a essayé de doser les images, pour ne pas montrer uniquement les plus dures, explique Maryam. L'idée est de faire revivre les événements comme les gens les ont vécus."
L'exposition est la première d'une série. "Action 2" est déjà programmée à la Maison des Métallos, du 14 au 31 juillet, dans le cadre de Paris-Quartier d’été. "Au début, on était aveugle. On se disait : 'On va gagner demain', poursuit Maryam, avant de conclure : Maintenant, on se dit : 'On va gagner dans le temps'. Un jour, peut-être pourra-t-on montrer ces images à Téhéran. Cela voudra dire qu'on est libre, qu'on a gagné".
Action 1 - 59Rivoli - 59 rue de Rivoli, Paris 1er - du 5 au 16 mai
* Les prénoms ont été changés