
Poursuivi dans trois affaires de malversations présumées qui se sont déroulées entre 1993 et 1995, quand il était ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua a affirmé être innocent des faits dont on l'accuse.
Charles Pasqua a affirmé son innocence au premier jour de son procès lundi. "Je suis innocent des faits qui me sont reprochés et j'espère que les débats le feront ressortir", a déclaré le sénateur UMP des Hauts-de-Seine devant la Cour de justice de la République (CJR).
Le procès s’annonce dense et rapide. En deux semaines, la CJR doit examiner trois affaires de corruption qui concernent Charles Pasqua alors qu’il était ministre de l’Intérieur du gouvernement d’Edouard Balladur de 1993 à 1995. La CJR entendra 57 témoins, dont l’actuel secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, et le conseiller du président Nicolas Sarkozy, Henri Guaino.
Homme au verbe haut, Charles Pasqua, qui a fêté ses 83 ans dimanche, est l'unique prévenu de ce procès de la CJR, seule juridiction compétente pour examiner une affaire visant un ministre dans l'exercice de ses fonctions (lire ci-dessous).
La Cour de justice de la République est une juridiction d’exception créée en 1993, suite au scandale du sang contaminé et la multiplication des affaires liées à la politique. Elle n’est compétente que pour des infractions commises par des ministres durant l’exercice de leurs fonctions. Elle compte quinze juges : trois magistrats de la Cour de cassation et douze parlementaires – six députés et six sénateurs – élus par leurs pairs.
Les 15 juges de la Cour doivent rendre leur verdict le 30 avril. Charles Pasqua encourt dix ans de prison. Mais son poste de sénateur des Hauts-de-Seine (Ile-de-France) le dote d’une immunité parlementaire, jusqu’aux prochaines élections de septembre 2011.
Les trois affaires
Dans l'affaire dite du casino d'Annemasse, Charles Pasqua est accusé d'avoir autorisé deux de ses amis, Michel Tomi et Robert Feliciaggi, d’exploiter cet établissement de jeux en Haute-Savoie en 1994, en échange de 7,5 millions de francs versés cinq ans plus tard pour le financement de sa campagne européenne de 1999. Charles Pasqua a déjà été condamné, début avril, à 18 mois de prison dans un des volets de cette affaire. Cette fois, il est renvoyé pour corruption passive.
En 1994 toujours, le ministre de l’Intérieur du gouvernement Balladur a autorisé le déménagement du siège d’une division de GEC-Alsthom. Cette décision coïncide avec le versement d’un pot-de-vin notamment à son fils Pierre-Philippe. Charles Pasqua est mis en examen pour "complicité et recel d'abus de biens sociaux".
Troisième affaire : l’affaire de la Sofremi, une société de droit privé, dépendant du ministère, qui fait la promotion des exportations de matériel dans les domaines de la police, de la défense et de la sécurité civile. De 1993 à 1995, la Sofremi a versé des commissions injustifiées à des personnes telles que Pierre-Philippe Pasqua, Jean-Jacques Guillet, secrétaire général du groupe RPR du Sénat et conseiller régional des Hauts-de-Seine, et Bernard Guillet, conseiller diplomatique de Charles Pasqua. Dans cette affaire, Pasqua fils et Pierre Falcone ont déjà été condamnés à deux ans de prison, dont un an ferme. Charles Pasqua est actuellement poursuivi pour "complicité d’abus de biens sociaux".
Charles Pasqua : "Je pourrais leur jeter un sort"
Dans les trois affaires qui sont jugées durant cette quinzaine, il n’apparaît pas que Charles Pasqua se soit enrichi personnellement. C’est d’ailleurs la ligne de défense des avocats du sénateur. "Les enquêteurs ont cherché partout, à aucun moment, ils n'ont pu prouver que M. Pasqua avait bénéficié de quoi que ce soit. Il n'y a que des déclarations de certains témoins qui se basent sur des ‘on-dit’", dénonce l'avocat Léon-Lef Forster.
Mais en tant que ministre, les décisions de Charles Pasqua ont permis des versements occultes sur les comptes de ses proches collaborateurs ou de son fils, à travers des sociétés-écrans basées à l’étranger. Ce mécanisme avait déjà été percé à jour lors du procès Alsthom en 2006. L’ancien PDG du groupe, Pierre Bilger, avait alors parlé d’une forme de "racket" d’Etat, orchestrée par des proches du ministre de l'Intérieur.
Charles Pasqua le reconnaît lui-même : il veut bien "assumer une certaine culture du secret". "C'est aussi sans doute un héritage de ma jeunesse", a-t-il déclaré dans une interview accordée à l’hebdomadaire "Le Point" daté du 15 avril . "Mais de là à être présenté moi-même comme un corrompu ! Ceux qui font cela ne savent pas qu'ils prennent des risques, je pourrais leur jeter un sort."
En victime de Jacques Chirac
Sa proximité avec l’actuelle garde rapprochée de l’Elysée – Henri Guaino fut fonctionnaire à l’aménagement du territoire sous Pasqua, Claude Guéant a exercé la fonction de secrétaire général de la préfecture des Hauts-de-Seine lorsque Charles Pasqua était le président du Conseil général, et directeur adjoint de cabinet sous les ordres de Charles Pasqua ministre – confère au procès une certaine importance. Sont également attendus à la barre : le marchand d’armes Pierre Falcone, incarcéré dans l'affaire de l'Angolagate, et le fils de Charles Pasqua.
Pour Charles Pasqua, le procès n’est autre que politique. Et il se place du côté de la victime. "Ce que je sais, c'est que mes ennuis judiciaires ont commencé en 2000, quand j'ai laissé entendre que je serais peut-être candidat à la présidentielle de 2002. Dès lors, tout a été fait pour m'abattre", déclare-t-il dans son entretien au "Point". Déjà, en octobre 2009, lors du procès de l’Angolagate, au terme duquel il a été condamné à un an de prison ferme, Charles Pasqua avait renvoyé la responsabilité de ses ennuis judiciaires à l’entourage de Jacques Chirac, accusé de contrer ses ambitions présidentielles.