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Au Quai Branly, l'Inde concilie tradition et modernité

Avec "Autres Maîtres de l'Inde", le musée du Quai Branly, à Paris, présente des œuvres tribales contemporaines des Adivasi, peuple autochtone de l'Inde rurale dont l'art est à la croisée des traditions et de la modernité.

AFP - L'art tribal de l'Inde est à l'honneur au musée du Quai Branly à Paris qui présente les réalisations contemporaines d'artistes issus de groupes autochtones. Des oeuvres émouvantes et fraîches où se mêlent tradition et contact avec la modernité.

L'exposition "Autres Maîtres de l'Inde", qui se tient jusqu'au 18 juillet, rend hommage aux créations des "Adivasi" ("les premiers habitants" en sanskrit), populations qui pré-existaient à l'arrivée des Hindous et ont été progressivement refoulées dans les montagnes et les forêts.

Aujourd'hui, ces tribus rurales, qui comptent environ 60 millions de personnes, restent à l'écart de l'organisation sociale de la communauté dominante hindoue tout en entretenant divers niveaux de contact avec elle.
Quand les Adivasi vont à la ville, c'est pour louer leurs bras. "Ils sont très mal payés et font partie des plus exploités", explique à l'AFP Jyotindra Jain, anthropologue et historien d'art, commissaire de l'exposition.
Dans les oeuvres de ces populations déshéritées, le personnage du policier est omniprésent. On le voit menotter les villageois. Les Adivasi ont toujours été "vulnérables face aux puissants", relève Jyotindra Jain, qui oeuvre depuis des années pour la reconnaissance de leur art tribal.
Trois artistes se sont déplacés à Paris pour présenter leurs propres oeuvres. Jusqu'à jeudi, ils oeuvrent à même le sol dans le musée pour montrer leur travail.
Jivya Soma Mashe, âgé d'environ 75 ans, est un artiste désormais reconnu internationalement mais il vit toujours dans son village de l'ouest de l'Inde. Le vieil homme au corps frêle, coiffé d'un bonnet rouge, déclare à l'AFP être "content" d'être à Paris où il vient pour la première fois. "Mais ce qui me plaît surtout, c'est d'être chez moi et de créer", ajoute-t-il, avec l'aide d'un traducteur.
Originaire de la tribu warli, cet orphelin a appris tout jeune à peindre, en regardant les femmes de son village chargées des peintures rituelles. Petit à petit, il a développé son propre imaginaire et a changé de support. Il est passé du mur au papier puis à la toile. Il dessine à présent avec de la gouache blanche en lieu et place de la poudre de riz.
Il raconte des histoires de chez lui, ses racines. Par exemple comment ses ancêtres se sont cachés dans des trous pour tenter d'échapper aux ennemis. Ou bien l'arrivée du train dans son village.
Son art, il l'a transmis à sa descendance. L'un de ses petits-fils, Vijay Mashe, âgé d'une vingtaine d'années, est à ses côtés au musée du Quai Branly, peignant accroupi dans le style de son grand-père.
Présente elle aussi à Paris, Sundaribai, 55 ans, originaire du centre de l'Inde, vient de réaliser une tour Eiffel en argile.
Les rouleaux peints de Madhu Chitrakar, artiste du nord-est de l'Inde, livrent sa vision de l'attentat du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center. Ou du tsunami de 2004.
Mais le succès récent de cet art tribal contemporain, avec les tensions qu'il génère, n'est pas toujours facile à vivre pour les artistes. En 2001, Jangarh Singh Shyam, artiste reconnu pour ses créatures imaginaires en pointillé et couleurs vives, s'est suicidé au Japon. Il avait 37 ans et "ne supportait pas la pression exercée sur lui pour qu'il produise toujours plus d'oeuvres loin de chez lui", selon Jyotindra Jain.
("Autres maîtres de l'Inde. Musée du Quai Branly. Paris. Jusqu'au 18 juillet.
Catalogue coédité par le musée du Quai Branly et Somogy. 160 pages. 95 illustrations)