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Selon le documentaire "Birmanie : résistance, business et secret nucléaire" du journaliste français Paul Moreira, Alcatel-Lucent aurait installé un réseau de télécommunications en Birmanie qui permettrait à la junte d’espionner les opposants.

Le dernier documentaire du journaliste français Paul Moreira intitulé "Birmanie : résistance, business et secret nucléaire" révèle que, en dépit des sanctions internationales qui touchent le pays, plusieurs grandes multinationales ont discrètement signé de juteux contrats avec la junte militaire qui le dirige.

Interviewé par FRANCE 24, Paul Moreira raconte que son enquête s’attarde sur le cas d'Alcatel-Lucent. Selon lui, le géant franco-américain des télécoms a installé un réseau de télécommunications en Birmanie qui permettrait à la junte d’espionner citoyens, journalistes, blogueurs et opposants au régime, au mépris d'éventuelles sanctions internationales.

“Ils mettent en place un fournisseur d’accès à Internet à des fins militaires, qui sera ensuite étendu au reste du pays pour un usage civil”, explique-t-il.

Il a fallu six mois à Moreira pour réaliser son documentaire. Pendant les deux semaines qu'il a passées en Birmanie, celui-ci a découvert que les responsables birmans qualifiaient l'installation d'Alcatel de “sécurité garantie”. Ce qui lui permet d'en conclure que le système “améliore le contrôle du [gouvernement] sur tous les moyens de communications” birmans, dont les images, les blogs, les vidéos et les documents faisant référence à l’oppression subie par l’opposition.

“Les blogueurs et les journalistes ont été arrêtés par dizaines dans le pays. Quelqu’un - ou quelque chose - les a forcement dénoncés“, estime-t-il.

“Interception légitime”

Alcatel pourrait avoir fourni à la junte une technologie baptisée “Interception légitime” permettant aux autorités d'écouter ce qui est dit ou ce qui s'écrit sur n'importe quel réseau de communication numérique, pense-t-il.

“Alcatel l’a transmise aux Chinois. Les Chinois l’ont-ils ensuite donnée aux Birmans ? Eux disent que non… Je n'en suis pas convaincu, mais je ne peux rien prouver”, confie Moreira.

Contactée par FRANCE 24, Alix Cavallari, la porte-parole d'Alcatel-Lucent, affirme que l'entreprise "n'a jamais livré un quelconque système de filtrage de communications au Myanmar".

Des opérations ambigües

“Personne n’est vraiment sûr de ce qu’Alcatel-Lucent fait là-bas, poursuit toutefois le journaliste. En général, la société fait preuve d’une grande transparence, mais dans ce cas précis, son site Web n'a jamais fait allusion au projet".

"Même en Birmanie, on ne sait pas grand chose, poursuit-il. Les bureaux d'Alcatel dans le pays étaient installés dans un hôtel utilisé par les militaires quand ils veulent faire des affaires.”

En réponse aux mails que lui a adressés FRANCE 24, Alix Cavallari explique que l'activité d'Alcatel en Birmanie découle d'un contrat signé avec la Chine en 2006.

"À la suite de la signature d'un contrat financé par le gouvernement chinois en 2006, Alcatel-Lucent, par le biais de sa filiale Alcatel Shanghai Bell, a participé à la construction d'une autoroute de l’information au Myanmar", affirme-t-elle, avant d'expliquer que sa compagnie est au courant de la situation qui prévaut dans le pays et que les investissements qu’elle y effectue contribuent à son développement.

Pourtant, quand on tape le terme “Myanmar” sur le site Web du groupe, seuls quatre résultats apparaissent, et aucun d’entre eux n’a de rapport avec le projet en question. Quant à une recherche avec le mot “Birmanie”, elle ne donne pas plus de résultat.

Sanctions

En revanche, l'un des documents disponibles sur le site d’Alcatel-Lucent est une lettre datant de 2007, qui assure aux employés du groupe que les sanctions américaines imposées aux sociétés investissant en Birmanie ne s’appliquent pas à l'entreprise, dans la mesure où celle-ci n'est pas totalement américaine. Le document précise toutefois que les citoyens américains travaillant dans le pays encourent toujours des sanctions.

L’Union européenne, quant à elle, n'a pris des mesures qu'à l'encontre des membres de la junte au pouvoir, leurs familles et certaines sociétés. Elles ne s’appliquent pas, en revanche, aux compagnies occidentales qui investissent dans le pays.