
Après avoir reçu le Grand Prix de la meilleure baguette de Paris, Djibril Bodian a repris le travail. Dans sa boulangerie, les clients affluent pour goûter au fameux pain qui sera servi à la table de l’Élysée. Mais l’artisan garde la tête froide.
La nouvelle s’est répandue comme une traînée de farine. Trois jours à peine après que Djibril Bodian a décroché le Grand Prix de la meilleure baguette artisanale de Paris, des touristes italiens se pressent déjà au "grenier à pain", une petite boutique installée à Abbesses, au pied de Montmartre, le quartier d’Amélie Poulain.
"Je n’arrive pas vraiment à réaliser", répète l’artisan dont la baguette est, selon les experts, "odorante", "croustillante", "de bel aspect", "parfaitement cuite" et, bien sûr, "goûteuse".
Le jury international a choisi la baguette de ce jeune boulanger d’origine sénégalaise parmi 163 participants. L’ingrédient secret qui a fait la différence ? L’huile de coude, répond l’intéressé, qui se présentait au concours pour la cinquième fois.
L’artisan de 33 ans, de nature calme aux dires de ses collègues, garde les pieds sur terre. Il tient peut-être cela de son père, qui l’a tout juste félicité de sa victoire. "C’est parce qu’il est jaloux, il aurait voulu le titre pour lui !", plaisante Djibril Bodian.
Né à Dakar, mais "100 % français"
Son père, boulanger lui aussi, a quitté le Sénégal pour la France en 1981. Deux ans plus tard, sa famille le rejoignait à Saint-Denis, en banlieue parisienne. Djibril avait alors 6 ans. "Mais je suis 100 % français !", précise-t-il, devançant la question sur ses origines africaines. D’ailleurs, intervient avec humour Claudine, la cinquantaine, en charge des sandwiches de la boulangerie, "son plat préféré, c’est un poulet rôti avec du gratin dauphinois !"
Revenant à son parcours, Djibril raconte qu’à la sortie des classes, il retrouvait son père dans son fournil. "Je mettais le bazar, je dérangeais tout", se souvient-il.
"Avant la boulangerie ? Je dealais de la drogue", plaisante-t-il, en se moquant des clichés racistes, avant de reprendre : "En fait, en troisième, je voulais faire un CAP mécanicien mais mon père n’a pas voulu. Alors j’ai fait comme mon frère, un CAP pâtisserie. Deux ans plus tard, j’ai bifurqué vers la boulangerie." Vers UNE boulangerie en particulier. Celle de la rue des Abbesses, la seule pour laquelle il a travaillé et dont il reprendra, en avril, la gérance.
Après sa récente victoire, Djibril a repris son travail dans le fond de la boutique. Consciencieusement, il guette son four, où ses pains dorent tranquillement. "La récompense ne va pas changer grand-chose à mon travail", dit-il. Pourtant, outre ses nouveaux clients - le vainqueur du Grand Prix de la meilleure baguette de Paris l'an dernier a vu ses ventes bondir de 20 % -, il doit désormais prévoir la livraison d'un nouveau et prestigieux client pour l'année à venir : le palais de l'Élysée...