Lors d'une conférence de presse commune, Nicolas Sarkozy et Gordon Brown ont dénoncé la manière dont a été géré l'appel d'offres portant sur des avions ravitailleurs de l'US Air Force. Un contrat que Boeing et Airbus se disputent depuis des années.
Protectionnisme américain. L’accusation est lancée par deux des plus hauts dirigeants européens, le président français Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique Gordon Brown, qui se rencontraient, ce vendredi, à Londres. Si les Américains "veulent être entendus dans la lutte contre le protectionnisme, qu'ils ne donnent pas l'exemple du protectionnisme", a souligné Nicolas Sarkozy, lors d'une conférence de presse commune.
Le retrait forcé d'Airbus de l'appel d'offres, pour 35 milliards d'euros, d'avions militaires ravitailleurs américains au profit exclusif de Boeing, désormais seul en lice, continue ainsi de susciter de fortes réactions côté européen. "Ce n'est pas des méthodes, a lancé le président français. Ce sont des méthodes qui ne sont pas bonnes à l'endroit des alliés européens des Etats-Unis, et ce sont des méthodes qui ne sont pas bonnes pour les Etats-Unis qui sont une grande nation [...] avec laquelle nous sommes proches et amis."
Gordon Brown a renchéri, se déclarant "très déçu" par la décision américaine. "Nous considérons qu'il faut avoir des marchés libres et une concurrence libre", a-t-il dit.
Le Pentagone a rejeté ces accusations de protectionnisme, un peu plus tard ce vendredi. Le sous-secrétaire américain à la Défense a assuré que le Pentagone était "en faveur" de la participation de l'industrie européenne de défense aux appels d'offres américains.
"Enorme frustration"
La polémique court depuis lundi, lorsque Airbus, filiale du constructeur aéronautique européen EADS, a perdu son allié crucial sur le sol américain pour répondre au contrat d’avions-ravitailleurs américains : Northrop Grumman s'est en effet retiré à moins de 60 jours de l'échéance.
Le patron d'Airbus, Thomas Enders, a dénoncé dans un entretien accordé, mardi, au quotidien économique Financial Times Deutschland, un appel d'offres "biaisé en faveur d'un avion plus petit et moins performant de la concurrence". De son côté, le ministre allemand de l'Economie, Rainer Brüderle, s'est indigné le même jour de "la pression politique" qui s'est transformée en "un appel d'offres sur mesure pour Boeing".
Du côté d'EADS, le PDG Louis Gallois n'a pas caché son "énorme frustration", jeudi, au micro de RTL. "Ça nous aurait permis d'installer aux Etats-Unis une chaîne d'assemblage". Et, partant, de concurrencer directement Boeing sur son sol.
Discussions secrètes ?
Ce qui fait tiquer les Européens, c’est le changement des critères de l’appel d’offres entre 2008 et 2010. "Ces changements de critères montrent, conjointement avec l'arrivée de la crise économique, que le climat à Washington a changé", explique à France24.com Nicola Clark, journaliste américaine, spécialiste aéronautique pour le New York Times et International Herald Tribune. "Il y a des craintes, pas vraiment justifiées, de voir un consortium européen faire disparaître des emplois américains."
"Il n'est pas inconvenant de parler d'un recentrage protectionniste, confirme Christian Harbulot, directeur de l'Ecole de guerre économique (EGE), dans un entretien à France24.com. Après le changement de conjoncture économique, on assiste à un recentrage de la politique américaine, qui va chercher à favoriser ses propres intérêts industriels."
Ce contrat aéronautique militaire est "un enjeu qui peut avoir des répercussions financières et symboliques très fortes, analyse pour sa part Christian Harbulot. Il n'est pas impossible qu'il y ait eu une négociation de l'administration américaine avec Northrop, des discussions discrètes, surtout sur un secteur aussi stratégique", affirme-t-il. Une version que Nicola Clark ne prend pas au sérieux. "Northrop est très puissant à Washington, avec son propre lobby, explique-t-elle. Une telle manœuvre ne me paraît pas réaliste."
Sarkozy à Washington fin mars
Depuis des années, Airbus et Boieng se disputent cet important contrat. Gagné par Boeing en 2003, il avait été annulé pour irrégularités. Puis remporté par Airbus et Northrop Grumman en 2008, avant d'être de nouveau résilié.
Ce troisième appel d'offres doit arriver à échéance le 10 mai. Airbus peut-il trouver, en moins de 60 jours, un nouveau partenaire américain ? De l'aveu même de Louis Gallois, cela paraît "très improbable".
Le président français Nicolas Sarkozy doit s’en entretenir avec son homologue américain Barack Obama, à la fin mars, à Washington.