![La CIA a-t-elle tenté d'empoisonner le village de Pont-Saint-Esprit ? La CIA a-t-elle tenté d'empoisonner le village de Pont-Saint-Esprit ?](/data/posts/2022/07/15/1657883961_La-CIA-a-t-elle-tente-d-empoisonner-le-village-de-Pont-Saint-Esprit.jpg)
Un journaliste américain accuse la CIA d'avoir mené, en 1951, des expériences secrètes qui auraient plongé la population d'un village du sud de la France dans un état de démence. Une allégation qui ne convainc pas tout le monde...
Cinq morts, plus de 300 malades, une trentaine d'habitants hospitalisés en psychiatrie, tous saisis du mal appelé le "pain maudit". Cela se passe durant l'été 1951, à Pont-Saint-Esprit, une petite ville du Gard, dans le sud de la France. Près de 60 ans plus tard, un journaliste américain Hank Albarelli affirme que la CIA est à l'origine de cette mystérieuse intoxication. Mais pour l'historien américain Steven Kaplan, qui a également enquêté sur l'affaire, cette nouvelle thèse manque de "preuves solides".
Dans un ouvrage paru en 2009 aux Etats-Unis, et intitulé "A Terrible Mistake : The Murder of Frank Olson and the CIA's Secret Cold War Experiments", Hank Albarelli affirme que la fameuse agence de renseignements aurait conduit à Pont-Saint-Esprit des tests chimiques grandeur nature, à l'insu de la population. Dans son édition du 3 mars, l'hebdomadaire "Les Inrockuptibles" rapporte ainsi que l'ouvrage accuse la CIA d'y avoir mené une "expérience secrète sur les effets du LSD", conjointement avec l'armée américaine.
Images d'archives de l'INA sur l'affaire du pain maudit
Les habitants de Pont-Saint-Esprit ont-ils ainsi servi de cobayes ? Le 17 août 1951, environ 300 d'entre eux subissent ce qui ressemble à une vaste intoxication alimentaire. Mais aux premiers symptômes, tels que les vomissements et les maux de tête, s'ajoutent quelques jours plus tard des accès de folie, hallucinations et tentatives de suicide. L'un des médecins locaux parla à l'époque d'une "nuit de l'apocalypse".
Pour conforter sa thèse, Hank Albarelli se base sur une transcription, qu'il a obtenue, d'une conversation entre la CIA et le laboratoire suisse Sandoz, qui découvrit la drogue LSD en 1938. Le laboratoire y évoquerait "le secret de Pont-Saint-Esprit" et le diéthylamide, nom scientifique partiel de la molécule du LSD. Il s'appuie sur une autre affirmation troublante. D'anciens chercheurs pour la CIA à Fort Detrick, aux Etats-Unis, lui auraient en effet déclaré que la ville du Gard a subi une "pulvérisation aérienne" à base de LSD. Cet "échec complet", dixit les chercheurs, aurait été suivi par une seconde phase de contamination de "produits alimentaires locaux".
"Incohérences cliniques" et "logistique farfelue"
"J'ai plusieurs objections sur ces minces preuves contre la CIA", avance l'historien Steven Kaplan, qui a publié en 2008 "Le Pain maudit" (Fayard). "Des incohérences cliniques tout d'abord : quelques heures suffisent pour que les effets psychologiques du LSD se fassent ressentir, or les habitants n'ont été frappés qu'après 36 heures, explique-t-il à France24.com. D'autre part, il n'y a jamais, avec le LSD, de problèmes digestifs ou d'effet végétatif qui ont été décrits par les habitants."
Enfin, pour Steve Kaplan, la logistique avancée est "farfelue". "Délivrer une telle drogue de synthèse très toxique sur du pain est fantaisiste, argumente-t-il. Quant à la pulvérisation, c'était techniquement impossible à l'époque. Mais, surtout, le choix de Pont-Saint-Esprit, à moitié détruite par les bombardements américains contre l'armée allemande lors de la Seconde Guerre mondiale, ne fait aucun sens."
L'hypothèse d'une implication de la CIA n'est pas la seule émise depuis 1951. La plus répandue accuse le pain de la boulangerie de Pont-Saint-Esprit. Un champignon aurait pu contaminer le seigle utilisé dans sa fabrication, provoquant l'ergotisme, un empoisonnement qui affecte psychologiquement le patient. Mais, sans preuve scientifique, cette version a depuis été contestée car l'ergotisme n'existe plus en France depuis le XVIIIe siècle.
Aussi, l'énigme court-elle toujours. Et l'historien Steven Kaplan de conclure, malgré cette nouvelle thèse apportée, qu'il n'y a "pas de nouveaux éléments" pour déterminer ce qu'était le mal de Pont-Saint-Esprit.