Pour Laurent Fourchard, spécialiste du Nigeria au Centre d'études d'Afrique noire (Cean), les violences du week-end dernier à Jos sont avant tout "des manœuvres de déstabilisation sur la scène politique locale".
France24.com : Peut-on parler d'affrontements "ethnico-religieux" à propos des tueries de dimanche dans la ville de Jos ?
Laurent Fourchard : Ce qui me semble gênant dans la façon dont la presse locale et internationale relate les faits, c'est d'opposer des ethnies, les Haoussas et les Fulanis, majoritairement musulmans, d’un côté, et les Berom, majoritairement chrétiens de l’autre. Ces violences, auxquelles nous assistons depuis 2001, sont d'abord le fait de milices armées, non de populations ou d'ethnies qui prennent des machettes pour s'entretuer. Il ne s'agit certes pas d'organisations institutionnalisées, mais quand la presse parle "d'affrontements inter-ethniques", c’est une lecture insuffisante des événements, qui ne mentionne pas suffisamment le rôle de ces organisations armées. Sans elles, il n'y aurait pas eu un tel déchaînement de violence, localisé dans tel village, à tel moment précis.
Ces violences ne s’inscrivent-elles pas, cependant, dans le cadre d’une rivalité ethnique ?
Il s'agit d'une longue histoire propre à l'État du Plateau. En 1999, le retour à la démocratie dans le pays a entamé le relatif monopole qu'avaient les musulmans dans certains gouvernements locaux de cet État, notamment à Jos. À l’époque, le président du gouvernement local de Jos, un chrétien du People Democratic Party (PDP, parti du président nigérian), a ainsi retiré aux musulmans leur "certificat d'indigénéité". Ce certificat donne des droits : accès à des postes dans l'administration des gouvernements locaux, aux écoles publiques et aux universités, à la propriété, par exemple.
Or si, au Nigeria, cette division entre indigènes et non indigènes est acceptée dans l’ensemble, ce n’est pas le cas dans l'État du Plateau. Les Haoussas, qui ont été les premières populations de la ville de Jos, se disent autant autochtones que les populations locales du Plateau. Ainsi, les affrontements qui ont lieu depuis 2001 sont, d'après ce que j'en comprends, une remise en question de cet équilibre politique précaire entre indigènes et non indigènes.
Ils révèlent un conflit d'autochtonie, exacerbé par des rivalités politiques locales intenses et par le poids croissant des milices qui convoquent un répertoire religieux ou xénophobe.
Pourquoi l'armée n'intervient-elle pas ?
Ce qui est étonnant, c'est avant tout son manque de réactivité. Les associations chrétiennes vont jusqu'à accuser l'armée d'être aux mains des musulmans. Mais cette thèse est peu crédible : les massacres se perpétuent dans les deux camps, et chaque fois, les forces de sécurité n'interviennent pas à temps. Je crois surtout que l'armée a du mal à se mobiliser rapidement, parce qu'elle rencontre des problèmes logistiques.