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Les Algériennes goûtent à l'opium du peuple

Elles sont venues par milliers soutenir l'équipe de football algérienne, qui disputait, le 3 mars à Alger, un match amical de préparation au Mondial-2010 contre la Serbie. Jamais le stade du 5-Juillet n'avait vu une telle affluence féminine.

Pour beaucoup d'entre elles, le rendez-vous s'apparentait à "un devoir national". Elles étaient plus de 4 000 en provenance de toutes les régions du pays à scander "One, two, three, Viva Algérie !" en portant le drapeau national vert-rouge-blanc. Étudiante à l'Institut de gestion d’Alger, Amina confie à France24.com avoir payé son billet 1 200 dinars au marché noir (environ 12 euros) pour assister, le 3 mars, à Alger, à la rencontre Algérie-Serbie, match préparatoire au Mondial-2010. "Il ne restait plus de tickets, raconte-t-elle. J’étais prête à payer le double pour assister à ce match, même si les conditions n’étaient pas très favorables pour les femmes, à laquelle certains ont reproché de porter la poisse aux Verts."

"Davantage citoyennes que supportrices de football"

En Algérie, les femmes n’ont jamais vraiment été les bienvenues dans les stades. Peu d’entre elles s’installent dans les gradins les soirs de championnat. "Le sport-roi passe pour une discipline hautement masculine, voire 'machiste'", explique l'écrivain et journaliste sportif algérien Moustapha Ben Fodil.

Toutefois, la qualification des Fennecs, en novembre dernier, pour la prochaine Coupe du monde contre l’Egypte, semble avoir (un peu) changé la donne en ce qui concerne l’équipe nationale. "L’ampleur de l’enjeu, le contexte belliqueux et le nationalisme exacerbé dans lequel s’est déroulé la rencontre ont conduit les Algériennes à s’intéresser au match, davantage comme citoyennes que comme supportrices de football, reprend Ben Fodil, qui estime pourtant que le phénomène n’est que temporaire. Nos stades resteront longtemps encore des territoires d’où est exclue la gent féminine."

Lors du match contre la Serbie, la présence des femmes dans le stade avait été largement facilitée par le ministère de la Jeunesse et des Sports et la Fédération algérienne de football leur qui avaient réservé une tribune. "En leur consacrant un espace particulier, les autorités algériennes les ont évidemment incitées à s’emparer des tribunes. Mais l’initiative n’en témoigne pas moins d’une évolution des mentalités en Algérie. En donnant aux femmes la possibilité de fréquenter un endroit public qui restait jusque là exclusivement réservé aux hommes, le pouvoir laisse entendre qu’il est prêt à accorder davantage de liberté aux femmes dans une société encore très largement masculine", décrypte le sociologue algérien Nasser Jabi.

"Nous sommes dans une phase de changement des mentalités"

Pour Ali Bouzidi, le directeur des Jeunes et du Sport dans la wilaya (préfecture) d’Aïn Defla (Ouest), "il s'agit d'un phénomène nouveau auquel les Algériens ne sont pas habitués. Si les femmes en sont venues à s'intéresser au football, c'est parce que les hommes sont moins dominants et leur ont accordé, selon les traditions et principes de la société, 'la permission' de pénétrer cet univers. Peut-être cette présence féminine adoucira-t-elle l'atmosphère de plus en plus violente qui règne dans les stades. Les hommes commencent à s’habituer à leur présence dans le monde du football, et non plus seulement dans les domaines de l'éducation et de la médecine…"


La bataille des femmes algériennes pour infiltrer le petit monde du ballon rond ne date cependant pas de la rencontre Algérie-Serbie. Elle avait commencé des mois plus tôt sur le Web, notamment sur Facebook, qui a connu une fréquentation croissante depuis que les Fennecs ont pris le chemin du Mondial. Parmi ces internautes, Rima Seguilani, architecte à Paris, est l’une des sportives algériennes les plus actives sur Internet. Elle assure que "des milliers de jeunes Algériennes supportent les Verts et Blancs sur la Toile, surtout sur [s]es sites, baptisés '100 000 fans de l’équipe nationale avant le Mondial' et 'l’équipe nationale algérienne'. Certaines partagent leurs dernières informations sur l’équipe et ses déplacements, à tel point qu'elles rivalisent de 'professionnalisme' avec les journalistes dans leur façon de suivre l’actualité et de la présenter au public", assure la jeune femme non sans un brin de fierté.

"Beaucoup d’entre elles n’ont pas eu la chance d’assister au match entre l'Algérie et la Serbie, mais cela ne les a pas découragées. Elles continuent à multiplier les initiatives destinées à soutenir l’équipe nationale", reprend Rima. En vraie supportrice, elle a déjà planifié sa Coupe du monde : "J’ai pris mon congé annuel en juin pour pouvoir assister aux matchs en Algérie et sortir faire la fête en cas de victoire !", lance-t-elle enthousiaste.