À quelques jours des élections régionales françaises, un collectif de cinéastes renommés fait campagne à sa manière. Il lance un court-métrage demandant la régularisation des travailleurs sans papiers.
Ils sont allés sur les piquets de grève. Ont filmé en plans fixes des travailleurs sans papiers qui expliquent leur situation, montrent leur fiche de paie, dévoilent le nom de leurs employeurs - Matignon, Bouygues, Assemblée nationale, Naf Naf... Ils en ont tiré trois minutes choc.
Ces cinéastes regroupés au sein d'un collectif portent des noms illustres : Arnaud Desplechin, Costa Gavras, Patrice Chéreau, Abdellatif Kechiche, Cédric Klapisch... - impossible malheureusement de savoir qui était derrière la caméra, ou qui a monté quoi. Mais ils ont donné la parole à certains des 6 000 anonymes qui sont en grève depuis le 12 octobre pour obtenir des papiers. Le court-métrage a été tourné et monté en trois semaines. Factuel, direct, en coup de poing.
Laurent Cantet, le réalisateur du film "Entre les murs", Palme d'or à Cannes en 2008, a souhaité "donner la parole à ces milliers de personnes qui font grève dans une espèce d'indifférence. On sait vaguement faire des films. Profitons-en pour créer une caisse de résonance à ce mouvement", explique celui-ci.
"Vous voyez cette belle tour Axa, c'est nous qui avons construit ça." "J'ai travaillé à l'hôtel Matignon comme plongeur." "On livre à Carrefour, Monoprix, Franprix, Cora..." : les hommes et femmes qui racontent leur quotidien sont employés dans des entreprises réputées, des établissements qui structurent l'économie et la société françaises. Ils ont tous les papiers nécessaires - qui la fiche d'impôt, qui le papier à entête de l'Assemblée nationale, qui la fiche de paie montrant les cotisations Urssaf et CSG... -, sauf le sésame : la carte de séjour.
Témoignage d'un sans-papiers
Leurs témoignages montrent la perversité du système par lequel ils sont happés. "Quand tu as de bons papiers, ils [les employeurs, ndlr] ne te prennent jamais. Si tu as de faux papiers, ils te donnent du boulot, mais te paient comme ils veulent." C'est "kafkaïen", comme l'exprime Matthieu Amalric, acteur fétiche du cinéma français, venu à la soirée de présentation du film dans un amphithéâtre de la Cinémathèque française, lundi soir. "Et ces gens sont accusés de ne pas s'intégrer... !"
"J'ai servi la quasi-totalité du gouvernement..."
Lors de la présentation du film, un sans-papiers raconte son histoire, ubuesque s'il en est. "J'ai travaillé à Matignon, et aussi à Radio France en tant que serveur. J'ai servi la quasi-totalité du gouvernement : Christine Lagarde, Brice Hortefeux... Quand j'ai raconté ça à mes camarades, ils m'ont demandé pourquoi je n'ai pas demandé ma régularisation. J'ai rétorqué que j'avais peur, et que je n'étais pas là pour ça ! Je suis resté professionnel jusqu'au bout."
Plusieurs artistes du 7e art avaient déjà apporté leur voix au débat sur la régularisation des sans-papiers en 2007 avec le film "Laissez-les grandir ici", diffusé quelques semaines avant la présidentielle. Depuis, le court-métrage a été "vu par 2,5 millions de personnes", selon Laurent Cantet. Sa sortie coïncidait avec la naissance du Réseau éducation sans frontières (RESF). "Les idées que défend le film - défendre les enfants sans papiers scolarisés - sont presque devenues une évidence pour tout le monde. On espère qu'il en sera de même pour les travailleurs sans papiers."
Le film de trois minutes, intitulé "On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici!", est disponible sur Internet à partir d'aujourd'hui. Il sera distribué à partir du 10 mars dans 500 cinémas d'art et d'essai français.
(crédit photo : © Rondeau.Lanvin)