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Le Traité de libre-échange UE-Mercosur cristallise les divergences entre Paris et Bruxelles
L’accord commercial entre l’Union européenne et les pays du Mercosur s’apprête à vivre une semaine décisive, alors que la France, une nouvelle fois confrontée à la colère des agriculteurs, tente encore de s’y opposer et que le Parlement européen se prononce mardi sur une modification du texte.
Des agriculteurs français manifestent contre le traité de libre-échange UE-Mercosur, le 14 octobre 2025, sur le Champ de Mars à proximité de la Tour Eiffel à Paris. © Michel Euler, AP

Qui aura le dernier mot ? Alors que la Commission européenne souhaite conclure en fin de semaine au Brésil l’accord sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay), la France s’active pour obtenir un report du vote des États-membres prévu entre mardi 16 et vendredi 19 décembre.

Pour rappel, les contours de ce traité sont négociés par Bruxelles et le Mercosur depuis plus de vingt-cinq ans. L'accord favoriserait les exportations européennes de voitures, de machines, de vins et de spiritueux, selon la Commission européenne. En retour, il faciliterait l'entrée en Europe de viande, sucre, riz, miel ou soja sud-américains, ce qui alarme les filières.

En pleine colère des éleveurs de bovins en raison de la gestion par l’exécutif de l’épidémie de dermatose nodulaire contagieuse (DNC), Emmanuel Macron a conscience que donner cette semaine son feu vert à l’accord commercial serait une décision politique inflammable.

Le Parlement européen doit par ailleurs se prononcer mardi 16 décembre sur un renforcement des mesures de sauvegarde inscrites dans le traité, ce qui pourrait aussi retarder la signature du traité.

La semaine s’annonce donc décisive pour l’avenir de l’accord UE-Mercosur. France 24 fait le point.

  • Opposée au traité, la France manœuvre pour reporter un vote décisif

Un Conseil européen se tient jeudi 18 et vendredi 19 décembre à Bruxelles. Les États-membres doivent se prononcer définitivement sur l’accord commercial entre l’UE et les pays du Mercosur. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, espère obtenir le feu vert des Vingt-Sept afin de conclure le traité lors du sommet du Mercosur, samedi 20 décembre, dans la ville brésilienne de Foz do Iguaçu.

Mais Paris a officiellement demandé le report du vote des États européens. "À ce stade, le compte n'y est pas pour protéger les agriculteurs français. Les exigences françaises n'ont pas été remplies", a fait savoir l’Élysée dimanche soir.

La France, dont l’Assemblée nationale a adopté le 27 novembre à l’unanimité une résolution contre l'accord UE-Mercosur, souhaite que l'accord soit accompagné de clauses de sauvegarde afin de protéger "les filières de production agricole de toute perturbation de marché", mais aussi de "mesures-miroir, notamment sur les pesticides et l'alimentation animale, afin que les produits importés entrant sur le marché intérieur respectent impérativement les normes environnementales", a rappelé Matignon. Elle demande enfin le renforcement des contrôles sur les produits agricoles importés.

"Si l'accord restait en l'état, le président de la République, le Premier ministre, le gouvernement l'ont dit, c'est non, ça n'est pas acceptable", a déclaré lundi matin Annie Genevard, ministre française de l'Agriculture, sur France 2. "Rien aujourd'hui ne permet en l'état, si les choses ne bougent pas, s'il n'y a pas de meilleure protection, de signer cet accord."

Paris tente de rallier à sa position d’autres capitales européennes. La Pologne, la Hongrie, l’Autriche et l’Irlande soutiennent la France. Et l’Italie pourrait se joindre à eux : la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, et le président français, Emmanuel Macron, se sont mis d'accord lundi sur la nécessité d'un report du vote définitif sur l'accord commercial UE-Mercosur, selon l’agence de presse Reuters, qui précise que ni l'Élysée ni le bureau de Giorgia Meloni n’ont répondu à une demande de commentaires.

  • Un sujet explosif en pleine crise agricole

La position française s’explique depuis plusieurs années par l’opposition des syndicats agricoles à ce traité de libre-échange. Mais leur colère est exacerbée ces dernières semaines par la propagation de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) qui a conduit à l’abattage de plusieurs milliers de bovins.

Blocage de routes et d’autoroutes, occupation de ronds-points, déversement de lisier : les éleveurs français ont multiplié les actions ces derniers jours pour protester contre la gestion de l’épidémie par le gouvernement. Dans ce contexte, laisser l’accord UE-Mercosur être conclu risquerait d’embraser la situation et la France pourrait de nouveau être confrontée, comme il y a deux ans, à d’importantes manifestations de l’ensemble des agriculteurs.

D’autant que les syndicats agricoles européens, eux aussi opposés au traité commercial, maintiennent la pression. Ils ont appelé à manifester jeudi à Bruxelles et promettent l’arrivée de 10 000 agriculteurs dans la capitale belge. Ils estiment que l'accord ouvre la voie à l'importation à bas coût de marchandises sud-américaines – en particulier le bœuf – ne répondant pas aux normes environnementales et sanitaires de l'UE.

  • La Commission européenne décidée à conclure coûte que coûte

De son côté, la Commission européenne est déterminée à conclure le traité avec le Mercosur. Elle a opposé lundi une fin de non-recevoir à la demande française. "L'accord est une question de la plus haute importance pour l'Union européenne, sur les plans économique, diplomatique et géopolitique, mais aussi en termes de responsabilité sur la scène mondiale", a déclaré à la presse le porte-parole de la Commission Olof Gill, ajoutant que l'exécutif européen espérait toujours que l'accord commercial soit signé d'ici la fin de l'année.

Allemands, Espagnols et Scandinaves misent sur cet accord pour relancer une économie européenne à la peine face à la concurrence chinoise et aux taxes douanières des États-Unis.

"S'il n'y a pas de compromis cette semaine, on risque une crise européenne grave. Ce sera un grand échec pour la Commission, pour l'Allemagne et pour l'Espagne", met aussi en garde un diplomate européen interrogé par l’AFP, sous couvert de l'anonymat.

Pour que l’accord soit approuvé, une majorité qualifiée – soit vingt États représentant au moins 65 % de la population de l’UE – des États-membres suffit. À l’inverse, l'opposition d'au moins quatre États-membres représentant au moins 35 % de la population de l'UE est nécessaire pour bloquer l'accord.

Preuve de sa détermination à sortir de l’impasse, la Commission a fait un pas vers la France en dévoilant en octobre une clause de sauvegarde et des propositions sur ses autres préoccupations. Cette clause pourrait être activée en cas de baisse d’au moins 10 % des prix à l’importation en provenance du Mercosur par rapport aux prix européens, combinée à une hausse de plus de 10 % des importations bénéficiant de conditions préférentielles par rapport à l’année précédente. Elle pourrait également s’appliquer si les prix des produits du Mercosur reculent de 10 % sur un an et demeurent inférieurs de 10 % à ceux pratiqués dans l’Union européenne.

Autre signal pour tenter de convaincre Paris, la Commission européenne a annoncé la semaine dernière le renforcement de ses contrôles sur les importations agricoles, afin de s'assurer qu'elles respectent les normes européennes. Bruxelles promet également de mettre à jour ses règles sur les traces de pesticides dans les produits importés, afin d'éviter que des substances, pourtant interdites en Europe, rentrent sur le continent via les importations.

  • Un Parlement européen à ne pas négliger

Le Parlement européen se prononce, mardi 16 décembre, sur les mesures de "sauvegarde" destinées à rassurer les agriculteurs et amadouer la France. Celles-ci ont été renforcées par des amendements adoptés par la commission du Commerce international. Les eurodéputés doivent désormais se prononcer en séance plénière à Strasbourg.

"Les réponses de la Commission ne sont pas suffisantes mais nous avons pu améliorer la clause de sauvegarde. C’est la première fois que le Parlement a le droit d’examiner une partie du texte de l’accord, donc j’espère que le Parlement votera en faveur, d’autant que sur les deux autres demandes françaises, la réciprocité et les forces de contrôle, la Commission n’a rien proposé de concret", juge auprès de France 24 l’eurodéputé macroniste Jérémy Decerle (Renew).

Le vote du Parlement compliquerait la validation de l’accord puisque la modification du texte entraînerait une négociation entre Parlement européen et Conseil et que le texte serait ensuite soumis aux pays du Mercosur.

Enfin, même si Ursula von der Leyen signe le traité samedi au Brésil, la partie ne sera pas terminée pour autant. Il restera une ultime étape au Parlement européen : l'adoption définitive de l'accord au début de l'année 2026 a priori. Un scrutin qui aura toutes les chances d’être serré.

Avec AFP et Reuters