
Des stickers offerts lors des journées d'inauguration de la nouvelle organisation de jeunesse de l'AfD, appelée Generation Deutschland ("Génération Allemagne") AP - Martin Meissner
Dans le vestibule, un éditeur allemand réactionnaire vend ses pamphlets aux relents racistes. Sur la tribune de la salle principale du centre de congrès de Giessen, une ville dans le centre de l’Allemagne, un hurluberlu en veste bleu et cravate appelle à des expulsions massives et roule les "r" en prononçant goulument le terme "race".
Bienvenue au congrès fondateur de Generation Deutschland ("Génération Allemagne"), la nouvelle organisation de jeunesse de Alternative für Deutschland (AfD), l’influent parti d’extrême droite allemand, qui s’est déroulé les 29 et 30 novembre.
La relève de Junge Alternative
C’était un moment important de la vie politique allemande : l’AfD, avec près de 27 % d'opinions favorables lors des plus récents sondages, est désormais la plus importante force politique allemande.
Les opposants ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés dans les rues de Giessen – qui compte un peu plus de 90 000 habitants – pour tenter de perturber cette grande messe à la gloire des jeunesses nationalistes allemandes. "Les organisateurs peuvent être satisfaits de cette mobilisation qui a permis de retarder de plus de deux heures le début du congrès de Generation Deutschland", souligne Fabian Virchow, spécialiste de l’extrême droite allemande à la Hochschule de Düsseldorf.
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Malgré ce retard au démarrage, l’AfD a pu fêter dimanche la naissance de son organisation officielle pour la jeunesse. Generation Deutschland prend la relève de Junge Alternative (Jeune Alternative, JA), une association qui s’est auto-dissoute en mars 2025 après avoir été reniée par l’AfD et s'être vue classée comme mouvement "extrémiste" par le Verfassungsschutz, l’agence de renseignement allemand pour la sécurité intérieure.
La Junge Alternative avait accumulé bon nombre de casseroles depuis sa création en 2013. Son dernier président, Hannes Gnauck, était un soldat placé par le service de renseignement militaire sur la liste des personnes "extrémistes" pour ses propos ouvertement racistes. Plusieurs membres de la JA ont été pris en flagrant délit en train de rendre un hommage à peine discret aux jeunesses hitlériennes sur X. L'organisation de jeunesse avait aussi été accusée à plusieurs reprises d’avoir établi des contacts privilégiés avec des mouvements de jeunesse russes pro-Poutine.
On efface tout et on recommence ? "La principale différence entre Generation Deutschland et Junge Alternative est d’ordre organisationnel : la nouvelle structure fait partie intégrante de l’AfD, ce qui permet de mieux contrôler ce mouvement de jeunesse", souligne Carsten Wegscheider, politologue à l’université de Münster.
Une apparence plus acceptable et des beaux costumes
La JA ne dépendait pas de l’AfD, et "seule la moitié de ces jeunes étaient aussi membres du parti. C’était un problème, car il était impossible pour la direction de l’AfD de prendre des sanctions contre les éléments les plus extrémistes de la Junge Alternative", ajoute Anna-Sophie Heinze, politologue et spécialiste du populisme en Allemagne à l’université de Trèves. Aux yeux de la population pourtant, la JA n’était rien d'autre que la jeune garde de l’AfD, et tous les scandales qui ont pu éclabousser ce mouvement de jeunesse ont également affecté le parti.
L’AfD ne veut plus de ces moutons trop bruns. "Il y a un désir de professionnalisation de ce mouvement afin de rester du bon côté de la constitution allemande [qui interdit la promotion de l’idéologie extrémiste contraire à l’ordre libéral et démocratique, NDLR]", souligne Dan Hough, spécialiste de la politique allemande à l’université du Sussex.
Concrètement, les cadres de Generation Deutschland ont adopté des apparences plus respectables. Fini les tenues et coupes qui rappellent trop le style skinhead ou le look des militants néo-nazis. Les dirigeants "apparaissent dorénavant en costume et tiennent un discours moins outrancier", souligne Anna-Sophie Heinze.
Mais pour les experts interrogés par France 24, c’est beaucoup de poudre aux yeux. "D’un point de vue des membres et de leurs idées, il y a une vraie continuité entre les deux organisations de jeunesse", souligne Fabian Virchow. La nouvelle équipe dirigeante est constituée en grande partie d’anciens de la Junge Alternative, souligne l’hebdomadaire Die Zeit.
Les liaisons dangereuses de Jean-Pascal Hohm
Le nouveau chef de ce mouvement, Jean-Pascal Hohm, illustre bien cette ambiguïté. "Il a ce style gendre idéal qui présente bien. Il a un profil idéal pour le parti, car il connaît le système politique allemand en tant qu’élu de l’AfD au parlement du Land de Brandebourg, et a gardé des contacts dans les milieux d’extrême droite", note Anna-Sophie Heinze. "Dans son beau costume, il va soutenir qu’il est un politicien comme les autres, mais si on creuse un peu, c’est loin d’être le cas", confirme Dan Hough.
Jean-Pascal Hohm, âgé de 28 ans, "a été qualifié d’extrémiste par l’Office du renseignement intérieur du Land de Brandebourg, et il promeut une définition ethnique et nationaliste du concept de peuple", souligne Carsten Wegscheider. Idéologiquement, il est donc difficile de le considérer comme un politicien "normal".
Il dispose aussi "de vastes connexions dans les milieux d’extrême droite, comme avec le mouvement identitaire Un Pourcent et des associations d’étudiants d’extrême droite. Il verse aussi dans le complotisme avec la promotion de la théorie du 'grand remplacement'", énumère Carsten Wegscheider.
Jean-Pascal Hohm a ainsi exprimé de la sympathie pour le très sulfureux leader identitaire autrichien Martin Sellner, identifié, notamment, comme ayant eu une influence idéologique sur l’auteur des attentats antimusulmans de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, qui ont fait 51 morts et 49 blessés en 2019.
Le choix de placer Jean-Pascal Hohm la tête de Generation Deutschland "indique clairement qu’il ne faut pas s’attendre à une distanciation crédible de ce mouvement et de l’AfD par rapport aux positions extrémistes [de la Junge Alternative]", résume Carsten Wegscheider.
Ce n’est pas anodin pour le futur de l’AfD. En effet, "les deux principaux responsables du parti – Alice Weidel et Tino Chrupalla – ont soutenu que Generation Deutschland avait vocation à devenir une pépinière de futurs cadres du mouvement", affirme Anna-Sophie Heinze.
Et tout comme avec Jean-Pascal Hohm, "à chaque fois qu’il y a eu ce week-end des affrontements entre deux candidats pour être le représentant des jeunes pour une circonscription, c’est la ligne la plus radicale qui l’a emporté", souligne Fabian Virchow. La relève risque donc de se faire à droite toute.
La création de Generation Deutschland confirme donc une tendance propre à l’extrême droite allemande : sur la forme, elle se veut davantage professionnelle et plus fréquentable. Mais sous le beau costume et "contrairement à la tendance dans d’autres pays européens, comme en France et en Suède, où les partis d’extrême droite tentent de modérer leur programme, l’AfD et son organisation de jeunesse se radicalisent", conclut Anna-Sophie Heinze.
