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Corée du Nord : quand Kim Jong-un "féminise" les élites
La ministre nord-coréenne des Affaires étrangères, Choe Son-hui, a rencontré dimanche son homologue chinois. Le fait qu’une femme occupe un tel poste en Corée du Nord fait du pays un cas inhabituel dans le petit monde très masculin des régimes autoritaires. Ce n’est pas la seule femme que Kim Jong-un a mise en avant, mais attention à ne pas y voir du féminisme.
La ministre nord-coréenne des Affaires étrangères, Choe Son-hui lors de sa rencontre avec son homologue chinois Wang Yi AP - Yue Yuewei

Dimanche 28 septembre, elle a serré la main de Wang Yi, le puissant ministre chinois des Affaires étrangères. Choe Son-hui, son homologue nord-coréenne, était venue en Chine pour discuter des détails d'un éventuel rapprochement entre les deux pays. Cela fait trois ans qu'elle occupe ce poste stratégique et qu'elle est devenue incontournable dans les premiers cercles du pouvoir à Pyongyang. Elle a même discuté en tête-à-tête avec le président russe Vladimir Poutine en novembre 2024.

Sa visite à Pékin intervient trois semaines après la visite du leader nord-coréen Kim Jong-un au président chinois Xi Jinping, dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la défaite japonaise contre la Chine durant la Seconde Guerre mondiale.

La fille, la sœur et la tante

Choe Son-hui n'est pas la seule femme mise en avant par l'actuel dirigeant nord-coréen. "C’est quelque chose qui aurait été impensable à l’époque de Kim Jong-Il, le père de Kim Jong-un, ou de Kim Il-sung, le fondateur de la Corée du Nord", affirme Ramon Pacheco Pardo, spécialiste de la péninsule coréenne au King’s College de Londres.

Pour sa part, Kim Jong-un ne semble avoir aucune réticence à emmener sa fille Kim Ju-ae partout où il va, ou presque. Une omniprésence qui a fait dire à certains commentateurs que la jeune fille – âgée de 12 ou 13 ans – pourrait être l’héritière de son père.

Avant elle, Kim Yo-jong, la sœur du dictateur, avait déjà été à l’origine de vives spéculations sur la succession de Kim Jong-un. Elle avait fait son apparition sur la scène internationale à l’occasion des jeux olympiques de 2018, où elle représentait la Corée du Nord. Et depuis lors, elle n’a pas arrêté de gagner en visibilité et responsabilité. Aujourd’hui surnommée la "Dame de fer" de Pyongyang, la cadette – elle a trois ou quatre ans de moins que son frère – exerce le rôle de conseillère à tout faire.

"La femme de Kim Jong-un, Ri Sol-ju, jouissait également d’une certaine influence, mais elle semble l’avoir perdue ces derniers temps", ajoute Ramon Pacheco Pardo. Elle avait reçu en 2018 le titre officiel de "Première dame", inutilisé depuis 1974. Ri Sol-ju accompagnait son mari lors de la plupart des déplacements diplomatiques.

La tante de Kim Jong-un, Kim Kyong-hui, est une pionnière de l’influence féminine aux plus hauts échelons de l’État. Elle était déjà considérée comme une proche conseillère de son frère, Kim Jong-Il. Mais uniquement dans son ombre.

Au début de son règne, Kim Jong-un s’est appuyé sur elle en la nommant, par exemple, général quatre étoiles en 2012 – alors qu’elle n’avait aucune expérience militaire. Elle a ensuite connu une longue traversée du désert pour ne réapparaître officiellement aux côtés de son neveu qu'en 2020.

Les liens du sang avant tout

Cette multiplication de femmes à des postes très en vue peut donner l’impression que la Corée du Nord de Kim Jong-un a rompu avec le modèle patriarcal. "Historiquement, la participation politique des femmes a été en Corée du Nord la plus faible au monde. Lors de la création de la République populaire démocratique de Corée en 1948, des lois plutôt progressives ont été adoptées, mais elles n’ont jamais été vraiment mises en pratique. C’est en partie dû à la militarisation de la société et de la sphère politique, et en partie à cause des valeurs traditionnelles du néoconfucianisme, qui cantonne les femmes de la haute société à un rôle domestique", analyse Sabine Burghart, spécialiste de la péninsule coréenne à l’université de Turku, en Finlande.

Kim Jong-un en grand féministe devant l’absolu ? Pas si vite. "Ici, ce qui compte ce n’est pas la question du sexe, mais la lignée familiale", affirme Sebastian Harnisch, spécialiste de la Corée du Nord à l’université de Heidelberg, en Allemagne.

Les liens du sang ont toujours joué un rôle important dans le système dynastique nord-coréen, "mais ce qui est nouveau avec Kim Jong-un, ce que du moment que vous appartenez à la bonne famille ou que vous avez un lien avec la sienne, qu’importe si vous êtes une femme ou un homme", confirme Ramon Pacheco Pardo.

C’est évident avec la sœur, la fille et la tante du dirigeant nord-coréen. Choe Son-hui, quant à elle, n’est pas loin d’avoir un pedigree royal. "Elle appartient à l’une des familles les plus importantes du pays. Son beau-père, Choe Yong-rim, était un ancien Premier ministre nord-coréen très proche du clan Kim. Elle a suivi le cursus typique du pays, avec une partie de son éducation en Corée du Nord et une autre à l’étranger [Chine, Autriche et Malte]. Elle a ensuite gravi un à un les échelons du ministère des Affaires étrangères", détaille Ramon Pacheco Pardo.

À la différence d'autres régimes autoritaires

La nomination de femmes à des postes stratégiques comme ministre des Affaires étrangères fait de la Corée du Nord une dictature un peu à part dans la grande cour des pays autoritaires. "C’est notable, car dans la plupart de ces régimes, les femmes, lorsqu’elles entrent au gouvernement, occupent des postes moins centraux, comme ministre de l’Égalité hommes-femmes ou ministre de la Culture", souligne Jacob Nyrup, spécialiste des élites dans les régimes autoritaires à l’université d’Oslo, en Norvège, qui a travaillé sur la promotion des femmes en politique.

"Au moment où la Corée du Nord met davantage en avant des femmes à des positions de pouvoir, les deux autres grands régimes autoritaires – la Chine et la Russie – les font de plus en plus disparaître du devant de la scène", note Sebastian Harnisch.

Ce peut-être une opération de communication. "L’une des raisons qui peut pousser les régimes autoritaires à nommer des femmes à des postes à responsabilité, c’est pour améliorer leur image sur la scène internationale afin d’augmenter leur chance d’obtenir une aide financière, par exemple", souligne Jacob Nyrup.

Les régimes autoritaires s’entourent souvent uniquement d’hommes, "car les dirigeants recherchent ceux qui peuvent les aider à se maintenir au pouvoir, et ce sont souvent les militaires et les membres les plus influents du parti. Deux mondes réputés pour ne laisser que très peu de place aux femmes", ajoute Jacob Nyrup.

Quelques élues pour beaucoup d'opprimées

Ainsi, le recul en Russie de la représentation féminine en politique peut être interprété comme un signe de frilosité d'un pouvoir poutinien à la recherche "d’hommes forts". Par opposition, la promotion de femmes à des postes en vue en Corée du Nord, pays où l’appareil militaire est central, donne l’impression que "Kim Jong-un contrôle solidement l’appareil d’État", estime Jacob Nyrup.

Pour autant, cela ne veut pas dire que les femmes ont un brillant avenir politique en Corée du Nord. "C’est un système encore très hiérarchique et patriarcal. Seulement 18 % des délégués de l’Assemblée populaire suprême – un organisme qui ne détient pas de véritable pouvoir politique – sont des femmes", souligne Sabine Burghart.

Et les quelques heureuses élues, issues des bonnes familles, ne doivent pas non plus faire croire que sous Kim Jong-un, "la Corée du Nord connaît une évolution sociale vers davantage d’égalité hommes-femmes", ajoute Sabine Burghart. "Elles restent toujours opprimées", conclut Ramon Pacheco Pardo.

Cet expert explique que depuis l'effondrement économique des années 1990, le rôle des femmes se résument essentiellement à faire tourner l'économie parallèle en vendant tout et n'importe quoi sur les marchés non-officiels. Elles ramènent souvent près de 70 % des revenus d'un foyer et sont les petits mains invisibles et invisibilisées de l'économie nord-coréenne. Très loin du glamour des quelques rares élues qui se retrouvent tout en haut de l'échelle sociale et politique.