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Raid contre l’usine Hyundai-LG : l'"America First" au défi de la politique antimigratoire
L'arrestation, la semaine dernière, de travailleurs sud-coréens dans l'État de Géorgie représente une escalade importante de la chasse aux immigrés en situation irrégulière par l’administration américaine. Cette extension de la politique antimigratoire de Donald Trump risque d’avoir un coût économique élevé.
Des agents de l'ICE ont interpellé 475 personnes sur le site industriel de Hyundai-LG dans l'État de Géorgie, aux États-Unis. © ICE via AFP

C'était sans précédent depuis l'arrivée de Donald Trump au pouvoir : 500 agents et policiers, arrivés jeudi 4 septembre en Géorgie, ont interpellé 475 individus, essentiellement des travailleurs sud-coréens, sur un gigantesque site industriel. La plus importante opération orchestrée par l’ICE, l'agence américaine chargée de contrôler l’immigration, n’en finit pas de faire des remous, de la ville d’Ellabell, où se trouve l’usine géante Hyundai-LG, jusqu’à Séoul, où le gouvernement sud-coréen s’activait, lundi 8 septembre, à rapatrier au plus vite ses ressortissants accusés d’avoir travaillé illégalement aux États-Unis.

Ce raid représente "une escalade importante dans la poursuite de la politique anti-immigration mise en œuvre par l’administration de Donald Trump", affirme René Lindstaedt, spécialiste de la politique américaine à l’université de Birmingham.

L'usine Hyundai-LG, du statut de chouchou à cible de Trump

Jusqu’à présent, Stephen Miller, le très droitier conseiller de Donald Trump et éminence grise du président pour les questions d’immigration, avait ordonné aux officiers de l’ICE de poursuivre les immigrés illégaux jusque sur les parkings des magasins Home Depot. "Les cibles étaient clairement jusqu’à présent les immigrés les plus démunis et vivant à la marge de la société. Cette fois-ci, le raid a visé des travailleurs venus spécialement pour participer à la construction d’un site dans lequel deux multinationales ont investi des milliards de dollars", précise René Lindstaedt. Si ce raid a suscité une telle controverse, "c’est bien parce que cette fois-ci, les cibles n’étaient pas des 'prolétaires' – si on peut dire –, mais aussi bien des contremaîtres que des managers du géant sud-coréen qui a beaucoup investi aux États-Unis", ajoute Simon Bittmann, sociologue au CNRS rattaché à l’université de Strasbourg et spécialiste de l’étude du capitalisme américain.

En tout, Hyundai et LG affirment avoir investi près de huit milliards de dollars depuis 2022 dans la construction de ce site en Géorgie. Celui-ci s’étend sur 1 174 hectares et comprend une usine de fabrication de piles pour véhicules électriques et une chaîne de montage de voitures Hyundai. La production a officiellement commencé en octobre dernier, mais le site continue à s’agrandir.

C’était devenu un symbole de la capacité américaine à attirer les investissements étrangers. Donald Trump en avait même fait un exemple, félicitant en mars Hyundai pour ses investissements aux États-Unis. Cette usine était censée démontrer que les droits de douane imposés par le président américain poussaient les entreprises étrangères à se convertir au "made in USA" pour éviter, justement, de subir les taxes trumpiennes.

Et maintenant ? "Un de mes amis [en Corée du Sud, NDLR] m’a dit hier qu’il avait du mal à comprendre le message envoyé par les États-Unis : d’un côté, ils veulent notre argent, mais de l’autre, ils ne veulent pas de nous", a souligné Tami Overby, une consultante internationale et ancienne directrice du Comité pour la coopération américano-coréenne à la Chambre de commerce des États-Unis, interrogée par le New York Times.

Quand l'ICE fait du tort à "l’America First"

En fait, cette escalade dans la chasse aux immigrés aux États-Unis risque de porter un coup dur au volet économique de l'"America First". "Ce raid démontre les difficultés grandissantes rencontrées par les entreprises étrangères qui voudraient faire des affaires aux États-Unis. Il était déjà compliqué d’exporter des biens vers les États-Unis, et cette opération illustre le type de perturbations nouvelles auxquelles une entreprise doit s’attendre si elle veut développer son activité dans le pays", explique Michael Plouffe, spécialiste de politique économique à l’University College de Londres.

Cet expert rappelle qu’il est, en effet, monnaie courante "pour n’importe quelle société de faire venir des consultants et des responsables de la maison mère pour superviser l’établissement d’une branche à l’étranger". Le risque de se retrouver dans le collimateur des agents de l'ICE peut pousser ces entreprises à réévaluer leur projet d’investissement, tandis que "les salariés étrangers seront probablement moins tentés d’accepter des missions aux États-Unis", note Michael Plouffe.

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Raid contre l’usine Hyundai-LG : l'"America First" au défi de la politique antimigratoire
Donald Trump entend mettre en oeuvre son programme économique très vite, et notamment cette promesse d'expulser des millions de travailleurs sans-papiers dont le départ soudain pourrait déstabiliser certains secteurs de l'économie américaine. © France 24
03:34

Pour Simon Bittmann, "à court terme, les États-Unis vont rester attractifs pour les investisseurs étrangers, ne serait-ce que pour des raisons de droits de douane". Ainsi, Donald Trump a exempté Hyundai en mars des taxes appliquées aux exportations sud-coréennes en raison de ses investissements aux États-Unis.

Mais à plus long terme, "cela risque de peser sur la capacité des États-Unis à recruter des travailleurs qualifiés", craint Simon Bittmann. En effet, entre les coupes budgétaires pour la recherche, les restrictions de visas, la pression mise sur les universités et, maintenant, le risque d’être ciblé par l'ICE, les États-Unis risquent de ne plus être une destination de choix pour les travailleurs qualifiés venus, par exemple, de l'Asie du Sud-Est.

En outre, "si les raids comme celui-ci se multiplient – menaçant des expatriés envoyés par les maisons mères –, cela peut rendre plus compliqué ce qu’on appelle le 'friendshoring', le fait de réimplanter aux États-Unis des industries de partenaires commerciaux comme la Corée du Sud", souligne Simon Bittmann. L’une des priorités de la politique de réindustrialisation de Donald Trump est pourtant de persuader les entreprises de pays alliés à venir s’installer aux États-Unis.

Rassurer la base "Maga"

Le raid de l’ICE risque aussi de faire d’autres mécontents : des gouverneurs d’États, y compris républicains. Le site Hyundai-LG a été l’une des priorités de Brian Kemp, le gouverneur pro-Trump de Géorgie, qui a offert plus de deux milliards de dollars de subventions à Hyundai et LG pour les attirer dans son État. Nul ne sait ce qui va advenir dorénavant des activités des deux géants coréens en Géorgie, même si les autorités à Séoul ont affirmé vouloir "pérenniser" les investissement de ses champions aux États-Unis.

"Le problème est que lorsqu’une multinationale choisit où s’implanter, elle regarde la région qui lui offre le meilleur retour sur investissement par rapport aux risques encourus. Le raid de l’ICE crée un risque supplémentaire aux États-Unis pour des multinationales qui peuvent, en retour, demander davantage de subventions de la part des États pour le compenser", explique René Lindstaedt.

Pourquoi prendre un tel risque économique ? Pour les experts interrogés, il faut regarder du côté d’une partie de la population en Géorgie qui "se plaignait que les créations d’emploi faites par Huyndai et LG n’avaient pas été à la hauteur des promesses", souligne le Wall Street Journal. Ces critiques regrettent qu’une grande partie de ces emplois soient revenus à des Coréens, ajoute le quotidien économique.

Le raid de l’ICE "sert aussi à rassurer la base électorale de Donald Trump. Le président envoie à la Corée du Sud le message que les Américains veulent à la fois leur argent et qu’ils emploient la main-d'œuvre locale", ajoute René Lindstaedt.

"Je ne pense pas que ce soit une coïncidence si ce raid intervient peu après les derniers chiffres de l’emploi aux États-Unis qui ont été décevants", précise cet expert. C’est une manière pour le président de faire croire qu’il s’occupe du problème en désignant de nouveaux "responsables" : ces travailleurs qualifiés étrangers qui volent le travail des Américains.