
Des publications sur les réseaux sociaux appelant à bloquer la France le 10 septembre 2025. © Bertrand Guay, AFP
À une semaine de la journée de mobilisation du mouvement "Bloquons tout" programmée pour le mercredi 10 septembre, le profil de ses partisans commence à être connu. Alors que cette initiative a été lancée sur les réseaux sociaux par des citoyens en réponse au projet de budget présenté par François Bayrou le 15 juillet, le parallèle avec les Gilets jaunes a rapidement été évoqué. Si bien que le gouvernement, dont la chute est promise pour le 8 septembre à l’occasion d’un vote de confiance à l’Assemblée nationale, surveille de très près le mouvement.
Mais si Bloquons tout a quelques similitudes avec le mouvement social de 2018-2019, ses adeptes ont un profil très différent de celui des Gilets jaunes, analyse une étude publiée lundi 1er septembre par Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean Jaurès.
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Un mouvement politisé et de gauche radicale
Alors que les Gilets jaunes revendiquaient d’être apolitiques et étaient pour la plupart des primo-manifestants, les citoyens actifs dans les groupes des boucles Telegram du mouvement Bloquons tout sont quant à eux très politisés. Ainsi, 71 % des personnes interrogées par la Fondation Jean Jaurès se disent "beaucoup" intéressées par la politique, contre 19 % dans l’ensemble de la population. Inversement, celles se disant "pas vraiment" ou "pas du tout" intéressées ne représentent que 8 % des personnes interrogées (contre 44 %).
Et cet engagement se situe nettement à gauche. Ils sont 69 % à avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle 2022 (contre 22 % des Français) et même 10 % à avoir voté pour Philippe Poutou, candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (contre seulement 1 %). En revanche, seuls 2 % d’entre eux ont voté pour Emmanuel Macron (contre 28 %) et 3 % pour Marine Le Pen (contre 23 %).
De même, plus de la moitié des soutiens de Bloquons tout (51 %) ayant répondu à l’enquête de la Fondation Jean Jaurès s’auto-positionnent à l’extrême gauche, contre seulement 3 % des Français en moyenne. "Si l’on élargit, ce sont 86 % des répondants qui se définissent comme appartenant à la gauche radicale", précise l’enquête.
Une analyse confirmée par une note des renseignements territoriaux et de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris diffusée le 1er septembre et révélée par Le Parisien mercredi 3 septembre. "La dynamique actuelle repose principalement sur des militants associatifs, politiques, issus de la mouvance d’ultragauche, et certaines fractions syndicales", affirme le document.
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Pour la justice sociale et la protection de l’environnement
Fort logiquement, les messages échangés dans les boucles Telegram du mouvement Bloquons tout et relevées par Antoine Bristielle sont très marqués à gauche : "que les capitalistes ultra riches arrêtent de dicter notre avenir", "il faut déclencher la grève générale" ou encore "je suis politisé théoriquement, mais le marxisme m’a appris que sans pratique, la théorie n’est rien".
Et les préoccupations des membres sont en phase avec les idées portées par la gauche. Ainsi, 54 % des personnes interrogées se disent préoccupées par la montée des inégalités sociales (contre 13 % de la population), 43 % par la protection de l’environnement (contre 23 %) et 30 % par l’avenir du système social de santé (contre 19 %).
À l’inverse, 4 % des personnes interrogées se disent préoccupées par le niveau de l’immigration (contre 21 %), et seulement 3 % des partisans de Bloquons tout citent le niveau de délinquance comme préoccupation (contre 22 %).
De même, 91 % des personnes interrogées sont en phase avec l’affirmation "pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres" (contre 63 %). En revanche, ils ne sont que 11 % à approuver la phrase "les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment" (contre 60 %), et 15 % à être d’accord avec l’affirmation "il y a trop d’étrangers en France" (contre 65 %).
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Des partisans jeunes et très diplômés
Contrairement aux Gilets jaunes, parmi lesquels les retraités étaient surreprésentés, les membres du mouvement Bloquons tout sont majoritairement jeunes. Parmi eux, 26 % ont entre 25 et 34 ans, alors que cette catégorie ne représente que 15 % de l’ensemble de la population. À l’inverse, 4 % d’entre eux ont plus de 70 ans (18 % de la population française).
"Ces données soulignent a priori que Bloquons tout est un mouvement structuré avant tout par des générations jeunes, souvent au cœur des mobilisations sociales de gauche, tandis que les retraités, qui avaient joué un rôle non négligeable chez les Gilets jaunes, apparaissent ici largement absents", écrit Antoine Bristielle dans sa note.
Le niveau de diplôme est un autre marqueur des partisans de Bloquons tout : 25 % d’entre eux ont un diplôme Bac+3 ou Bac+4 et 27 % un diplôme Bac+5 et plus, soit une majorité, alors que les Français avec un tel niveau de diplôme ne représentent que 24 % de la population.
Logiquement, les étudiants, lycéens et autres inactifs sont au cœur du mouvement : 22 %, contre 12 % de l’ensemble de la population). Les cadres sont également surreprésentés : 16 % des personnes interrogées contre 11 % des actifs. À l’inverse, les ouvriers (6 % contre 13 %) et retraités (10 % contre 28 %) sont sous-représentés par rapport à leur poids dans l’ensemble de la population.
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Comme les Gilets jaunes, un désir de démocratie directe
Le mouvement Bloquons tout a malgré tout des points communs avec celui des Gilets jaunes. D’ailleurs, 27 % des personnes interrogées dans l’enquête de la Fondation Jean Jaurès affirment avoir été un Gilet jaune et 61 % disent ne pas l’avoir été mais avoir soutenu le mouvement des Gilets jaunes.
Les mouvements Gilets jaunes et Bloquons tout ont d’abord en commun une profonde aversion pour Emmanuel Macron. Non seulement très peu d’électeurs du premier tour du président de la République participent aux discussions liées à Bloquons tout, mais il y a aussi très peu d’électeurs du second tour. Ainsi, 68 % des personnes interrogées se sont abstenues, ont voté blanc ou nul lors du second tour de la présidentielle 2022 opposant le chef de l’État à Marine Le Pen, refusant de participer au "front républicain", contre seulement 35 % des Français.
Autre point commun avec les Gilets jaunes, le désir de démocratie directe. Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) faisait partie des principales demandes des Gilets jaunes. Or, un système politique "dans lequel c’est le peuple qui décide directement de la loi grâce à des référendum, des assemblées citoyennes, des assemblées tirées au sort…" est privilégié par 82 % des partisans de Bloquons tout, contre 37 % pour l’ensemble de la population. À l’inverse, la démocratie représentative n’est plébiscitée que 13 % des personnes interrogées, contre 44 %.
Reste à savoir de quelle manière le mouvement Bloquons tout va se concrétiser. "La perspective de la démission du gouvernement a renforcé la détermination des contestataires", selon la note des renseignements territoriaux révélée par Le Parisien, qui estime qu'ils pourraient être 100 000 à "se mobiliser partout en France".