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Attaques antisémites en Australie : un modus operandi typique des services secrets iraniens
L’Australie a accusé, mardi, l’Iran d’être derrière deux attaques à caractère antisémite sur son sol. Canberra semble décidé à placer le corps des Gardiens de la révolution islamique, qu'elle accuse d’avoir orchestré les attentats, sur la liste des organisations soutenant le terrorisme.
Une synagogue à Melbourne en partie détruite par un incendie criminel en décembre 2024. L'Australie a accusé l'Iran d'être impliqué dans cette attaque. © Yumi Rosenbaum, Reuters

C’est la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale que l’Australie expulse un ambassadeur. Ahmad Sadeghi, diplomate iranien en poste à Canberra depuis 2023, a sept jours pour plier bagages, ont annoncé les autorités australiennes, mardi 26 août.

L’ambassadeur a été informé de la sanction une demi-heure seulement avant l’annonce officielle, a affirmé le New York Times. Peu avant, les services australiens de renseignement avaient remis au gouvernement du Premier ministre, Anthony Albanese, leurs conclusions accusant l’Iran d’être à l’origine d’au moins deux attaques à caractère antisémite en Australie.

Un ambassadeur encombrant

La première a visé le restaurant cacher Lewis Continental Kitchen, au nord de Sydney, qui a été en partie détruit par un incendie criminel en octobre 2024. Un deuxième incendie criminel, que les services australiens de contre-espionnage accusent l’Iran d’avoir orchestré, a visé une synagogue dans la banlieue de Melbourne en décembre 2024. Il n’y pas eu de blessés dans les deux cas.

Et ce n’est peut-être pas tout. Mike Burgess, directeur de la Sécurité intérieure de l'Australie, a estimé que l’Iran était probablement impliqué dans d’autres attaques à caractère antisémite et qu’une enquête à ce sujet était en cours.

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Attaques antisémites en Australie : un modus operandi typique des services secrets iraniens
L'Australie blâme Téhéran pour deux attaques antisémites, l'ambassadeur d'Iran expulsé © AFP
01:19

Téhéran a rejeté les accusations australiennes et a promis de répondre de manière proportionnée aux sanctions diplomatiques prises par les autorités à Canberra.

L’Australie n’a pas accusé directement l’ambassadeur d’être impliqué dans les attaques attribuées à l’Iran. Mais, le départ d’Ahmad Sadeghi était réclamé depuis au moins un an par plusieurs voix en Australie. "Nous demandions l’expulsion d’Ahmad Sadeghi, l’ambassadeur d’Iran, en raison de ses propos antisémites répétés sur les réseaux sociaux, ainsi que du rôle sinistre de son ambassade dans la surveillance des dissidents en Australie", s’est réjouie sur X Kylie Moore-Gilbert, une spécialiste du Moyen-Orient qui a passé entre 2018 et 2022 plus de 800 jours en prison en Iran, où elle a été accusée d’espionnage.

Les services australiens de renseignement ont cependant nommément cité un responsable pour ces attaques : le corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI). Le gouvernement australien a d’ailleurs annoncé son intention de placer cette puissante organisation paramilitaire et "armée idéologique" de l’Iran sur la liste des organisations qui soutiennent le terrorisme, ce qui est déjà le cas aux États-Unis et au Canada.

L’unité d’élite des Gardiens de la révolution à la manœuvre ?

Les Gardiens de la révolution islamique "supervisent généralement ce genre d’opérations clandestines en dehors des frontières iraniennes", souligne Shahin Modarres, spécialiste de l’Iran et de ses services de renseignement à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Il existe même au sein du CGRI une unité d’élite chargée des opérations les plus sensibles : la force Al-Qods, qui compterait entre 5 000 et 15 000 membres d’après une estimation de la CIA.

Leur nom revient presque systématiquement lorsque l’Iran est accusé d’être impliqué dans des attaques à l’étranger depuis les années 1990. La force Al-Qods a aussi bien été soupçonnée d’être derrière l’attentat de l’Amia (Association mutuelle israélite d’Argentine) en 1994 qui a fait 85 morts et 230 blessés, que d’être à l’origine de la tentative d’assassinat de l’ambassadeur israélien en Azerbaïdjan en 2012.

Pas étonnant dans ce contexte que l’ombre de cette unité plane aussi au-dessus des deux attaques en Australie. Mais Shahin Modarres est plus dubitatif. "Il est certes possible que la force Al-Qods puisse agir jusqu’en Australie, mais ces dernières années elle a été davantage utilisée pour des opérations au Moyen-Orient, tandis que les attaques dans d’autres régions étaient supervisées directement par la cellule renseignement du corps des Gardiens de la révolution, qui recrute des individus sur place pour la partie opérationnelle", assure cet expert.

Une "uberisation" à la russe des opérations clandestines

Les autorités australiennes ont d’ailleurs indiqué que l’Iran avait mis en place un "système compliqué d’intermédiaires" pour ces attentats. Dans le cas du restaurant, la police a notamment arrêté le chef d’un gang de motards qui se faisait surnommer "James Bond", tandis que deux jeunes vingtenaires de la banlieue de Melbourne ont été accusés d’être coresponsables de l’incendie criminel de la synagogue en décembre 2024.

"C’est très proche des méthodes utilisées ces dernières années par les services russes de renseignement pour leurs opérations de sabotage en Europe", souligne Shahin Modarres. De plus en plus souvent, les espions russes vont payer des criminels locaux pour mener à bien les attaques dans les pays visés. C’est ce que des experts de la Russie ont appelé "l’uberisation" de la guerre hybride menée par Moscou.

"Il n’est pas étonnant de voir l’Iran emprunter les méthodes des espions russes, puisque la Russie a, historiquement, formé les agents iraniens après la révolution de 1979. Ils sont restés proches depuis", souligne Shahin Modarres.

Dans le cas de l’Iran, cette "uberisation" peut prendre des formes risquées. Le CGRI "a recruté des membres du dangereux cartel mexicain Los Zetas pour tenter d’assassiner en 2011 Adel al-Jubeir, le ministre saoudien des Affaires étrangères lors de sa visite à Washington", relate Shahin Modarres.

Si la responsabilité de l’Iran dans les attaques était confirmée, pourquoi frapper en Australie ? En partie par opportunisme. "Il ne faut pas oublier qu’en Europe ou en Amérique, les autorités sont plus vigilantes quant aux agissements d’éventuels agents iraniens. L’Australie apparaissait comme une cible plus simple", résume Shahin Modarres.

Dans le contexte actuel, le CGRI ne va pas chercher la complexité. "La crise politique en Iran et les coups portés par Israël aux services iraniens de sécurité ont limité les moyens des Gardiens de la révolution", assure Shahin Modarres.

En frappant une synagogue et un restaurant casher en Australie, les Iraniens peuvent "continuer à dire qu’ils se vengent des actions d’Israël", souligne l’expert de l’ITSS. L’autre avantage de l’Océanie est que cela donne l’impression que même affaiblie, le CGRI a encore le bras qui porte loin.