
Le dimanche 9 mars, Mario Nawfal, influenceur pro-Trump connu pour relayer des fake news, a affirmé dans un post sur X que "Pavel Popescu, vice-président de l'Autorité nationale roumaine des communications (Ancom), a annoncé que le gouvernement suspendrait TikTok jusqu'à la fin de l’enquête des institutions publiques sur le premier tour de l'élection présidentielle". La publication de Mario Nawfal a par la suite été partagée par Elon Musk et cumulait au 13 mars plus de 34 millions de vues.
Cette déclaration survient dans un climat politique particulièrement tendu en Roumanie. Le même jour, la commission électorale roumaine a rejeté la candidature de Călin Georgescu, candidat d’extrême droite arrivé en tête du premier tour de la présidentielle en novembre dernier. Motif, selon la Cour constitutionnelle : une violation présumée des "règles démocratiques d’un suffrage honnête et impartial". Cette exclusion a déclenché des manifestations, parfois violentes, devant le siège de la commission électorale à Bucarest dans la nuit du 9 mars.
C’est dans ce contexte agité que les rumeurs d’une interdiction de TikTok ont émergé sur X. Ces affirmations sont pourtant infondées : il n’a jamais été question d’interdire TikTok en Roumanie.
Des accusations démenties par Pavel Popescu
Face à ces accusations, Pavel Popescu, vice-président de l'Ancom, a fermement démenti les propos de Mario Nawfal sur X.

"C'est totalement faux ! (...) Il n'y a actuellement aucune proposition d'interdiction de TikTok en Roumanie" a-t-il précisé sur X, soulignant que son initiative remontait à l'année précédente.
En effet, Pavel Popescu avait suggéré "la suspension de la plateforme TikTok sur le territoire de la Roumanie, jusqu'à la conclusion de l'enquête des institutions étatiques concernant la manipulation du processus électoral du 24.11.2024" dans une publication Facebook datée du 27 novembre 2024. Cette proposition faisait suite aux accusations portées contre TikTok de diffuser de la désinformation et d'influencer le vote en faveur du candidat prorusse Călin Georgescu.

Dès fin novembre, le Premier ministre roumain Marcel Ciolacu avait exprimé son opposition à cette mesure lors d'un entretien accordé le 28 novembre 2024 au média News.ro : "Ayant grandi et vécu sous le communisme, je m'oppose à toute forme d'interdiction. Nous nous aventurons dans un domaine qui, selon moi, représente un danger considérable pour la démocratie. Je ne cautionnerai jamais une telle approche". Des propos qu’il avait d’ailleurs réitérés en janvier 2025.
Face à ces réactions, Pavel Popescu s'était rétracté dès le lendemain dans un nouveau message Facebook, reconnaissant : "J'ai proposé hier soir une solution disproportionnée : la suspension temporaire de la plateforme TikTok. Cette opinion était strictement personnelle. La liberté d'expression ne peut jamais être restreinte, même dans les circonstances les plus difficiles qu'un pays traverse. [...] L'Ancom ne peut pas et ne souhaite pas suspendre TikTok." Ce message, publié le 28 novembre 2024 et depuis supprimé, a été rapporté par RFI.
"Aucun responsable politique n'a évoqué l’interdiction de TikTok"
Contactée par la rédaction des Observateurs, Antonela Capelle-Pogăcean, chercheuse au Ceri (Centre d'études et de recherches internationales) de Sciences Po et spécialiste de la Roumanie, est catégorique : "Aucun responsable politique n'a évoqué l'interdiction de TikTok. Quelques voix ont bien mentionné des restrictions possibles, mais elles restent minoritaires et ne proviennent pas de hauts responsables politiques. En janvier 2025, lorsque la question d'une interdiction de TikTok aux États-Unis était d'actualité, le sujet a trouvé un écho en Roumanie. Interrogé à ce propos, le ministre de la Digitalisation avait clairement affirmé qu'une telle mesure n'était pas envisagée, en précisant toutefois que TikTok devait se conformer, au même titre que les autres plateformes, aux législations roumaines et européennes, notamment au DSA (Digital Service Act)."
Le réseau social TikTok, qui compte en Roumanie près de 9 millions d'utilisateurs pour une population de 19 millions d'habitants, est sous le feu des projecteurs depuis fin novembre après que le gouvernement roumain a dénoncé des "cyberattaques" sur la plateforme visant à "influencer la régularité" du premier tour de l'élection présidentielle du 24 novembre, et à l’issue duquel le candidat d’extrême droite Călin Georgescu était arrivé en tête à la surprise générale.
Une manipulation documentée par plusieurs analystes, comme Viginum. Dans un rapport publié en février, l’organisme gouvernemental français chargé de lutter contre les ingérences numériques étrangères a notamment décrit des "un nombre important de cyberattaques visant les systèmes informatiques liés au processus électoral, témoignant du déploiement d’un dispositif d’ampleur destiné à déstabiliser un grand rendez-vous démocratique".
Ces irrégularités avaient conduit la Cour constitutionnelle roumaine à annuler les résultats de l’élection le 6 décembre 2024. De nouvelles élections sont désormais prévues les 4 et 18 mai prochains.
Nos collègues d’ENTR ont également enquêté sur cette campagne de désinformation et son impact sur les jeunes électeurs en Roumanie. Leur reportage, à retrouver sur leur compte Instagram, met en lumière les mécanismes de diffusion de ces fake news sur TikTok.