
Un homme pratique une intervention chirurgicale, entouré d’autres soignants, avec pour seule lumière celle d’un téléphone portable, le reste de la pièce étant plongé dans l’obscurité. Cette vidéo, publiée sur X le 3 février, a été prise à Wad Madani, dans le sud du Soudan.
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Accepter Gérer mes choixUne autre vidéo partagée le même jour montre des soignants effectuant une réanimation cardio-pulmonaire dans la cour d'un hôpital, dans l'obscurité, à la seule aide d'une lampe torche.
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Accepter Gérer mes choixCes images, partagées par l'Association des médecins soudano-américains (Sapa), une ONG opérant au Soudan, donnent un aperçu de la réalité des hôpitaux dans un pays ravagé par près de deux ans de combats entre les Forces de soutien rapide (FSR) et l'armée soudanaise, en conflit depuis le 15 avril 2023.
La ville de Wad Madani, la capitale de l'État d'Al-Jazirah, a été prise par les FSR en décembre 2023, avant que l'armée soudanaise n'en reprenne le contrôle en janvier 2025.
"La médecine en temps de guerre est différente de la médecine en temps de paix"
La rédaction des Observateurs de France 24 s'est entretenue avec le docteur Faisal Nugud, chirurgien pédiatrique et directeur régional de l’association Sapa. Il est arrivé à Wad Madani juste après la reprise de la ville par les Forces armées soudanaises et dirige une équipe médicale sur place.
Un rapport de janvier du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) a signalé que le conflit avait "endommagé ou détruit" les infrastructures publiques à Wad Madani et que "la plupart des services de base, y compris l'eau et l'électricité, [étaient] indisponibles".
Le docteur Nugud dit aussi qu'il n'y a pas d'électricité dans la ville.
Mais la conduite d’opérations chirurgicales dans l'obscurité n’est qu'une des nombreuses conséquences du manque de courant, a-t-il expliqué.
Nous avons besoin d'instruments pour effectuer des interventions chirurgicales. Tous ces instruments nécessitent de l'électricité. Par exemple, les instruments comme les moniteurs, que nous utilisons pour suivre le pouls ou la tension artérielle du patient, ont besoin d'électricité.
Nous avons trouvé un groupe électrogène dans l'hôpital. Il était hors service, alors nous avons fait venir un technicien et il a réussi à le réparer. Nous faisons fonctionner ce groupe électrogène quatre heures par jour parce que le carburant est très rare et très cher. Nous utilisons ce temps pour effectuer quelques interventions chirurgicales. Nous chargeons nos appareils, comme les moniteurs de patients. Et sinon, nous travaillons sans électricité et nous faisons de notre mieux.
Apparition de maladies
Le docteur Nugud explique aussi que le manque d’électricité favorise l’apparition de certaines maladies.
Nous avons environ 14 cas de dengue hémorragique, car nous avons beaucoup de moustiques ici la nuit. Les moustiques prolifèrent quand il n'y a pas d'air. Et comme nous n'avons pas d'électricité, nous n'avons pas de climatiseurs, pas de ventilateurs électriques. C'est pourquoi nous avons également constaté beaucoup de cas de paludisme et de dengue hémorragique.
Nous avons aussi besoin d’électricité pour avoir de l’eau. Actuellement, nous dépendons de l'énergie solaire pour accéder à l'eau souterraine. Les pompes ont besoin d’énergie pour fonctionner et l’énergie solaire est une bonne solution, pas trop chère. Et quand nous manquons d’eau, nous utilisons directement l'eau du Nil [le Nil Bleu, NDLR]. Le Nil se trouve à environ un kilomètre et demi de l'hôpital. Nous utilisons des ânes, qui sont équipés de seaux d'eau, et ils vont jusqu’au Nil et remplissent ces seaux d'eau. Ce n'est pas du tout hygiénique, mais il n'y a pas d'autre solution. Parfois, nous buvons cette eau et parfois nous l'utilisons pour la lessive et d'autres usages domestiques à l'hôpital.
Il n'y a donc pas de source d'eau saine, et c'est pourquoi nous commençons à voir une épidémie d'une sorte de maladie diarrhéique, (...) qui pourrait être le choléra, mais nous n'en sommes pas encore sûrs car nous n'avons pas de laboratoire pour faire de tests. Le choléra est souvent causé par un mode de vie malsain et de l'eau ou des aliments contaminés. Et nous avons aussi quelques cas de fièvre typhoïde.
"Ils ont posé le drain thoracique dans l'obscurité"
Malgré ces défis, Faisal Nugud reste déterminé à prendre soin de ses patients.
Nous devons sauver des vies par tous les moyens possibles. Par exemple, nous avons dû poser un drain thoracique à un patient, car il avait du sang dans la poitrine. Ils ont posé le drain thoracique dans l'obscurité en utilisant des instruments très rudimentaires. Nous savons que ce n'est pas une façon idéale de faire, mais soit nous procédons ainsi, soit nous perdons le patient.
La médecine en temps de guerre est différente de la médecine en temps de paix. Il faut adapter beaucoup de procédures chirurgicales pour sauver des vies.

Attaques sur les infrastructures électriques
Cette situation ne se limite pas à l'État d'Al-Jazirah.
"Dans les villes qui se trouvent désormais hors de la zone de guerre, il y a eu des attaques de drones sur des transformateurs électriques, donc elles subissent également des coupures de courant", a expliqué le docteur Nugud.
L'analyse de vidéos et d'images satellite par la rédaction des Observateurs de France 24 montre qu'au moins cinq sites ont pris feu après des attaques depuis janvier.
Des vidéos qui ont circulé le 24 janvier ont ainsi montré la centrale électrique de Markhiyat, située au nord d'Omdourman, ville voisine de la capitale Khartoum, en flammes.
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Accepter Gérer mes choixCes dégâts sont d’ailleurs visibles sur une image satellite prise deux jours après l’attaque.

Quelques jours auparavant, des images avaient documenté des attaques sur deux autres sites : la centrale électrique d'Al-Shawak dans l'État d'Al-Qadarif, dans l'est du Soudan, le 18 janvier, et celle de Dongola, dans le nord du Soudan, le 20 janvier.
Ces attaques ne sont pas sans conséquences. Des images du 13 janvier ont montré un incendie au niveau de la centrale hydroélectrique du barrage de Merowe, dans le nord du Soudan, qui fournit environ 40 % de l'électricité du Soudan, selon le média local Sudan Tribune. Les dégâts qui en ont résulté ont entraîné des coupures de courant généralisées à Port-Soudan, Omdourman et plusieurs autres villes.
L’ensemble de ces attaques ont été attribuées aux Forces de soutien rapide par l’armée ou les autorités soudanaises. Après l'attaque du barrage de Merowe, l'armée a déclaré que celle-ci s’incrivait dans le cadre d’une "campagne systématique" contre les sites militaires et les infrastructures vitales du Soudan.
Les FSR n'ont toutefois pas revendiqué la responsabilité de ces attaques, et la rédaction des Observateurs de France 24 n'a pas été en mesure d’établir l’entité à leur origine de manière indépendante.
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Accepter Gérer mes choixCes attaques sont une pression supplémentaire pour le système de santé.
Le 16 février, une attaque a ciblé la centrale électrique d'Um Dubakker dans l'État du Nil Blanc, dans le sud du pays. Le 23 février, les autorités sanitaires signalaient une épidémie de choléra dans cet État, avec 1 640 cas signalés, dont 63 décès.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha), l'épidémie serait liée à l'eau de rivière utilisée par la population, "après que l'installation d'alimentation électrique a été endommagée lors de récents affrontements, provoquant une coupure de courant majeure qui a affecté le principal approvisionnement en eau de la ville".
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Accepter Gérer mes choix"Si une centrale électrique est détruite, cela signifie bien plus que cela"
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a déclaré dans un communiqué de presse fin janvier être "vivement préoccupé" par cette "récente multiplication des attaques ciblant des infrastructures civiles essentielles au Soudan".
La rédaction des Observateurs de France 24 s'est entretenue avec Alyona Synenko, porte-parole du CICR, qui explique comment ces attaques compromettent encore davantage le fonctionnement efficace des hôpitaux :
Si une centrale électrique est détruite, cela signifie bien plus que cela. Bien sûr, les gens n'auront plus d'électricité, mais cela signifie aussi qu'il n'y aura plus d'électricité pour les pompes à eau, et donc plus d'eau. Cela signifie que l'hôpital n'aura plus d'eau ni d'électricité. Et des gens mourront dans un hôpital s'il n'y a pas d'électricité.
Il y a cet effet d'entraînement, cette cascade de conséquences qui affectent les gens, surtout dans des zones de conflit actif comme c’est le cas au Soudan.
Elle souligne également que la réparation de telles installations peut s'avérer difficile.
Réparer est difficile dans un pays qui est touché par un conflit armé depuis maintenant près de deux ans. Les pièces de rechange ne sont pas toujours disponibles. Et beaucoup de gens ont fui le conflit et sont partis à l'étranger. Donc le personnel qualifié manque.
Mais le plus important est le sentiment de sécurité et de confiance pour le personnel chargé de maintenir les services. Pour qu’ils puissent faire leur travail, ils ont besoin de se sentir en sécurité. Ils ont besoin de savoir qu'ils sont protégés par le droit international humanitaire et que ce droit est respecté.
Dans son communiqué, le CICR a demandé aux parties de "protéger les infrastructures civiles essentielles", y compris "les installations d’approvisionnement en électricité", déclarant qu’elles étaient "tenues de le faire au titre du droit international humanitaire et de l’engagement qu’elles ont pris dans le cadre de la Déclaration de Djeddah de mai 2023".
Depuis le début du conflit, l'ONU a recensé plus de 18 800 civils tués. Plus de trois millions de personnes sont considérées comme réfugiées, et près de neuf millions sont déplacées à l'intérieur du pays.