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Budget 2025 de la France : quel scénarios pour l'exécutif en cas de blocage ?
Le projet de loi de finances élaboré dans l’urgence par le nouvel exécutif est présenté jeudi en Conseil des ministres et son examen à l’Assemblée nationale débutera le 21 octobre. Sans majorité absolue et sous la menace d’une motion de censure, le gouvernement Barnier fait face à une mission périlleuse. France 24 fait le point sur les différents scénarios possibles.

Comment faire passer le budget 2025 et éviter de devoir mettre la France à l’arrêt ? La question préoccupe Michel Barnier depuis le jour de sa nomination à Matignon et le problème semble insoluble. Avec une Assemblée nationale divisée en trois blocs, l’examen du projet de loi de finances, qui doit démarrer lundi 21 octobre, s’annonce comme un premier test grandeur nature de la capacité du Premier ministre à obtenir des compromis, ou à faire preuve de créativité avec la Constitution française. L’enjeu est de taille : il s’agit tout simplement d’empêcher ce qui pourrait ressembler à un "shutdown" à l'américaine, à savoir de se retrouver avec un État dont les services publics sont à l'arrêt et dont les fonctionnaires ne sont plus payés.

Et pour cela, le temps presse. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit normalement que le projet de budget soit déposé au Parlement "au plus tard le premier mardi d'octobre", après son adoption en Conseil des ministres. Cette année, ce sera finalement "la semaine du 9 octobre", a annoncé le 25 septembre le ministre chargé du Budget et des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, devant les députés.

Sans majorité absolue, le gouvernement risque d’avoir toutes les peines à faire adopter son budget avant le 31 décembre. "On est vraiment dans une situation inédite, au point qu’on peut se demander si l'hostilité actuelle de l'Assemblée nationale au gouvernement Barnier ne pourrait pas conduire à un blocage complet", s'interroge Alexandre Guigue, professeur de droit public à l'Université Savoie Mont Blanc.

Afin d'éviter le pire – une France qui se réveillerait sans budget le 1er janvier 2025 –, Michel Barnier va devoir trouver des solutions pour contourner les blocages. France 24 dresse la liste des différents scénarios possibles dans les semaines à venir.

  • Adoption du projet de loi de finances après un vote

Si Michel Barnier va tenter, pour faire voter son projet de loi, de chercher des soutiens dans les rangs du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national, il lui faudra déjà convaincre les députés censés lui fournir une majorité relative, ceux de sa famille politique – le groupe Droite républicaine – et aussi les élus de la macronie. Mais entre ceux qui ne veulent absolument pas entendre parler de hausses d’impôts, y compris pour les grands groupes ou les plus fortunés, et ceux qui sont totalement opposés aux réductions des dépenses, trouver une majorité sur le budget paraît peu probable.

D’autant que celui-ci se prépare dans le contexte d'un déficit plus important que prévu. Après un décrochage à 5,5 % du PIB en 2023, le déficit public de la France connaîtra un nouveau dérapage en 2024 avec le risque de le voir dépasser les 6 %, a prévenu Laurent Saint-Martin. C'est bien pire que le déficit de 5,1 % du PIB sur lequel tablait le précédent gouvernement et bien supérieur au seuil de 3 % fixé par l'Union européenne.

La Commission européenne a d'ailleurs engagé en juillet une procédure pour déficit excessif contre la France. Pour éviter une sanction financière, Paris doit présenter sa trajectoire des finances publiques sur plusieurs années et vient d'obtenir auprès de Bruxelles un délai pour le faire – jusqu'au 31 octobre.

  • Utilisation de l'article 49.3 de la Constitution

Dans ce contexte incertain, Michel Barnier pourrait être tenté d’utiliser le 49.3, comme Élisabeth Borne en 2022 et 2023. Cet article de la Constitution permet de faire adopter un projet de loi sans vote, à condition de ne pas être renversé par une motion de censure. Or, la configuration de l'Assemblée nationale est bien différente de celle que connaissait ces deux dernières années l’ancienne Première ministre, qui était protégée par l’abstention du groupe Les Républicains.

Désormais, l’addition des voix des élus du Nouveau Front populaire (193 députés) et du Rassemblement national (126 députés) suffit à obtenir la majorité absolue des 289 voix nécessaires pour faire chuter un gouvernement. Même s’il a évoqué le 49.3, jeudi 3 octobre sur France 2, Michel Barnier pourrait toutefois hésiter à engager cette procédure et préférer s'assurer des faveurs de Marine Le Pen et de l'abstention des députés d’extrême droite pour éviter d’être renversé, et ainsi faire adopter son budget.

En cas de motion de censure qui irait jusqu’au bout, en revanche, le gouvernement de Michel Barnier tomberait. Emmanuel Macron devrait alors choisir entre maintenir Michel Barnier ou nommer un nouveau Premier ministre, qui formerait un nouveau gouvernement, avec la tâche de proposer un nouveau projet de loi de finances.

Dans tous les cas, les délais seraient alors trop courts pour faire adopter un budget avant le 31 décembre. Le gouvernement pourrait donc invoquer l’article 47 de la Constitution, qui prévoit un mécanisme d’urgence pour percevoir l’impôt.

"Il y a deux précédents : en 1962, la dissolution de l'Assemblée nationale annoncée en octobre ne permet pas de voter le budget à temps. Seule la première partie sur les recettes est votée et des décrets sont pris pour assurer les missions de l’État ; en décembre 1979, le projet de loi de finances est complètement retoqué par le Conseil constitutionnel, obligeant le gouvernement à faire adopter dans l’urgence un texte l’autorisant à percevoir l’impôt", souligne Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public à l’Université de Rouen.

  • Utilisation conjointe de l’article 47 de la Constitution et de l’article 45 de la LOLF

L’article 47 indique que le gouvernement peut "demande[r] d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvr[ir] par décret les crédits se rapportant aux services votés". Son utilisation est possible dans deux cas de figure.

D'abord, en cas d’enlisement du projet de loi de finances : "Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance", prévoit le texte constitutionnel. Une solution presque idéale qui permettrait au gouvernement d’appliquer son budget sans y retoucher et sans risquer d’être renversé.

Autre cas de figure : le projet de loi de finances (PLF) est rejeté et Michel Barnier propose alors un nouveau texte – ou son gouvernement est renversé après activation du 49.3 et un nouveau gouvernement présente un nouveau PLF –, mais son examen ne peut aller à son terme avant le 31 décembre, faute de temps. La combinaison de l’article 47 de la Constitution et de l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) est alors permise.

Cette procédure prévoit que le gouvernement peut demander à l'Assemblée nationale, avant le 11 décembre, "d'émettre un vote séparé sur l'ensemble de la première partie de la loi de finances de l’année" ; ou bien faire voter, avant le 19 décembre, une loi spéciale permettant au gouvernement de prendre "des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés", représentant "le minimum de crédits que le gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement".

Cela signifie que seules les dépenses prévues pour 2024 pourraient être renouvelées en 2025. Dans le même temps, le gouvernement poursuit les discussions sur son projet de loi de finances avec l’espoir d’aboutir à un vote positif.

Cette solution supposant toutefois d’obtenir du Parlement le vote d’une loi spéciale, rien ne dit, avec la composition actuelle de l’Assemblée nationale, que ce feu vert serait nécessairement accordé. La France se retrouverait alors dans une situation inédite, que ni la Constitution ni la LOLF ne prévoient. Et le président de la République pourrait décider de reprendre la main.

  • En cas de blocage, une possible intervention d’Emmanuel Macron

"On touche ici aux limites de ce que prévoient nos textes. Emmanuel Macron pourrait alors vouloir retourner l’opinion contre les oppositions coupables de tout bloquer. Ce qui est certain, c’est que quelque chose sera tenté pour éviter que l’administration ne cesse de fonctionner", prédit Alexandre Guigue, qui met en avant l’article 5 de la Constitution.

Celui-ci dispose que "le président de la République veille au respect de la Constitution" et "assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État". Emmanuel Macron pourrait ainsi juger que la Constitution l’autorise à prendre des ordonnances pour éviter que l’État ne puisse plus fonctionner.

D’autres constitutionnalistes vont encore plus loin, à l’image de Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et de Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel. Ils imaginent, dans un article publié le 1er juillet dans La Revue politique et parlementaire, la possibilité pour Emmanuel Macron d’invoquer l’article 16 de la Constitution, qui accorde au président de la République les pleins pouvoirs.

"Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances", indique le texte constitutionnel.

"Cela me paraît être une interprétation abusive de l’article 16 car je ne vois pas quelle serait la menace imminente sur la Nation, mais cela montre en tout cas qu’il y a une part d’interprétation dans la lecture et l’application d’une Constitution", estime Anne-Charlène Bezzina, qui met en garde contre "le danger de créer des précédents".

"On voit que les textes ne fixent qu’un cadre et que certaines situations les mettent à l’épreuve. La Constitution et les lois organiques n'offrent qu'une partie de la réponse, mais pas la totalité", juge de son côté Alexandre Guigue, pour qui la situation actuelle a aussi le mérite de créer des débats entre constitutionnalistes. "On sent que les esprits s’échauffent", conclut-il.