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Au procès des viols de Mazan, les proches de Gisèle Pelicot face à son interminable errance médicale
Le gendre et le frère aîné de Dominique Pelicot, accusé d'avoir drogué sa femme pour la livrer à des dizaines d'hommes, ont témoigné mardi devant la cour criminelle du Vaucluse. À la barre, ils ont raconté comment la santé de Gisèle Pelicot s'était dégradée ces dernières années et l'impuissance des médecins pour en déterminer la cause.

"Pour pouvoir trouver l'origine de tout ce processus, il fallait penser à l'inimaginable. Nous n'y avons pas pensé." C'est un médecin, et frère aîné de Dominique Pelicot, qui a illustré mardi 8 octobre le déni qui entoure le phénomène de la soumission chimique. Ainsi que l'errance médicale que subissent les victimes, à l'image de Gisèle Pelicot, droguée par son mari et violée par plus de 70 hommes pendant dix ans.

Joël Pelicot, 76 ans, veste bleu marine et lunettes sur le nez, a raconté, mardi 8 octobre, son enfance avec son frère Dominique, ex-compagnon de Gisèle Pelicot, qui comparaît devant la cour criminelle du Vaucluse depuis le 2 septembre. Médecin respecté, il a fait partie de ceux qui ont prescrit du Témesta, un anxiolytique, à Gisèle Pelicot, "parce qu'elle se trouvait angoissée et qu'elle avait des troubles du sommeil".

Pertes de mémoire, "absences", et problèmes gynécologiques

À partir de 2015, sur les conseils d'un infirmier rencontré en ligne, Dominique Pelicot commence à administrer secrètement des anxiolytiques à Gisèle Pelicot. Une fois sa femme endormie, il peut abuser d'elle sexuellement, sans qu'elle ne s'en rende compte. Le retraité se fait lui-même prescrire du Témesta depuis plusieurs années "prétextant des difficultés liées à sa situation financière auprès de son médecin traitant". Ce dernier ne lui pose pas davantage de questions. Après tout, la prescription de ce médicament est on ne peut plus courante chez les Français atteints de troubles du sommeil ou d'anxiété. Les pharmacies sont même fréquemment victimes de rupture de stock concernant la molécule.

Une fois sa méthode mise au point, Dominique Pelicot contacte des dizaines d'inconnus sur le site de rencontres Coco.fr et leur propose de commettre des viols sur sa femme, sédatée. Pour s'assurer que sa compagne reste inerte, Dominique Pelicot augmente progressivement les doses, entre trois et dix comprimés par jour, qu'il écrase dans des boissons ou de la nourriture. Il y a bien quelques alertes, comme ce jour où Gisèle Pelicot s'aperçoit que sa bière blanche affiche une douteuse couleur verte, mais rien qui ne laisse présager de l'ampleur de la machination. Au total, près de 780 comprimés de Témesta seront prescrits jusqu'en 2020 par différents médecins.

"Elle avait souvent des propos incohérents"

En parallèle, l'état de santé de Gisèle Pelicot commence sérieusement à se dégrader. "L'état de santé de ma belle-mère nous inquiétait beaucoup. Quand ma belle-mère rentrait à Mazan (Vaucluse), on avait beaucoup de mal à la joindre au téléphone, la plupart du temps c'est [Dominique] qui répondait, il nous expliquait que Gisèle dormait, même en pleine journée. Ça pouvait être crédible parce qu'elle en faisait beaucoup, notamment en gardant les enfants", témoigne Pierre Peyronnet, 52 ans et gendre des époux Pelicot, qui s'exprimait aussi à la barre, mardi.

"Quand, enfin, on pouvait lui parler au téléphone, elle avait souvent des propos incohérents : elle semblait vraiment dans le gaz. On a cru à la thèse perverse de [Dominique Pelicot] de dire que c'était de notre faute si son état de santé se dégradait. On en a même parlé entre nous pour trouver une solution et la faire moins venir, pour ne pas qu'elle s'épuise. Je comprends maintenant que l'objectif était de la garder sous son joug."

Des médecins peu sensibilisés

Commence alors un long parcours d'errance médicale pour cette femme qui consulte successivement pour des pertes de mémoire, des "absences", et des problèmes gynécologiques, comme une inflammation du col de l'utérus. À l'époque, son mari fait semblant de s'en étonner : "Mais que fais-tu de tes journées ?", sous-entendant que sa femme entretient des relations extraconjugales. Victime d'une angoisse permanente, Gisèle Pelicot n'ose plus conduire, ni prendre le train seule.

En réalité, les médecins ont bien du mal à réunir les pièces du puzzle. "Nous ne croyions pas à la notion de fatigue, explique Joël Pelicot, frère de l'accusé et ancien médecin. À chaque fois, on lui disait de refaire des examens, car les prises de sang successives ne donnaient rien." Les pertes de mémoire de Gisèle Pelicot cesseront brutalement le 2 novembre 2020, lorsque Dominique Pelicot sera emmené en garde à vue.

Comment expliquer une si longue errance médicale pour Gisèle Pelicot ? À cette question, Joël Pelicot rappelle qu'en médecine, "on ne trouve que ce que l'on cherche, et on ne cherche que ce que l'on connaît". Récemment, la gynécologue Ghada Hatem, à l'origine de la Maison des femmes à Saint-Denis, a déclaré au Monde qu'elle ne savait rien de la soumission chimique intrafamiliale avant de découvrir l'affaire Pelicot. Depuis, des formations sur le sujet ont été mises en place, notamment par la Maison des femmes et le Centre d'addictovigilance de Paris, pour sensibiliser les médecins et magistrats à ce phénomène exponentiel, bien que sous-documenté.