Va-t-on vers une guerre totale entre Israël et le Liban ? Après des mois d'un conflit de basse intensité, l'escalade militaire observée ces derniers jours fait craindre le pire alors que l'État hébreu poursuivait, mardi 24 septembre, sa campagne de raids aériens contre le Hezbollah, le "Parti de Dieu", soutenu par l'Iran.
Le bilan humain est déjà lourd : selon le ministre libanais de la Santé, Firass Abiad, les frappes israéliennes ont fait au moins 569 morts, dont 50 enfants et 94 femmes, selon les autorités. Des chiffres qui ne cessent d'être revus à la hausse. Jamais depuis 2006, le conflit entre le mouvement islamiste chiite libanais et l'État hébreu n'avait atteint une telle intensité.
De son côté, le Hezbollah a revendiqué des tirs de missiles Fadi 2 vers Israël et annoncé avoir visé des sites militaires proches d'Haïfa, la grande ville du nord, dont une "usine d'explosifs" à environ 60 kilomètres de la frontière libanaise, ainsi que la ville de Kiryat Shmona. Le week-end a également été marqué par des dizaines de tirs de roquette vers l'État hébreu qui a ordonné l'évacuation de près d'un million d'Israéliens résidant près de la frontière avec le Liban.
La milice chiite entendait venger la double humiliation subie la semaine dernière, la plus cinglante infligée par Israël dans l'histoire du Hezbollah. En l'espace de 48 heures, plus de 4 000 bipeurs et talkies-walkies piégés, utilisés par des membres de la milice, ont explosé faisant des dizaines de morts et plus de 3 500 blessés.
Dans la foulée, une frappe israélienne sur la banlieue sud de Beyrouth a tué 16 combattants de l'unité d'élite du mouvement dont son chef, Ibrahim Aqil. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a estimé lundi que le Hezbollah vivait sa "semaine la plus difficile depuis sa création" en 1982.
Le Hezbollah a, lui, promis de continuer à attaquer Israël "jusqu'à la fin de l'agression à Gaza", où la guerre a été déclenchée le 7 octobre 2023 par l'attaque sans précédent du Hamas sur le sol israélien.
Pour mieux comprendre le contexte régional de cet affrontement entre ces deux ennemis jurés, France 24 revient en cinq dates sur l'histoire d'un conflit qui menace à nouveau de s'embraser.
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1982 : guerre du Liban et création du Hezbollah
L'origine du Hezbollah remonte à l'invasion israélienne du Liban. En 1978, Israël déploie des troupes dans le sud pour protéger sa frontière des incursions des combattants palestiniens. À la suite de l'augmentation des attaques dans le nord d'Israël et à la tentative d'assassinat du diplomate israélien Shlomo Argov, l'État hébreu déclenche en 1982 l'opération "Paix en Galilée". Son objectif est de traquer et d'éliminer les militants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui avaient trouvé refuge au Liban. Massivement bombardée et encerclée, la capitale Beyrouth devient un champ de bataille que les Palestiniens sont contraints de quitter.
Cependant, Israël décide de continuer à occuper une grande partie du sud du pays pour créer une zone tampon et garantir sa sécurité. En réaction à cette occupation, le Hezbollah est créé dès 1982 avec le soutien de l'Iran qui envoie ses Gardiens de la révolution pour les former et les armer. Le Hezbollah se présente comme un mouvement politico-religieux de résistance dont le principal objectif est la destruction de l’État d'Israël. "Notre lutte ne prendra fin que lorsque cette entité, Israël, sera éliminée", proclame la charte fondatrice du Hezbollah.
Agissant dans la clandestinité, le mouvement ne se révèle publiquement que trois ans plus tard. Durant cette période, la milice islamiste chiite multiplie les prises d'otages, les attentats et les actions de guérilla contre des soldats israéliens et l’Armée du Sud-Liban (ALS), un groupe paramilitaire composé de chiites et de chrétiens libanais. Israël riposte avec des opérations comme "Justice rendue" en 1993 et "Raisins de la colère" en 1996, qui tuent des centaines de Libanais et entraînent le déplacement de plus d'un demi-million de civils dans le pays.
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2000 : Israël se retire du Sud-Liban
Après une vingtaine d'années d’occupation d'une partie du territoire libanais, les troupes israéliennes se retirent, offrant une victoire symbolique au Hezbollah. Commence une période de relative accalmie malgré des accrochages encore fréquents et des incursions de combattants de la milice chiite sur le territoire israélien.
Pendant cette période, le Hezbollah continue de s'enraciner au Liban et d'intégrer le paysage politique en nouant des alliances intercommunautaires. Une stratégie de "libanisation" débutée dès les années 1990 qui aboutit en 2005 à la première participation du mouvement islamiste à un gouvernement.
Mais le Hezbollah n'abandonne pas pour autant son ADN, à savoir la lutte armée contre Israël. Il considère notamment que l'État hébreu doit évacuer les fermes de Chebaa, un minuscule territoire adjacent au Golan, revendiqué par le Liban.
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2006 : deuxième guerre du Liban
À la suite d'une attaque meurtrière du Hezbollah contre l'armée israélienne le 12 juillet 2006, des miliciens chiites parviennent à enlever deux soldats israéliens. En représailles, Israël lance une offensive de grande ampleur sur le territoire libanais et mène des raids aériens dévastateurs, réduisant à néant des quartiers entiers et détruisant une majorité des infrastructures du pays. En parallèle, l'armée israélienne lance une incursion terrestre et impose un blocus maritime, aérien et terrestre.
Ce conflit reste à ce jour le plus meurtrier entre Israël et le Hezbollah : en trente-trois jours, 1 200 personnes sont tuées au Liban, en majorité des civils, et les combats entraînent le déplacement d’un million de personnes. Côté israélien, le bilan s’élève à 165 morts et 500 000 déplacés.
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2012 : intervention militaire du Hezbollah en Syrie
La guerre civile qui secoue la Syrie va également constituer un terrain d'affrontement indirect entre Israël et le Hezbollah, qui intervient aux côtés du régime de Bachar al-Assad. La milice fournit alors au président syrien un précieux soutien militaire, technique et logistique face aux rebelles.
L'intervention de la milice chiite est alors présentée par son chef Hassan Nasrallah comme un impératif pour sauver "l’axe de résistance contre Israël". La propagande du Hezbollah présente les manifestations réclamant la chute du régime syrien comme un complot occidental et sioniste.
De son côté, Israël intervient également de manière officieuse dans le conflit dès 2013 en bombardant des zones contrôlées par des combattants du Hezbollah.
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2024 : massacres du 7 octobre et guerre à Gaza
Le 7 octobre 2023, l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas palestinien, qui a fait 1 200 morts en Israël, entraîne des bombardements intensifs sur la bande de Gaza. En soutien au Hamas, le Hezbollah ouvre un second front en envoyant ses premières roquettes sur Israël, qui réplique par des tirs d’artillerie et des frappes de drones.
Les échanges de tirs deviennent quotidiens et entraînent le déplacement de 160 000 personnes de part et d'autre de la frontière. Cette guerre de basse intensité connaît toutefois plusieurs pics de tensions notamment lorsqu'une frappe attribuée à Israël sur le consulat iranien à Damas a fait 16 morts, dont deux généraux des Gardiens de la révolution.
Si le Hezbollah se doit de réagir aux coups portés par Israël, les experts estiment que le mouvement islamiste tente alors d'éviter un conflit ouvert dont il finirait perdant. Fin décembre 2023, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, qui a fait du retour des populations israéliennes évacuées une priorité, avait promis de "transformer Beyrouth et le Liban-Sud en Gaza".
Après l'opération spectaculaire des bipeurs piégés et l'intensification des frappes sur le Liban, l'hypothèse d'un embrasement régional impliquant l'Iran n'a jamais été aussi crédible et ravive pour tous les Libanais le spectre de 2006.