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Chute en Bourse, critiques des joueurs, menace de grève : la rentrée chaotique de l'éditeur Ubisoft
La capitalisation boursière du géant du jeu vidéo Ubisoft est au plus bas depuis dix ans. Malgré des ventes encourageantes, l'éditeur français paie le lancement raté, fin août, de son dernier blockbuster, Star Wars Outlaws. Dans la foulée, plusieurs analystes ont revu à la baisse leurs prévisions de vente tandis qu'en interne, les syndicats menacent la direction d'un mouvement social.

Dans le monde du gaming, on appelle cela un jeu "AAA". L'équivalent d'un blockbuster au cinéma. Star Wars Outlaws, sorti le 30 août, appartient à cette catégorie. Budget colossal, franchise culte et plan marketing bien ficelé devaient emmener le dernier né d'Ubisoft vers des sommets, soit au moins dix millions d'unités vendues, volume régulièrement dépassé par ses autres licences à succès comme Far Cry et Assassin's Creed. 

Mais quelques jours après son lancement, Ubisoft, qui ne communique aucun détail sur ses ventes, aurait déchanté. Plusieurs analystes financiers estiment que le titre ne tiendra pas ses promesses. Selon JPMorgan, Star Wars Outlaws ne pourrait se vendre qu'à 5,5 millions d'exemplaires lors de l'exercice 2024-2025. 

Si la presse a globalement salué le projet pour sa fidélité à l'univers de George Lucas, les joueurs, eux, ont eu la dent dure contre les aventures de la mercenaire Kay Vess, l'héroïne de Star Wars Outlaws. Sur le site de référence Metacritic, le jeu récolte un honorable 76/100 de la part de la presse spécialisée mais obtient tout juste la moyenne chez les joueurs. Sur les réseaux sociaux, ces derniers s'en donnent à cœur joie pour ridiculiser le titre d'Ubisoft pour ses bugs, son manque d'immersion ou encore l'IA perfectible des ennemis.

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"Le problème des bugs n'est pas propre à Ubisoft. Il est structurel. Les grands studios investissent de moins en moins dans le "QA" – l'assurance qualité –, une étape qui permet de tester le jeu de bout en bout avant sa sortie", explique Héloïse Linossier, journaliste pour le site spécialisé Origami.

"Ubisoft est un gros studio dont les joueurs aiment se plaindre, un peu comme on aime se plaindre de la SNCF", poursuit l'experte du secteur, qui juge certaines critiques justifiées, d'autres non. "Il faut souligner que le jeu a été victime d'une campagne militante destinée à faire baisser la note du jeu car il intègre des éléments progressistes, comme ici le fait d'incarner une femme. En réalité, Star Wars Outlaws pourrait bien être l'un des meilleurs jeux d'Ubisoft de ces dernières années".

Récemment, plusieurs jeux vidéos ont été ciblés par du "review bombing" – une avalanche de notes négatives, la plupart du temps pour des raisons politiques. En 2020, une vaste campagne de haine avait notamment visé l'homosexualité de l'héroïne de "The Last of Us Part II", par ailleurs considéré comme un chef d'œuvre du 10e art.

Climat social tendu

Outre les déboires de Star Wars Outlaws, Ubisoft enchaîne les accidents de parcours ces derniers mois. Son jeu en ligne de tir à la première personne "XDefiant" semble sur la sellette, le très attendu "Skull and bones" sorti en février a fait un flop, tout comme "Avatar : Frontiers of Pandora". Autre motif d'inquiétude pour les investisseurs : le report de deux jeux mobiles, "Rainbow Six Mobile" et "The Division Resurgence".

"Les déceptions sur les gros jeux se sont multipliées ces derniers mois, et la Bourse a fini par sanctionner Ubisoft. C'est une forme de capitulation du marché à l'égard du titre : le groupe n'est plus perçu comme jouant dans la même catégorie qu'Activision ou Electronic Arts", assure au journal Les Échos Louis Planade, analyste financier jeu vidéo chez TP ICAP. 

Le 10 septembre, une lettre ouverte d'un actionnaire – certes très minoritaire avec moins de 1 % du capital –, adressée au Conseil d'administration d'Ubisoft, a cristallisé la défiance à l'égard de l'entreprise tricolore. "Nous vous écrivons pour exprimer notre profonde insatisfaction face aux performances du groupe", écrit le fonds d'investissement slovaque AJ Investment qui réclame la mise en vente du groupe, une réorganisation de l'entreprise et le renvoi du directeur et cofondateur d'Ubisoft, Yves Guillemot.

Comme si cela ne suffisait pas, le mécontentement gronde en interne depuis que la direction a prévenu ses 18 000 salariés à travers le monde que le télétravail ne serait désormais possible que deux jours par semaine. En France, la nouvelle passe très mal auprès des syndicats qui menacent d'appeler à la grève. "Il est hors de question de revenir sur un acquis social qui a montré son efficacité. Nous appelons donc les salariés d’Ubisoft Paris à se préparer pour un mouvement social d’ampleur dans les temps qui viennent".

"Ubisoft a énormément de problèmes depuis de nombreuses années, ce n'est pas nouveau. Mais cette annonce sur le retour du présentiel provoque beaucoup de tensions en interne. Selon les syndicats, c'est une manière de pousser les gens vers la sortie sans avoir besoin de licencier. Un plan social déguisé", explique Héloïse Linossier.

Après deux années fastes marquées par l'essor du divertissement à domicile durant la pandémie de Covid-19, l'industrie vidéoludique, qui pèse plus que les marchés de la musique et du cinéma réunis, a connu un net ralentissement. Résultat : des fermetures de studios et plus de 11 000 licenciements dans le monde depuis le début de l'année, selon le site spécialisé Game Industry Layoffs.

Haro sur "la formule Ubisoft"

Mais au-delà de cette conjoncture défavorable et des tensions en interne, Ubisoft semble aussi payer auprès des joueurs un manque de prise de risque dans ses productions. Le débat fait régulièrement rage entre les partisans et les détracteurs de la "formule Ubisoft" qui tend à rabâcher jusqu'à la nausée les mêmes mécanismes de jeu.

"L'apparition des mondes ouverts qui offrent la liberté d'explorer a été une véritable révolution. Malheureusement, cela a conduit à la tentation d'allonger artificiellement la durée de vie des jeux en y insérant des éléments annexes, mais pas du vrai contenu. Dans ce domaine, Ubisoft est le champion et ça, les joueurs en ont marre", note Héloïse Linossier.

L'autre point noir concerne les micro-transactions, un modèle commercial dans lequel les utilisateurs peuvent acheter des biens virtuels dans le jeu à travers des micropaiements. Le 12 septembre, l'UFC-Que Choisir ainsi qu'une vingtaine d'autres associations ont porté plainte au niveau européen contre plusieurs mastodontes du secteur, dont Ublisoft, dénonçant des pratiques commerciales trompeuses. Ces organismes estiment que les monnaies virtuelles utilisées conduisent les consommateurs à faire des achats de contenus virtuels pour améliorer le jeu mais sans connaître leur réelle valeur.

Malgré ces difficultés, il est bien trop tôt pour enterrer le savoir-faire d'Ubisoft dans un secteur où les revers de fortune sont légion. Star Wars Outlaws pourrait ainsi connaître un destin comparable à celui de Cyberpunk 2077, jeu du studio polonais CD projekt. Décrié à sa sortie pour ses nombreux bugs, le jeu a finalement accédé au statut d'œuvre culte grâce à l'ajout d'une série de patchs correctifs.

En attendant, l'éditeur français compte bien rebondir en cette fin d'année avec le nouveau "Assassin's Creed Shadows". "C'est une licence emblématique d'Ubisoft qui, cette fois-ci, va se dérouler au Japon, une demande géographique de longue date chez les fans d'Assassin's Creed', rappelle Héloïse Linossier. "Attendons de voir ce qui va se passer avant les fêtes car c'est généralement à ce moment là qu'Ubisoft fait ses meilleurs chiffres".

Prévu pour le 15 novembre, "Assassin's Creed Shadows", qui a nécessité quatre ans de développement, est présenté comme l'un des jeux les plus ambitieux du studio. Autant dire que le champion français n'a cette fois pas le droit à l'erreur.

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