![Forum économique des banlieues : "On ne dit jamais combien les quartiers prioritaires rapportent" Forum économique des banlieues : "On ne dit jamais combien les quartiers prioritaires rapportent"](/data/posts/2024/09/16/1726466462_Forum-economique-des-banlieues-On-ne-dit-jamais-combien-les-quartiers-prioritaires-rapportent.jpg)
Le premier Forum économique des banlieues ou "Davos des banlieues" – en référence à la station alpine suisse où se réunit chaque année l'élite de l'économie mondiale – se tient les 17 et 18 septembre à Paris. Objectif : atteindre 100 millions d'euros de commandes publiques et privées pour les entreprises des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).
Parmi les personnalités attendues au Conseil économique et social : l'ancien Premier ministre Gabriel Attal, le ministre de l'Économie démissionnaire Bruno Le Maire, de nombreux parlementaires ainsi que les maires de Saint-Ouen, Mantes-la-Jolie, Toulouse ou Montpellier.
Côté privé, les organisateurs annoncent le patron de Free, Xavier Niel – qui ouvrira le forum –, Sébastien Bazin, le président du groupe Accor, Maurice Lévy, président d'honneur du groupe Publicis, Jean-Philippe Courtois, ancien numéro 3 de Microsoft, ou encore Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française.
À l'origine de cet événement inédit qui entend s'inscrire dans le paysage économique tricolore, l'entrepreneur franco-marocain Aziz Senni, président de l'association Quartiers d'affaires qui accompagne 250 000 TPE et PME installées dans les QPV.
Aîné d'une famille de six enfants, Aziz Senni grandit à Mantes-la-Jolie dans la cité du Val Fourré. Exemple parfait du self-made man à la française, il crée en 2000, à seulement 23 ans, sa première entreprise de transports puis lance quelques années plus tard un fonds d'investissement pour soutenir le développement économique des banlieues.
Ce grand défenseur du rôle de la société civile se rapproche aussi du monde politique. Il collabore avec François Bayrou, dont il devient le conseiller spécial sur les questions sociales pour la présidentielle de 2007. Cinq ans plus tard, il participe à la création de l'Union des démocrates et indépendants (UDI).
Aziz Senni est également l'auteur de "L’ascenseur social est en panne, j’ai pris l’escalier" (éd. L'Archipel) ou encore "Monte ton biz. Les 10 commandements de l'entrepreneur des cités" (éd. Pearson).
À l'occasion de ce nouvel événement, l'entrepreneur partage avec France 24 son espoir de voir la banlieue devenir une terre d'opportunités pour les investisseurs et un relais de croissance valorisé dans l'Hexagone.
France 24 : Comment a émergé l'idée d'un Forum économique des banlieues et quel est son objectif ?
Aziz Senni : Cette idée a émergé à la suite de la création de mon association Quartiers d'affaires qui accompagne 250 000 PME installées dans les 1 500 quartiers prioritaires de la politique de la ville. Mais j'ai trouvé que ce n'était pas suffisant et qu'il fallait créer un événement qui s'inscrive dans le calendrier économique. Je me suis dit que la méthode du Forum économique de Davos, où se retrouvent les élites économiques, politiques et administratives, était peut-être la bonne.
Ces dernières années, les gouvernements de droite comme de gauche se sont interrogés sur la manière d'agir pour ces territoires d'un point de vue sécuritaire, social ou encore urbanistique mais la question du développement économique n'a jamais été réellement posée. Notre méthode consiste à réunir les élites économiques et les principaux concernés, c'est-à-dire tous les acteurs de l'inclusion économique dans ces territoires : les PME, mais aussi les associations et ONG qui soutiennent la création d'entreprises, d'emplois ou de stages en alternance... En fait, tous ceux qui forment un petit bout de la chaîne du développement économique.
Notre objectif est d'abord la rédaction d'un livre blanc qui compilera toutes les propositions qui auront été faites par la centaine d'intervenants présents. Notre deuxième objectif consiste à mobiliser plus de 100 millions d'euros de commandes publiques et privées à destination des entreprises installées en banlieue. Évidemment, nous mesurerons lors de la deuxième édition le nombre de contrats qui ont pu être signés et ce qu'ils ont généré en termes d'emploi dans ces territoires qui sont touchés par un taux de chômage de 23 %, soit près de trois fois la moyenne nationale.
À quelles difficultés sont confrontés les entrepreneurs des banlieues ?
Ces entreprises sont demandeuses en matière de formation. Un chef d'entreprise qui veut voir sa société se développer doit grandir avec elle. Il faut aussi sensibiliser les investisseurs qui n'ont pas l'habitude de prêter attention à ces territoires. Autre point : les financements. Les banques en ont fait beaucoup. Elles peuvent faire encore plus.
Enfin, nous avons une demande en matière d'accès à la commande publique et privée. Il faut pouvoir se faire référencer auprès des grands groupes pour devenir fournisseur mais aussi être accompagné pour répondre à un appel d'offres et remplir un dossier technique.
Il faut promouvoir la banlieue comme une terre d'opportunités également auprès d'acteurs internationaux. Nous militons notamment pour la création d'un label banlieue au sein du fameux Choose France pour que nous puissions bénéficier de cette manne financière mais aussi pour la création au sein du made in France d'un "made in banlieue".
Quels pays étrangers peuvent nous fournir des exemples à suivre pour revitaliser des quartiers défavorisés ou jugés peu attractifs pour des investisseurs ?
On pense évidemment en premier aux pays anglo-saxons et à l'exemple du Bronx à New York ou encore à certains quartiers de Los Angeles qui étaient des coupe-gorge mais qui sont devenus, grâce au développement économique, des endroits où il faut être. Il y a aussi des politiques très inspirantes à Singapour et ailleurs en Asie du Sud-Est. Cette dimension internationale fera partie des thématiques que nous renforcerons lors de la deuxième édition.
Les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont souvent présentés comme des quartiers auxquels il faut venir en aide plutôt que comme des relais de croissance. Pour vous, l'enjeu de ce "Davos des banlieues" est-il autant politique qu'économique ?
Il faut un changement de paradigme et d'éléments de langage. On a l'habitude de dire que la banlieue coûte au budget de l'État. C'est vrai. Mais elle est aussi rentable. On ne dit jamais combien les banlieues rapportent. Qui sait aujourd'hui que ces 250 000 entreprises dont je parle représentent 75 milliards d'euros de chiffre d'affaires ? Qui sait qu'elles emploient 200 000 équivalents temps plein en emplois directs ? Qui sait que la Seine-Saint-Denis, le troisième département le plus pauvre de France, est le huitième contributeur en matière de cotisations sociales ?
L'État ne peut pas tout. Le "Davos des banlieues" est une initiative privée dans laquelle nous invitons les collectivités, les régions et l'État à nous accompagner. Après 40 ans de politique de la ville, nous demandons à ces acteurs de nous faire confiance et de devenir des partenaires parce que nous savons ce que nous voulons pour nos territoires, notre banlieue et nos compatriotes qui y vivent.
Il est impératif de remettre la banlieue au cœur de la réflexion stratégique en matière économique. Aujourd'hui, la banlieue n'est pas citée dans le plan de réindustrialisation français de 54 milliards d'euros [le plan France 2030, doté d'un budget de 54 milliards d'euros sur cinq ans, NDLR]. La banlieue n'est pas envisagée comme un outil de ce plan de relance. Ce n'est pas acceptable.
Ne craignez-vous pas que l'événement souffre de l'instabilité politique qui règne actuellement en France ? Les cartons d'invitation auront-ils le temps de parvenir à la nouvelle équipe gouvernementale ?
Nous avons lancé des invitations à tous ceux qui veulent venir. On ne peut pas militer pour l'inclusion et en même temps pratiquer l'exclusion. Nous avons invité tout le monde sans distinction de parti politique. Tous les présidents de groupe parlementaire, depuis Mathilde Panot jusqu'à Marine Le Pen, ont été invités à présenter leur vision du développement économique. Certains ont déjà accepté. D'autres sont en attente. D'autres ont refusé. Certains brilleront par leur présence, les autres par leur absence.