logo

Livraisons de F-16 à l'Ukraine : un signal fort à l'impact limité
Promis à l'Ukraine depuis plus d'un an par l'Otan, les avions de chasse américains F-16 sont en cours de livraison, selon plusieurs sources. À terme, ils pourraient permettre à Kiev de reprendre le contrôle de son espace aérien, à condition d'être patient.

Les tant attendus F-16 sont en passe d'être livrés à l'Ukraine. C'est en tout cas ce qu'assurent plusieurs responsables étrangers, comme le ministre des affaires étrangères lituanien : "Des F-16 en Ukraine. Une autre chose impossible qui est devenue totalement possible", a déclaré Gabrielius Landsbergis sur X jeudi.

D'après une information de Bloomberg confirmée par Associated Press, il serait pour l'instant question de six appareils. Si les responsables ukrainiens n'ont pas encore communiqué, le général de l'armée de l'air et ancien pilote de chasse Patrick Dutartre s'attend à voir voler des F-16 dans le ciel ukrainien "dans les jours ou les petites semaines à venir".

Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Il faut dire que ces livraisons de F-16 étaient demandées de longue date par Volodymyr Zelensky, qui a estimé lors d'un discours le 9 juillet que son armée serait capable de "tenir le ciel" avec "128 F-16". Promis par plusieurs États européens, ce sont finalement une petite centaine de ces avions de chasse qui devraient être livrés à partir de cet été à l'Ukraine.

"Je suis heureux d’annoncer que, à l’heure où nous parlons, le transfert des avions F-16 est en cours, en provenance du Danemark et des Pays-Bas", avait annoncé le 10 juillet, en marge du sommet de l’Otan, à Washington, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken. Le Danemark, les Pays-Bas, ou encore la Norvège font partie des donateurs.

Reprendre le contrôle du ciel ukrainien

En mai dernier, c'est la Belgique qui s'est engagée à envoyer 30 F-16… d'ici 2028. Autrement dit une éternité pour l'Ukraine, qui subit les bombardements incessants de l'aviation militaire russe. Ces dernières semaines, les avions russes se sont d'ailleurs employés à détruire les vieux Soukhoï Su-27 et Mig-29 ukrainiens datant de l'ère soviétique. Selon le site spécialisé Oryx, les pertes ukrainiennes depuis le début de l’invasion russe s’élèvent à 75 avions de combat pour 92 côté russe, notamment parce que la Russie emploie davantage son aviation en soutien de son offensive terrestre.

En larguant des bombes planantes sur les fortifications ukrainiennes, les avions russes facilitent grandement l'avancée de leurs troupes au sol. Larguées avec précision, ces munitions guidées sont capables de parcourir de longues distances et peuvent aisément détruire les bunkers souterrains abritant les soldats ukrainiens.

Cet appui aérien a d'ailleurs été décisif dans la prise d'Avdiivka en février dernier. "Ces bombes planantes font beaucoup de dégâts sur les lignes de front, c'est l'explication principale du recul des Ukrainiens lors de la chute d'Avdiivka. Quand ils auront des F-16 pour les intercepter, ce sera un net soulagement pour les forces terrestres", estime le général Patrick Dutartre.

"La Russie poursuit actuellement une logique d'usure, complète Alexandre Vautravers, rédacteur en chef de la Revue militaire suisse et directeur scientifique au Centre d'histoire et de prospective militaires (CHPM). Il n'y a pas de bataille aérienne telle la bataille d'Angleterre, et on n'en prévoit pas dans les prochains mois non plus. On est plutôt dans une logique de dégradation lente, mais constante, des capacités militaires de conduite, et du moral de l'Ukraine."

Dans cette perspective l'arrivée des F-16 pourraient, selon lui, améliorer le moral des troupes : "Même si ça ne va pas inverser le rapport de force, c'est quand même un symbole d'espoir. Ça permet de maintenir une motivation, une vision à moyen terme de la résistance ukrainienne."

Une formation trop longue

Malgré cette bonne nouvelle pour Kiev, les experts interrogés par France 24 se méfient de l'apport immédiat des F-16 dans les combats en Ukraine. D'abord en raison du manque de pilotes ukrainiens formés sur ces modèles. "Il faut dix ans pour former un chef d'escadron correctement. Là, il a fallu leur apprendre l'anglais, pour leur mettre en tête les procédures de l'Otan. Ensuite, il faut deux pilotes par avion, soit environ 160 pilotes. Pour leur apprendre à décoller et atterrir ça va, mais il faut aussi leur apprendre à voler sous les radars et à réaliser les manœuvres d'attaque", énumère Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI.

Plusieurs pays se sont engagés à former les pilotes ukrainiens. En mai 2023, l'armée française s'était engagée à former 26 Ukrainiens en deux ans. La promesse sera-t-elle tenue ? Une douzaine de pilotes ukrainiens s'entraînent depuis mars dans le sud de la France sur des Alphajets, qui sont équipés d’un tableau de bord imitant celui du F-16. Fin mai, les États-Unis ont également avoir certifié leur première promotion de pilotes ukrainiens, tandis qu'une dizaine d'autres ont terminé leur formation aux Pays-Bas, comme l'a annoncé le ministre de la défense néerlandais.

Un chiffre insuffisant au regard des 80 F-16 promis, mais le général de l'armée de l'air Patrick Dutartre se montre positif : "Les Ukrainiens veulent un niveau de pilote opérationnel, ce qui représente trois ans et demi de formation. Mais les pilotes envoyés pour les F-16 ont probablement déjà une expérience de trois à quatre ans de pilotage, et pourraient donc atteindre un niveau suffisant en quelques mois."

Interrogations sur l'armement et la maintenance

Reste la question de l'armement. "Vous pouvez avoir les avions les plus modernes, mais s'ils n'ont pas les armes guidées de précision, la précision de ces frappes seront celles que l'on a connues pendant la Seconde Guerre mondiale", rappelle Alexandre Vautravers. En d'autres termes, "L'avion ne vaut que par les armes qu'il porte. Il faudra voir ce qu'ils ont en stocks de missiles", pointe Léo Péria-Peigné de l'IFRI.

Les États-Unis ont annoncé ces derniers jours s'engager à fournir des munitions air-sol, air-air, ainsi que des kits de guidage de précision pour les bombes. "Nous sommes convaincus que nous serons en mesure de fournir toutes ces [armes], au moins les volumes critiques dont ils ont besoin", a déclaré un haut-responsable américain au Wall Street journal.

Une fois les avions livrés, il faudra aussi les maintenir en état de marche. Selon le Wall Street Journal, le Pentagone, qui forme "plusieurs dizaines" de techniciens de maintenance, prévoit que les tâches les plus simples seront réalisées en Ukraine, tandis que l'entretien des moteurs devra dans un premier temps être effectué à l'étranger. Une chose est sûre, les F-16 américains n'ont pas fini de nourrir les fantasmes des deux camps. Moscou a d'ailleurs réagi ce jeudi, assurant que ces nouveaux avions ne seraient pas un "remède magique" à l'avancée russe.