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Après une pause de plus d’une semaine, au Bangladesh, les manifestations étudiantes ont repris le 29 juillet, pour protester contre la réforme des quotas. Entamé il y a près d’un mois, ce mouvement est violemment réprimé par les forces de l’ordre ainsi que la Chhatra League, le soutien étudiant du parti de la Première ministre.

Coupure de courant, blocage d’internet et couvre-feu, le gouvernement bangladais avait adopté des mesures radicales pour étouffer le mouvement étudiant. Après plus de trois semaines de manifestations violemment réprimées, il a été mis en pause, pour finalement reprendre ce lundi 29 juillet. La raison de la colère : une réforme du système des quotas d’accès à la fonction publique, qui favorise largement le parti au pouvoir. La réforme prévoyait de réserver 30 % de ces postes aux descendants d’anciens combattants, réputés proches du parti au pouvoir de la Première ministre Sheikh Hasina en poste depuis 2009. La Cour suprême a réduit de 30 % à 5 % cette proportion mais le mouvement semble persister. 

Avec le retour d’internet depuis quelques jours, les Bangladais continuent de partager des fragments de leur quotidien. Il est désormais rythmé par les arrestations et les intrusions des forces de l’ordre jusqu’au sein de leur domicile. 

De nombreux étudiants partagent leur témoignage sur les réseaux sociaux, comme celui-ci sur Facebook, qui décrit, en anglais, une intrusion de la police dans son domicile : “il était 17 h 30, je travaillais sur mon ordinateur. Soudain j’ai entendu quelqu’un frapper à ma porte puis commencer à taper dedans. J’ai tout de suite compris que c’était des policiers, ils étaient déjà venus plus tôt dans la journée. Après que mon colocataire leur a ouvert, sous la menace, ils sont entrés dans ma chambre et m’ont obligé à déverrouiller mon téléphone pour qu’ils puissent le fouiller. (...) dehors, d’autres policiers ont cassé la fibre optique de mon routeur”. Il ajoute que la police a répété le processus dans tous les appartements de l’immeuble, privant tous les habitants de connexion internet. 

Bangladesh : les étudiants ciblés par la Chhatra League, la branche jeunesse ultra-violente du parti au pouvoir

Plusieurs personnes ont également contacté la rédaction des Observateurs pour témoigner depuis le Bangladesh, images à l’appui, des tortures qu’elles disent avoir subi de la part de la police, à leur domicile. “Cette dame était dans sa maison lorsqu’elle a été touchée par une balle, tirée par sa fenêtre”, raconte une étudiante de Dacca. 

Plus de 2 500 arrestations 

Depuis début juillet, la police a procédé à 2 580 arrestations, selon un décompte de l’AFP, effectué le 23 juillet dernier. 

Parmi les étudiants arrêtés, il y a six organisateurs du mouvement Students against discrimination, qui a organisé les manifestations dont Nahid Islam, qui a partagé des photos des tortures qu’il dit avoir subies après avoir son interpellation.

Bangladesh : les étudiants ciblés par la Chhatra League, la branche jeunesse ultra-violente du parti au pouvoir

C’est pour protester contre la détention des organisateurs des manifestations que des étudiants ont décidé de reprendre le mouvement. Selon le quotidien bangladais en anglais Daily Star, le 29 juillet, “des centaines d’étudiants de l’Université de Rajshahi ont bloqué l’autoroute entre Rajshahi et Dacca en signe de lutte contre les détentions menées par la police.” 

"Une balle de la Chhatra League a touché mon pied"

Mais les manifestations ne sont pas uniquement réprimées par les forces de l’ordre. Des hommes en civil, souvent casqués et armés de machette ou de bâtons se présentent en soutien de la police et de l’armée, et ont carte blanche pour frapper les étudiants. Ils font partie de la Chhatra League (BCL), la branche étudiante du parti au pouvoir, la Ligue Awami. 

Malgré les coupures de réseau, notre rédaction a brièvement pu échanger avec un des étudiants manifestants (actuellement en détention) qui a été blessé par la Chhatra League au cours d’un rassemblement : 

Quand des étudiants ont entamé une procession le 16, à Dacca, la branche étudiante du gouvernement, la Chhatra League, a fait blocus. Les hommes de la BCL ont ensuite commencé à tirer avec des armes à feu. Et quand ils se sont mis à frapper un étudiant, je suis allé vers eux pour tenter de le sauver. Mais une balle de la Chhatra League a touché mon pied.

Créée avant même l’indépendance du Bangladesh, cette organisation étudiante s’est radicalisée à l’arrivée au pouvoir de la Première ministre Sheikh Hasina, il y a 15 ans. 

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Au Bangladesh, les organisations politiques étudiantes font partie intégrante de la vie des étudiants. D’après Nordine Drici, chercheur pour ND Consultance, beaucoup de jeunes adhèrent à la Chhatra League non pas par idéologie, mais pour des questions d’opportunités professionnelles : 

La Chhatra League a, au sein des universités, un rôle politique très important, mais aussi de soutien aux étudiants. En tant qu’étudiant au Bangladesh, faire partie de la BCL donne accès à des chambres étudiantes, à certains cours ou livres. 

Les jeunes étudiants d’aujourd’hui seront probablement les cadres intermédiaires voire supérieurs de demain. Cette organisation est un peu l’antichambre du parti politique au pouvoir. Les caciques du pouvoir qui commencent à être âgés vont devoir laisser la main. Et ce seront les étudiants de la Chhatra League qui auront un avantage dans la compétition politique des années à venir.

“Ils veulent créer un spectacle de la violence"

Si ces violences sont largement documentées, notamment en images, ces attaques “resteront impunies” craint Pinaki Bhattacharya, un youtubeur et activiste politique bangladais exilé en France. 

Ils veulent créer un spectacle de la violence. Ils savent qu’ils sont filmés et ils n’ont pas de remords. Ils veulent que ce soit diffusé pour créer un message : montrer qu’ils n’ont pas peur d’utiliser la force pour imposer leurs lois. C’est aussi dans ce but là qu’ils utilisent des armes traditionnelles, comme la machette, pour que le spectacle soit le plus horrible possible.

Il raconte que le premier incident marquant montrant la violence dont pouvait faire preuve cette organisation étudiante est survenu quelque mois après l’indépendance du pays, en 1971.

Le 21 février, jour de la célébration de l’institution du bangali comme langue officielle, des membres de la Chhatra League ont violé deux étudiantes. C’était un choc pour la nation, car la Chhatra League était cette institution si établie et respectable. Et ce jour a un sens politique très fort au Bangladesh. Ça a été un tournant décisif dans la manière dont se positionnait la Chhatra League. 

Depuis le début des manifestations, la répression des rassemblements a fait plus de 174 morts d’après le dernier décompte officiel.