Cent millions de dollars en à peine 48 heures. Kamala Harris a battu tous les records de financement électoral depuis que Joe Biden s’est retiré, dimanche 21 juillet, de la course à la présidentielle américaine.
Une prouesse d’autant plus remarquable qu’elle a ainsi réussi en deux jours à dépasser les 91 millions de dollars, la somme que Joe Biden avait pu réunir en un peu plus d’un an passé à faire campagne pour sa réélection.
Bataille pour le trésor de guerre de Joe Biden
Alors certes, le rythme des donations va généralement crescendo plus la date de l’élection approche. Il n’empêche : “c’est la preuve que Joe Biden avait un vrai problème pour motiver la base électorale et qu’il y avait un potentiel de financement largement inexploité”, assure Samuel Power, spécialiste des questions de financement politique à l’université de Sussex.
Pour cet expert, l’explosion des dons constitue une preuve évidente que le retrait de Joe Biden était devenu une nécessité pour espérer battre le candidat républicain Donald Trump en novembre.
Le camp démocrate assure en outre que le pactole amassé par Kamala Harris s’ajoute aux 91 millions que la campagne de Joe Biden avait pu récolter. Ce qui porterait le trésor de guerre électoral de la vice-présidente à plus de 190 millions de dollars, soit bien plus que les 130 millions de dollars levés par le comité de campagne de Donald Trump.
Et il n’est question, dans ce calcul, que de l’argent directement disponible pour les candidats sans compter les sommes que peuvent réunir les différents comités de soutien (Pac et Super Pac) des deux camps.
La bonne fortune de Kamala Harris est restée en travers de la gorge des républicains. Dès dimanche, ils ont commencé à contester le fait que la nouvelle rivale en chef de Donald Trump puisse ainsi piocher dans les fonds de campagne que s’était constitué Joe Biden, qui soutient officiellement la candidature de sa vice-présidente.
“C’est une situation sans précédent et je pense que ce transfert d’argent va être contesté en justice car la question est vraiment difficile à trancher”, a assuré Sean Cooksey, directeur de la Commission électorale fédérale (FEC), interrogé par la radio publique NPR.
Un avis qui provient certes du plus haut responsable de l’organisme chargé de trancher ce genre de litige, mais qui n’en est pas moins un homme placé à ce poste par l’ex-président Donald Trump. Dara Lindenbaum, responsable démocrate à la FEC, avait d’ailleurs un avis diamétralement opposé, assurant qu’il n’y avait rien à redire à ce transfert d’argent.
Des républicains prêts à l'attaque
Pour les experts interrogés par France 24, tout deux ont raison, mais Dana Lindenbaum un peu plus. “Les donations faites avant le retrait de Joe Biden étaient versées sur les comptes de la campagne Biden-Harris et non pas seulement pour le président sortant. Comme Kamala Harris reste en course, elle doit légitimement pouvoir en bénéficier”, avance Emma Long, politologue et spécialiste des institutions américaines à l’université d’East Anglia.
Une analyse partagée par Samuel Power qui estime “qu’un autre candidat démocrate ne pourra pas avoir accès à cet argent et devra repartir de zéro”. Autrement dit, il était financièrement plus sûr pour le parti démocrate de soutenir Kamala Harris plutôt qu’un autre candidat, assure Samuel Power.
Pour lui, cela n’empêchera pas les républicains de contester devant les tribunaux la reprise par Kamala Harris du trésor de guerre constitué par Joe Biden comme l'a suggéré le directeur de la FEC. “Si les chances de succès d’une telle procédure sont faibles, elles ne sont pas nulles non plus et donc cela vaut le coup d’essayer”, estime Samuel Power.
Le risque politique pour les républicains est quasi-inexistant car même si un tribunal leur inflige un camouflet, “la question ne sera très probablement tranchée qu’après la présidentielle”, assure ce spécialiste. Entre temps, la procédure lancée permettra aux républicains de suggérer jusqu’au jour du scrutin “qu’il y a quelque chose de louche dans la manière dont le camp de Kamala Harris mène et finance sa campagne”, souligne Emma Long.
Il y a encore d’autres zones de flou dans les règles de financement électoral que cette situation politique sans précédent a mises en lumière. Qu’en est-il par exemple d’un fervent supporter de Joe Biden qui voudrait se faire rembourser tout ou partie de sa contribution parce qu’il est moins enthousiaste à l’idée de soutenir Kamala Harris ?
Il risque fort d’être déçu. “Légalement, Kamala Harris peut disposer des fonds comme elle le souhaite pour sa campagne. Elle peut, par exemple, décider de rembourser les donateurs qui le demandent, mais rien ne l’y oblige”, note Samuel Power.
L'influence des Super Pacs
À contrario, des individus ayant donné le maximum autorisé pour les particuliers par les règles de financement politique - c’est-à-dire 3 300 dollars - pourraient vouloir remettre au pot. Mais les compteurs ne sont pas remis à zéro après le retrait de Joe Biden. Là encore, “les donations avaient été faites à la campagne Biden-Harris, donc ils ne pourront pas verser davantage que le maximum autorisé si Kamala Harris reste dans la course”, estime Samuel Power.
Toutes ces règles concernent surtout les fonds versés directement aux comités de campagne des candidats, qui sont très encadrés. “Ce sont essentiellement les donations faites par les citoyens ordinaires, souvent de moins de 200 dollars”, explique Samuel Power.
Kamala Harris peut en plus espérer que les Super Pacs attirent dorénavant davantage de généreux et riches donateurs. Il s’agit de comités de soutien particuliers et très influents qui peuvent recevoir des dons sans plafond. Des véhicules politiques parfaits pour des milliardaires - comme Elon Musk et certains milliardaires de la Tech qui soutiennent la droite américaine - qui veulent influencer le débat politique.
Seule restriction : l’argent ne peut pas être utilisé directement par un candidat et le Super Pac n’a pas le droit de se coordonner avec les équipes de campagne. Généralement ces structures - Make America Great Again Inc. pour Donald Trump et Future Forward pour Biden-Harris - lèvent des dizaines de millions de dollars par mois et s’en servent pour financer des publicités contre le camp adverse.
Après la piètre performance de Joe Biden lors du débat, des voix influentes de riches donateurs à gauche - telle que la star hollywoodienne Georges Clooney - avaient appelé à changer de candidats.
Vont-ils apporter leur soutien pécunier à la vice-présidente ? Reid Hoffman, le richissime cofondateur du réseau social professionnel LinkedIn, tout comme Alexandre Soros (fils du milliardaire George Soros) ont indiqué qu’ils étaient prêts à soutenir activement Kamala Harris.
Le Hollywood Reporter rappelle aussi que la vice-présidente, en tant qu’ancienne sénatrice de Californie, a gardé de bons contacts à Hollywood, tout comme son mari, Doug Emhoff qui a été un avocat pour l’industrie du divertissement californien. De quoi inciter les richissimes stars du petit et grand écran à sortir leur portefeuille ?