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Le "RN ou le chaos" en France : les deux scénarios rêvés du second tour pour Moscou
Vu de Russie, les résultats du premier tour des législatives françaises représentent une bonne nouvelle. Mais pas seulement parce que le RN, réputé être le plus prorusse des partis en France, est arrivé en tête. La propagande russe s'accommoderait aussi d'un résultat au second tour sans majorité claire.

Pas ravie. Marine Le Pen a tenu à prendre ses distances, jeudi 4 juillet, avec un tweet du ministère russe des Affaires étrangères félicitant le Rassemblement national pour son bon résultat au premier tour des législatives françaises.

"Quand on fait un tweet aussi ostentatoire et provocateur, ça peut s’assimiler à une forme d’ingérence", a regretté la dirigeante du Rassemblement national, qui tente depuis le début de la guerre en Ukraine de débarrasser son mouvement de l’image tenace de parti prorusse associée au Rassemblement national.

Soutien russe encombrant

Le ministère russe des Affaires étrangères s’était permis de poster sur X, mercredi, une photo de Marine Le Pen souriante, accompagnée d’un message saluant un vote qui illustrerait, selon Moscou, le désir des Français de "s’affranchir du diktat de Washington et de Bruxelles".

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Si le tweet ne le mentionne pas, difficile cependant de ne pas comprendre que le "diktat" désigne avant tout le soutien des pays occidentaux à l’Ukraine face à la tentative d’invasion russe. Autrement dit, le ministère russe suggère qu’un vote pour le Rassemblement national équivaut au rejet du soutien à l’Ukraine.

Ce n’est clairement pas le genre de publicité dont Marine Le Pen et Jordan Bardella rêvent à quelques jours d’un second tour décisif qui pourrait leur ouvrir les portes du pouvoir en France. Prendre ses distances avec la Russie de Vladimir Poutine fait partie intégrante de la stratégie de normalisation du RN. Même si, comme le rappelle Mediapart, les rangs du RN sont encore truffés d’individus aux sympathies prorusses assumées, tandis que le programme du parti est celui qui est le plus frileux quant au soutien militaire à l’Ukraine. Le RN a, en outre, finalement remboursé en 2023 un "emprunt russe" de plus de 6 millions d'euros contracté en 2014 et qui a longtemps contribué à l'impression d'un parti d'extrême droite sous influence russe.  

Le tweet du ministre russe des Affaires étrangères est aussi très révélateur des difficultés du pouvoir russe à se positionner et à réagir aux résultats des élections françaises. Le monde a changé depuis mars 2017, lorsque Vladimir Poutine avait très officiellement invité Marine Le Pen à Moscou en pleine campagne présidentielle française. À quatre semaines du scrutin, la candidate du Front national (FN), avait été littéralement adoubée par le Kremlin en présence des seuls médias russes. La rencontre avait alors été perçue comme une manière pour le président russe d’offrir une carrure internationale à la candidate d’extrême droite.

Inimaginable en 2024. Dans le contexte actuel de tensions entre les pays occidentaux et la Russie, "les officiels russes vont faire attention à ne pas afficher trop ostensiblement leur préférence", assure Stephen Hutchings, spécialiste de la propagande et de la désinformation russes à l’université de Manchester.

Surtout lorsqu’un parti d’extrême droite est bien placé. La Russie s’est faite discrète lorsque l’Italienne Giorgia Meloni a accédé au pouvoir en 2022. Moscou n’a pas non plus fait de commentaire sur la campagne de Nigel Farage, le leader de Reform UK, pour les élections générales du 4 juillet au Royaume-Uni alors qu’il est connu pour ses déclarations prorusses passées.

Prudence diplomatique

Bien sûr, cette prudence s’explique en partie par la mauvaise réputation de Vladimir Poutine en Occident. Moscou sait que "prendre position pour un candidat ne servirait probablement pas la cause de ce dernier", précise Stephen Hutchings. Mais c’est aussi une manière pour le Kremlin de se donner le bon rôle diplomatique. La Russie "passe son temps à dénoncer l’ingérence des pays occidentaux dans le processus électoral d’autre pays. En restant en retrait, les responsables russes peuvent se faire passer pour ceux qui respectent la souveraineté des autres pays", souligne l’expert britannique qui travaille sur la manière dont Moscou cherche à profiter des élections en Europe.

Au lendemain du premier tour des législatives en France, la Russie avait d’ailleurs fait preuve de prudence. Moscou s’était d’abord contenté d’affirmer "suivre de près les résultats de l’élection". Un peu court pour le big bang électoral qui venait de se produire dans l’un des pays les plus à la pointe du soutien à l’Ukraine.

À ce titre, le tweet de mercredi reflète davantage le fait "qu’une arrivée du RN au pouvoir en France serait perçue à Moscou comme une victoire importante pour la Russie", confirme Joanna Szostek, spécialiste des médias russes à l'université de Glasgow. Et si le ministère des Affaires étrangères s’est permis de s’écarter quelque peu du droit chemin de la prudence, "c’est probablement parce que le pouvoir russe estime que quelque soit le résultat du second tour, ce sera positif pour la Russie et sa propagande", estime Stephen Hutchings.

Théories du complot

En plongeant dans le ventre de la bête médiatique russe, on se rend, en effet, compte que les réactions au premier tour des législatives y sont bien moins feutrées. "À la télévision, sur des chaînes comme Channel One, les intervenants ne se gênent pas pour souligner l’ampleur du désastre pour Emmanuel Macron, présenté comme un perdant en bout de course. Et les sujet consacrés au Rassemblement national présente Marine Le Pen et Jordan Bardella sous un jour très flatteur", résume Joanna Szostek.

Même ligne "éditoriale" dans la presse pro-Kremlin. Le quotidien Komsomolskaïa Pravda - considéré comme le journal préféré de Vladimir Poutine - a multiplié les articles provocateurs sur la situation électorale en France. "Emmanuel Macron se noie dans la Seine sale" écrit, par exemple, le Komsomolskaïa Pravda pour souligner l’ampleur de la débâcle pour le président français.

Peu après, le journal s’intéresse "à l’extrême gauche qui sème le chaos"... sans hésiter à tomber dans les théories du complot. "L’extrême gauche est contrôlée par le ministre de l’Intérieur et il est très possible qu’Emmanuel Macron les laisse organiser des manifestations massives au soir du second tour si le RN gagne", explique ainsi au Komsomolskaïa Pravda un certain Fabrice Sorlin, un Français vivant à Moscou présenté comme vice-président du Mouvement international des russophiles, et qui est surtout connu en France pour être un important "influenceur russe".

Enfin, le journal estime aussi que "tous les scénarios promettent un avenir sombre" pour la France. En effet, si le RN ne remportait pas la victoire, la France aurait du mal à trouver une majorité et sombrerait dans… le chaos.

Gagnant à tous les coups pour Moscou ?

La propagande russe résume ainsi la situation à "Bardella ou le chaos". Et "dans les deux cas, l’issue sera meilleure pour Moscou que la situation actuelle", assure Joanna Szostek. Les médias russes imaginent que le RN au pouvoir pousserait pour ralentir les livraisons d’armes à l’Ukraine.

Et si l’extrême droite n’a pas la majorité absolue, l’hypothèse d’un parlement ingouvernable "permettra au Kremlin de souligner le contraste entre ces démocraties devenues ingouvernables et une Russie stable avec un pouvoir fort", souligne Stephen Hutchings.

Ce spécialiste ne serait d’ailleurs pas étonné si une partie des responsables russes préféraient cette issue à une victoire massive du RN dimanche 7 juillet. "Le pire pour Moscou, c’est un front fort en Occident. Si la France devient difficile à gouverner, cela affaiblit l’unité en Europe", assure-t-il.

Et puis le Kremlin craint aussi que le RN se montre moins russophile que prévu, estime Stephen Hutchings. "Les Russes craignent que l’extrême droite française au pouvoir se comporte comme Giorgia Meloni en Italie, qui s’est montrée très coopérative au niveau européen".

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