"On ne va pas refaire la Nupes", affirmait Raphaël Glucksmann, lundi 10 juin, après l’annonce par le Parti socialiste (PS), Europe-Écologie-Les Verts (EELV), le Parti communiste (PCF) et La France insoumise (LFI) de leur volonté de s’unir pour les élections législatives (30 juin et 7 juillet) au sein du Nouveau Front populaire. Quatre jours plus tard et le programme de cette alliance désormais dévoilé, force est de constater que ce dernier ressemble beaucoup à celui proposé en 2022 par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes).
Arrivé en tête à gauche aux élections européennes du 9 juin avec 13,83 % des voix, la tête de liste du PS et de Place publique espérait pouvoir empêcher une alliance avec les insoumis, auxquels il s’est âprement opposé ces derniers mois, ou au moins une alliance qui serait trop marquée par une ligne LFI, comme l’était le programme de la Nupes. Il avait pour cela énuméré cinq conditions qui devaient être respectées pour qu’il puisse soutenir le Nouveau Front populaire – ce qu'il a finalement accepté de faire vendredi 14 juin : soutien à la construction européenne, aide militaire à la résistance ukrainienne, suppression de la réforme des retraites et de l’assurance-chômage, accélération de la transition écologique, refus de la brutalisation du débat public. À celles-ci s’ajoutaient enfin la qualification de "groupe terroriste" du Hamas et la question de l’antisémitisme, non listées par Raphaël Glucksmann mais souvent présentes dans ses propos.
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Raphaël Glucksmann pose cinq conditions pour une union de la gauche et propose le nom de Laurent Berger pour le poste de Premier ministre. pic.twitter.com/63kXq84jmN
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Le soutien à la construction européenne
"Je suis le garant d’un cap. Je l’ai promis aux 3,5 millions d’électrices et d’électeurs qui se sont portés sur notre liste. Ce cap ne changera pas", a insisté Raphaël Glucksmann le 10 juin au 20 h de France 2.
Malgré sa promesse, les mots "soutien à la construction européenne" ne figurent pas dans le programme commun du Nouveau Front populaire. L’alliance de gauche fait des propositions sur l’Europe marquant une volonté de la transformer, mais n’acte pas un soutien inconditionnel qui ne préciserait pas vers quelle Union européenne le Nouveau Front populaire souhaite se diriger.
Au contraire, si le texte ne reprend pas le terme de "désobéissance" présent dans le programme de la Nupes, les termes utilisés signifient toutefois peu ou prou la même chose : "Conformément à ce que nos groupes ont voté à l’Assemblée nationale, nous refuserons, pour l’application de notre contrat de législature, le pacte budgétaire, le droit de la concurrence lorsqu’il remet en cause les services publics et nous rejetterons les traités de libre-échange", peut-on ainsi lire.
C’est donc bien la ligne du programme de la Nupes qui est maintenue. Raphaël Glucksmann peut toutefois estimer que cette ligne, même si elle n’est pas la sienne, marque un soutien à la construction d’une autre Union européenne (une nouvelle Politique agricole commune, une réindustrialisation de l’Europe notamment) et acte la volonté de créer une taxation des plus riches et des superprofits au niveau européen – ce qui correspond à un pas vers le fédéralisme cher à Place publique mais rejeté par LFI.
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L’aide militaire à la résistance ukrainienne
Cette condition posée par Raphaël Glucksmann est plutôt respectée, le programme du Nouveau Front populaire proposant de "défendre l’Ukraine et la paix sur le continent européen". "Pour faire échec à la guerre d’agression de Vladimir Poutine, et qu’il réponde de ses crimes devant la justice internationale : défendre indéfectiblement la souveraineté et la liberté du peuple ukrainien ainsi que l’intégrité de ses frontières, par la livraison d’armes nécessaires, l’annulation de sa dette extérieure, la saisie des avoirs des oligarques qui contribuent à l’effort de guerre russe dans le cadre permis par le droit international, l’envoi de casques bleus pour sécuriser les centrales nucléaires, dans un contexte international de tensions et de guerre sur le continent européen et œuvrer au retour de la paix", est-il écrit.
En revanche, le programme ne mentionne pas le concept de "défense européenne" – il n'évoque pas non plus le rôle de l'Otan et le rapport de la France à l'Otan – et insiste sur la nécessité de faire la paix, qui figurait dans le programme de La France insoumise pour les élections européennes.
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Suppression de la réforme des retraites et de l’assurance-chômage
Cette condition ne posait aucun problème, tous les partis du Nouveau Front populaire ayant combattu en 2023 la réforme des retraites et en 2024 la réforme de l’assurance-chômage. Elle visait davantage à montrer pour Raphaël Glucksmann qu’il ne met pas de côté la lutte sociale, un reproche qui lui a beaucoup été fait, en particulier par les insoumis, durant la campagne des européennes.
Ces abrogations figurent d’ailleurs parmi les "20 actes de rupture pour répondre à l’urgence sociale, au défi climatique, à la réparation des services publics, à un chemin d’apaisement en France et dans le monde" que compte mettre en œuvre l’alliance de gauche lors de ses quinze premiers jours au pouvoir, "pour que la vie change dès l’été 2024".
🟣 "Nous avons signé un contrat qui comprend près de 150 mesures qui séquencent, dans les 15 jours, puis les 100 jours, notre programme de rupture"@mbompard - conférence du Nouveau Front Populaire
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Et c'est précisément dans le domaine économique et social que ce "programme de rupture" est le plus marqué par la ligne portée depuis des années par La France insoumise. Un exemple parmi tant d’autres : le programme propose d'"abolir les privilèges des milliardaires" lors du vote d’un projet de loi de finances rectificative qui se tiendra le 4 août, une référence à l’abolition des privilèges et des droits féodaux votée dans la nuit du 4 août 1789 – Jean-Luc Mélenchon et LFI se considérant comme les héritiers de la Révolution française.
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Accélération de la transition écologique
Là encore, ce point faisait l’unanimité parmi les partis de gauche, qui prévoient lors de leurs 100 premiers jours au pouvoir d'"entamer la planification écologique". Celle-ci passera notamment par un plan climat visant la neutralité carbone en 2050, l’isolation complète des logements, le renforcement de filières françaises et européennes de production d’énergies renouvelables ou encore le vote d’une loi énergie-climat.
En revanche, sur ce dernier point, la question ultrasensible du nucléaire, qui divise les quatre partis, n’est pas du tout abordée dans le document. Une question qu’il faudra pourtant bien trancher, Emmanuel Macron ayant encore promis le 12 juin la construction de huit nouveaux réacteurs en France.
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Refus de la brutalisation du débat public
La dernière condition de Raphaël Glucksmann n’est absolument pas abordée par le programme commun du Nouveau Front populaire. Et pour cause, il ne s’agit pas d’une proposition gouvernementale, mais plutôt d’une ligne de conduite en politique.
S’il n’était pas nommé, Jean-Luc Mélenchon et sa stratégie du "bruit et de la fureur" est bien évidemment la cible de cette critique. Aucune déclaration officielle n’a été faite dans le sens voulu par le patron de Place publique, mais chacun a pu constater que Jean-Luc Mélenchon a cherché ces derniers jours à apaiser ses partenaires. Il a d’abord affirmé, mercredi 12 juin au 20 h de France 2, au sujet du poste de Premier ministre : "Je ne m’élimine pas, mais je ne m’impose pas." Puis le lendemain, répondant à l’invitation de TF1 et France 2 qui souhaitaient organiser un débat entre Gabriel Attal, Jordan Bardella et lui-même, le leader insoumis a répondu sur le réseau social X : "Le Nouveau Front populaire n’a pas encore désigné son candidat Premier ministre. C’est donc aux chefs des grands partis de notre coalition d’aller à ce type de débats."
Je remercie TF1 et France 2 pour leur invitation aux débats avec Attal et Bardella. Le #NouveauFrontPopulaire n'a pas encore désigné son candidat premier ministre. C'est donc aux chefs des grands partis de notre coalition d'aller à ce type de débats.
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) June 13, 2024Une manière de se mettre en retrait qui tranche avec la campagne des législatives de 2022. La Nupes avait alors vu le jour après l’appel aux Français de Jean-Luc Mélenchon, dans l’entre-deux-tours de la présidentielle, pour l'"élire" Premier ministre et reposait clairement sur ses épaules. Il avait d’ailleurs écrit l’introduction du programme de la Nupes. Cette fois-ci, le préambule du projet du Nouveau Front populaire n’est pas signé.
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La guerre à Gaza et l’antisémitisme
Ces derniers points ne figuraient pas dans les conditions fixées par Raphaël Glucksmann mais ont souvent été mis en avant. "Je serai intraitable. Il n’y aura aucune minoration sur l’antisémitisme", a-t-il encore dit vendredi matin sur France Inter.
.@rglucks1 : "Vous m'avez demandé, en tant que juif de gauche, comment on fait pour se sentir représenté. Je suis là pour vous représenter; C'est pour ça que j'ai passé quatre jours sans dormir, pour poser des lignes extrêmement claires. Je serai intraitable." #le69Inter pic.twitter.com/KFPG6DJ5N3
— France Inter (@franceinter) June 14, 2024De fait, cette question est abordée dans le programme. "Au moment où l’extrême droite menace, nous rappelons que la parole et les actes racistes, antisémites et islamophobes se propagent dans toute la société et connaissent une explosion inquiétante, sans précédent. Aucune tolérance n’est de mise face à ces menaces et à ces comportements d’où qu’ils viennent", est-il écrit page 11 du document. La formule "explosion inquiétante" est une réponse directe aux propos écrits par Jean-Luc Mélenchon dans sa note de blog du 2 juin, dans laquelle il estimait que "l'antisémitisme reste résiduel en France".
"L’antisémitisme a une histoire tragique dans notre pays qui ne doit pas se répéter. Tous ceux qui propagent la haine des juifs doivent être combattus. Nous proposerons un plan interministériel pour analyser, prévenir et lutter contre l’antisémitisme en France, notamment à l’école et contre ses effets sur la vie des populations qui le subissent", est-il ajouté.
En revanche, il est également question dans le programme d’actes et de discours "islamophobes", un terme utilisé par La France insoumise mais qui était jusqu’ici réfuté par le Parti socialiste et par Place publique. "Nous proposerons un plan interministériel pour analyser, prévenir et lutter contre l’islamophobie en France, et contre ses effets sur ceux qui la subissent."
Concernant l’attaque du 7 octobre 2023 en Israël, le programme du Nouveau Front populaire parle des "massacres terroristes du Hamas", mais le mouvement lui-même n’est pas qualifié de "terroriste".
Quant à la guerre en cours à Gaza, l’alliance de gauche souhaite "rompre avec le soutien coupable du gouvernement français au gouvernement suprémaciste d’extrême droite de Netanyahu pour imposer un cessez-le-feu immédiat à Gaza et faire respecter l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui évoque, sans ambiguïtés, un risque de génocide". Là encore, la ligne est davantage celle de LFI, qui parle de "génocide" à Gaza depuis plusieurs mois, quand Raphaël Glucksmann s’y est toujours refusé.