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Dans l’ombre de l’allumage solennel de la flamme olympique en Grèce, le 16 avril, quelque 300 personnes étaient évacuées dès le lendemain du plus grand squat de France à Vitry-sur-Seine, au sud de Paris. L’évacuation de cette ancienne usine désaffectée coïncide très exactement avec la date symbolique des 100 jours avant le début des JO Paris 2024.
Il s’agit là de la troisième grande opération de délogement organisée en Île-de-France depuis le début de l’année 2023. Avant Vitry, environ 400 occupants ont avaient déjà été évacués du squat "Unibéton" - situé aux abords de l’actuel site du village olympique à l’Île-Saint-Denis - en avril 2023, ainsi que près de 200 personnes du squat de Thiais en juillet 2023.
Ces évacuations, entre autres opérations de police ciblant les sans-abris, ont rapidement interpellé les acteurs qui viennent en aide aux personnes en situation de précarité. Au point que plus de 80 associations se sont rassemblées dans le collectif Le Revers de la médaille en octobre 2023, pour dénoncer un "nettoyage social" en cours dans les rues franciliennes à l’approche des JO.
"Il y a plusieurs faisceaux d'indices qui nous permettent d'utiliser ce terme de ‘nettoyage social’", explique Paul Alauzy, porte-parole du collectif et coordinateur à Médecins du Monde. "Les opérations d'évacuation ne sont pas nouvelles, elles n’ont pas été créées en vue des Jeux olympiques. Mais ce qui a changé à leur approche, c’est la fréquence d’évacuation des lieux occupés et l’envoi systématique des personnes évacuées dans une autre région française."
Pour dessiner un tableau d’ensemble de cette action des pouvoirs publics, les différentes composantes du Revers de la médaille ont rassemblé leurs retours de terrain (sur la période avril 2023 - mai 2024), dans un rapport publié le 5 juin. "Plusieurs indicateurs laissent penser que les JOP (Jeux olympiques et paralympiques) agissent comme un accélérateur des dispersions et éloignements" des personnes précaires, expliquent-ils notamment.
Depuis plus d’un an, plusieurs publics sont la cible des autorités : les sans-abris, les migrants, les Roms, les travailleuses du sexe ou encore les usagers de drogues. "Pour faire une belle ville de carte postale, on éloigne et on invisibilise", déplore Antoine de Clerck, coordinateur du Revers de la médaille. "Ce que nous observons sur le terrain fait écho à ce qu’il s’est passé lors de précédents JO à l’étranger : on ne veut pas que les populations les plus exclues soient visibles des caméras et des touristes."
Nette accélération des évacuations durant la période pré-olympique
Les pouvoirs publics, quant à eux, réfutent depuis plusieurs mois toute corrélation entre la politique d’évacuation mise en place et la tenue des prochaines olympiades dans la capitale française. "Cela n’a rien à voir avec les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), il n’y a pas de nettoyage social", a notamment déclaré en mars dernier Amélie Oudéa-Castéra. Et la ministre des Sports et des JOP d’expliquer au sujet de l’évacuation des sans-abris hors de l’Île-de-France : "Cette politique d’hébergement d’urgence vise à répartir l’effort sur le territoire. [...] Des opérations de ce type sont menées régulièrement, ce n’est pas dicté par l’agenda olympique et paralympique."
Le maire d’Orléans accuse l’Etat de vouloir cacher les SDF et les migrants pendant les JO.
🗣️ “Il n’y a pas de nettoyage social.” répond @AOC1978. La ministre des Sports et des JO affirme que la politique d’hébergement d’urgence “n’a rien à voir avec les Jeux.” pic.twitter.com/wZmwLw6drg
Cette méthode soulève, cependant, des inquiétudes. Dès le début de l’année, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a annoncé lancer une enquête indépendante à propos de "l’éviction de l’espace public de personnes jugées ‘indésirables’ en amont des (JO)" ainsi que de "l’orientation des personnes sans-abri vivant à Paris vers des sas d’accueil temporaires régionaux". Son rapport n’était pas encore rendu public au moment de l’écriture de cet article.
Le rapporteur spécial de l'ONU sur le logement convenable, Balakrishnan Rajagopal, a quant à lui interpellé la France sur le sort "des groupes marginalisés" en avril dernier. "Les expulsions pour embellir Paris avant [les JO] sont similaires à ce que la Chine, l’Inde ou bien d’autres ont fait avant d’autres méga-événements. Comment la France justifie-t-elle cela ?", a-t-il interrogé sur X.
Par ailleurs, plusieurs données chiffrées - issues de retours de terrain d’associations - semblent aller à l’encontre des propos de la ministre des Sports, montrant une nette accélération des évacuations durant la période pré-olympique par rapport aux années précédentes.
Les arrêtés d’évacuation municipaux et préfectoraux conduisant à des expulsions ont plus que triplé en trois ans en Île-de-France. On en dénombrait 15 sur la période 1er mai 2021 - 30 avril 2022, et près de 50 entre le 1er mai 2023 et le 30 avril dernier, selon des données de l’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels. Le Revers de la médaille relève la "forte propension des autorités franciliennes" à recourir à ce mécanisme - qui représente près de 40 % du total des expulsions dans la région sur l’année pré-olympique.
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Les chiffres des "mises à l’abri", des expulsions avec une proposition d’hébergement souvent temporaire, connaissent également une nette accélération en région parisienne. Le Collectif accès au droit (CAD) - qui effectue ce travail de collecte depuis 2015, et dont France 24 a pu consulter les données détaillées - en a recensé 14 en 2021-2022, 17 en 2022-2023 et 27 entre avril 2023 et avril dernier.
"Cette accélération de la cadence des mises à l’abri et des évacuations de squats concorde avec l'arrivée des JO", relève Théo Férignac, membre du CAD. "Et même si ce n’est pas un message assumé officiellement par les pouvoirs publics, on voit bien par ces chiffres la volonté de voir le moins de campements possible à Paris cet été."
Contactée à ce sujet par France 24, la mairie de Paris rappelle que "l’hébergement d’urgence est une compétence de l’État : ce sont eux qui planifient et organisent les opérations d’évacuation qui ont lieu sur le territoire parisien." Et de préciser que "la doctrine de la Ville de Paris repose sur un principe simple : pas d’éviction sans solution de prise en charge et conduite des opérations dans le respect des personnes et de leurs biens."
La préfecture de police de Paris répond, quant à elle, qu'en tant que "chargée de la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens", elle "procède à des mesures d'évacuation adaptées, nécessaires et proportionnées pour maintenir l'ordre, la salubrité et la sécurité publics sur le territoire de l'agglomération".
En sas d’accueil temporaire, "je me sentais prisonnier"
La cadence des mises à l’abri s’est aussi accélérée en raison de la mise en place d’un dispositif par les pouvoirs publics, le 13 mars 2023. Le ministère de l’Intérieur et le ministère du Logement ont alors conjointement adressé une circulaire "avec effet immédiat" à l’attention des préfets de région et de département.
Ce document détaille les "lignes directrices pour la prise en charge administrative et l'orientation des personnes mises à l'abri au sein de sas d'accueil temporaire". Depuis, toutes les régions françaises - sauf les Hauts-de-France et la Corse - ont vocation à recevoir des personnes évacuées d’Île-de-France pour une durée limitée de trois semaines.
Ces sas, d’une capacité de 50 personnes maximum, sont situés à Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Besançon, Rouen ainsi que dans les alentours de Rennes, Strasbourg, Orléans et Angers. Leur objectif est officiellement d’"assurer un examen systématique des situations administratives et la fluidité des parcours d'hébergement, en lien, le cas échéant, avec l'examen d'une demande d'asile ou d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour".
"Depuis que ce dispositif existe, il n’y a plus de places qui sont proposées en Île-de-France lors des opérations de mise à l'abri", précise Paul Alauzy. À chaque évacuation des autorités, les personnes expulsées se voient proposer de monter dans un bus en direction d’une ville - pas forcément les mêmes destinations en fonction du jour - et sans savoir précisément de quoi demain sera fait.
C’est ce qu’a vécu Omar*, réfugié soudanais arrivé en France en 2017 et que France 24 a rencontré fin mai dans la banlieue sud de Paris. Il est titulaire d’une carte de séjour de dix ans depuis 2018 et enchaîne des contrats courts sur des chantiers. Malgré sa situation en règle, le jeune homme de 27 ans vit depuis des années dans une situation précaire. D’abord hébergé par des amis, il est ensuite passé par un squat du côté de Saint-Denis, avant de venir dans celui de Vitry-sur-Seine il y a quatre ans.
Le 17 avril au matin, il a été évacué comme les autres occupants - dont des Tchadiens, Érythréens, Éthiopiens et Ivoiriens - lors de l’opération de mise à l’abri. "J’étais au travail quand j’ai reçu l’appel de quelqu’un d’une association. J’ai dû revenir en disant à mon patron que demain j’aurais peut-être un abri. Une fois sur place, il y avait beaucoup de monde et aussi la police", se rappelle Omar.
Malgré sa situation contractuelle sur Paris - un CDD de trois mois alors en cours -, il monte finalement dans un bus qui le conduit vers le sas d’Orléans. Sur place, il reste pendant trois semaines dans un hôtel défraîchi et excentré, situé dans une zone commerciale de la banlieue orléanaise. "J’étais presque tout le temps dans ma chambre", reprend Omar. "Je sortais parfois vers le centre-ville pour me sentir un peu vivant, mais je me sentais prisonnier dans cet endroit."
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Au bout de trois semaines, on lui signifie qu’il doit quitter le sas d’accueil temporaire, sans que ne lui soit proposée une solution d’hébergement. "Je n’ai pas eu le choix, j’ai dû partir le dernier jour. Au final j’ai perdu ma place dans le squat, j’ai perdu mon travail sur le chantier et je n’ai plus de solution de logement maintenant", explique Omar, qui est logé chez des amis en attendant de trouver un nouveau point de chute. Il garde une certaine amertume de ce périple d’un mois. "C’était une souffrance, je ne pensais jamais vivre ça en France. Je suis vraiment fatigué d’être sans-abri, c’est toujours la même boucle."
L’efficacité du dispositif des sas remise en cause de l’intérieur
Sur les quelque 6 000 personnes prises en charge lors des mises à l’abri effectuées par la préfecture d’Île-de-France en 2023, 3 958 ont été orientées vers les sas d’accueil temporaire régionaux, selon le collectif Revers de la médaille.
Pour les pouvoirs publics, la mise en place de ces sas vise notamment à désengorger l’hébergement d’urgence francilien, qui est en état de saturation.La mairie de Paris a précisé auprès de France 24 qu’"il y a de plus en plus de personnes à la rue". Et elle détaille : "En 2024, 3 492 personnes sans solution d’hébergement ont été recensées à Paris, ce qui représente une hausse particulièrement inquiétante de l’ordre de 16 %, comparée à la précédente édition de la Nuit de la Solidarité." Une estimation qui serait "a minima", toujours selon la même source qui précise qu'il faut aussi "ajouter les près de 500 personnes qui étaient alors prises en charge dans divers lieux municipaux (gymnases, ancien lycée, ancien magasin Go Sport)."
À cette situation s’ajoute aussi le fait qu’une partie du parc hôtelier, qui accueille habituellement des personnes à la rue, a réorienté son offre vers une clientèle plus touristique avec la Coupe du monde de rugby, et bientôt les JO.
Mais la situation de l’hébergement d’urgence ne semble pas meilleure ailleurs en France. Au point que le maire d’Orléans ou encore la mairie de Strasbourg sont montés au créneau ces derniers mois pour pointer du doigt ce transfert de personnes sans-abri. "C'est surtout un déplacement du problème plutôt que de le résoudre. Le problème du sans-abrisme ne va pas se régler juste par des 'sas régionaux'", a notamment déclaré Floriane Varieras, adjointe à la mairie de Strasbourg en charge de la ville inclusive.
Par ailleurs, l’efficacité du dispositif des centres d’accueil temporaire régionaux semble sujette à caution. France 24 a pu consulter un bilan provisoire effectué en février dernier pour l’un de ces dix sas. Sur les plus de 800 personnes alors passées par cette structure en 2023-2024, 36 % ont été orientées vers le 115 à leur sortie et 15 % ont fait le choix d’un départ volontaire, souvent pour un retour à Paris. "Donc plus de la moitié des personnes se retrouvent à la rue par manque de structures d’hébergement", déplore le gestionnaire du centre, qui dénonce aussi "les faux espoirs" donnés aux personnes sans-abri.
Les objectifs poursuivis avec la création de ces sas ont-ils été atteints ? Interrogé par France 24, le ministère de l’Intérieur a renvoyé France 24 vers le ministère du Logement, qui n'a finalement pas répondu à nos sollicitations.
La pérennisation des sas censés désengorger l’hébergement d’urgence francilien est aussi en question. Selon un document qu’a pu consulter France 24 et selon plusieurs acteurs associatifs interrogés, la préfecture de police de Paris a assuré au moins lors d’une réunion que ce dispositif sera financé "jusqu’à la fin de l’année 2024". Soit quelques mois seulement après la période olympique. Et après ? Les pouvoirs publics sollicités par France 24 n'ont réagi ni sur la date de fin des sas d'hébergement ni sur leur éventuelle reconduite au-delà de la fin de l'année.
La note d’un service de l’État qui confirme la stratégie des autorités cet été
L’évacuation des sans-abri franciliens vers d’autres régions françaises permet aussi aux pouvoirs publics de réoccuper l’espace ensuite, notamment dans des zones catégorisées "noires" ou "rouges" par les autorités pour les Jeux olympiques.
C’est le cas du pont Charles-de-Gaulle, entre la Gare d’Austerlitz et la gare de Lyon - la zone sera dans le périmètre de protection autour de la Seine pour la cérémonie d’ouverture. Le campement de rue installé sous ce pont a été évacué en février dernier, puis du mobilier urbain - des pierres et des grilles - a ensuite été déployé au même endroit. "Il y a une vraie stratégie d'occupation de l'espace public pour éviter toute réinstallation à l'approche des Jeux", affirme Paul Alauzy. "Le mobilier anti-SDF est disposé pile en dessous du pont pour empêcher que les gens puissent installer une tente à l'abri des intempéries."
Interrogée à ce sujet, la mairie de Paris répond que "l’espace public parisien n’est pas de la gestion unique de la Ville de Paris. Différents acteurs sont gestionnaires de portions de l’espace public, et certains de ces acteurs mettent en place ce type de mobilier malgré notre désaccord."
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Parmi ces acteurs, le quai à proximité de la gare d'Austerlitz appartient à Haropa Port, un établissement public d’État. Ce dernier a admis début mars auprès du Huffington Post avoir déployé ce mobilier urbain "pour limiter la réinstallation de tentes" afin de "préserver la salubrité des quais" et "d’éviter des installations de camps provisoires en zones inondables". Haropa Port n’a donc fait aucun lien officiel avec les prochaines olympiades.
Mais en interne, d’autres services de l’État établissent noir sur blanc un lien entre l’organisation des JO et la gestion des personnes à la rue. C’est le cas d’une note de la Direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl) de Seine-Saint-Denis, dont France 24 a pu consulter des extraits - la note a été adressée par mail aux équipes de l’union départementale, en mars dernier.
Dans ce document, la Drihl 93 définit un "cadre de mobilisation pendant les JOP 2024". Se disant "mobilisée" pour la préparation des Jeux "depuis 2023", elle indique que "cette préparation concerne notamment l’activité ‘hébergement d’urgence et veille sociale’".
Entre autres, il est question de l’"identification de 'sites tampons' [...] susceptibles d'être mobilisés rapidement pendant les JOP 2024, pour mettre à l'abri des personnes en nombre significatif." Le recours à des gymnases est notamment évoqué. L’"identification des personnes à la rue dans les secteurs à proximité des sites olympiques" est aussi mise en avant, afin d’assurer l’"organisation de leur prise en charge dans des structures adaptées à leur situation en amont des JOP."
Pour répondre à ces besoins, la Drihl 93 détaille la mise en place d’"un dispositif d'astreinte spécifique JOP 2024" de six agents sur la période du 4 juillet au 9 septembre - en plus du dispositif d'astreinte habituel. Contacté pour réagir au sujet de cette note, le service déconcentré du ministère du Logement n'a pas donné suite à nos sollicitations.
* Le prénom a été modifié