C'est l'une des surprises de ces élections européennes. En Hongrie, le parti du Premier ministre Viktor Orban, le Fidesz, est, comme attendu, arrivé premier du scrutin dimanche 9 juin. Mais avec 44,8 % des voix, il a aussi enregistré un net recul et son pire score dans une élection depuis 2010. Il semble ainsi avoir fait les frais de la fulgurante ascension d'un ex-membre du parti entré en rébellion : Péter Magyar. Alors qu'il était encore inconnu du grand public il y a quatre mois, son mouvement, le Tisza, a remporté quelque 29,6 % des suffrages.
Un "Waterloo" pour Viktor Orban, "le début de la fin", s'est immédiatement félicité ce haut fonctionnaire de 43 ans, qui apparaît toujours en jean, chemise et baskets blanches, notant dans le même temps une participation record approchant les 60 %. Au total, près de 8 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes en Hongrie pour élire 21 eurodéputés. Le Fidesz de Viktor Orban en enverra ainsi dix parmi l'extrême droite non affiliée et le Tisza huit, avec les conservateurs du PPE.
Ancien disciple du Fidesz
Pourtant, il y a encore quelques mois, rien n'aurait laissé présager ce dénouement dans un pays verrouillé depuis quatorze ans par Viktor Orban et où l'opposition peine à se faire entendre.
D'autant qu'à l'origine, Péter Magyar, 43 ans, est un produit de l'élite conservatrice du pays, disciple du Fidesz et familier des hautes sphères du pouvoir. Il est issu d'une famille d'éminents juristes, tous membres du parti conservateur : son grand-père, juge à la Cour suprême, animait une émission télévisée très populaire dans les années 1980 où il donnait des conseils pratiques sur des litiges privés.
Suivant ses traces, Péter Magyar est d'abord avocat. En 2006, lorsque des émeutes éclatent sous le gouvernement socialiste et que la police réprime brutalement les manifestants, les deux hommes défendent ensemble les victimes devant la justice.
Il passe ensuite dix ans à Bruxelles comme diplomate. Il ne revient en Hongrie qu'en 2018 où il devient cadre du Fidesz.
C'est en février que la carrière de ce technocrate a basculé, au moment où un scandale est venu éclabousser le parti de Viktor Orban. Un média indépendant révèle qu'en 2023 une grâce présidentielle a été accordée en catimini au directeur adjoint d'un foyer pour enfants condamné pour avoir étouffé une affaire de pédocriminalité. L'affaire émeut l'opinion publique et va jusqu'à provoquer la démission de la présidente de la République Katalin Novak et le retrait de la vie politique de l'ex-ministre de la Justice, Judit Varga.
Dans la foulée de ces démissions, Péter Magyar - par ailleurs compagnon de Judit Varga jusqu'en 2023 - décide de quitter le parti. "Je ne veux pas faire partie une minute de plus d'un système où les vrais coupables se cachent derrière les jupes des femmes", annonce-t-il dans une interview à la chaîne YouTube Partizan, visionnée par 2,5 millions d'internautes. Dans les jours qui suivent, il multiplie les interviews et révéle les coulisses d'un parti qu'il présente comme "corrompu" et "autoritaire".
Et c'est là son principal avantage, note Stefano Bottoni, historien spécialiste de la Hongrie à l'université de Florence : "Puisqu'il est issu du système Orban, il en connaît parfaitement les mécanismes, les forces et les faiblesses. Il sait où frapper."
Un candidat "anti-système" et une campagne éclair
Péter Magyar se lance ainsi officiellement en politique fin février. Le 15 mars et le 6 avril, des dizaines de milliers de personnes viennent l'écouter à Budapest. Le 17 avril, il annonce son objectif : le scrutin européen du 9 juin. Il dévoile la liste de son parti pour Bruxelles et entame une tournée nationale. Commence alors une campagne éclair où le nouveau candidat sillonne les routes du pays et multiplie les manifestations et rencontres avec les électeurs.
Avec son slogan "Ni de gauche, ni de droite, simplement hongrois !", il exclut d'emblée toute alliance avec d'autres partis politiques, comme le Parti socialiste et la Coalition démocratique de l'ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsany, qui ont gouverné de 2002 à 2010. "Il joue la carte du candidat 'outsider', antisystème, au centre, qui rejette les clivages droite-gauche et qui va remettre de l'ordre dans la vie politique", analyse Stefano Bottoni, dressant un parallèle avec un Emmanuel Macron en France, en 2017.
Sur le plateau d'une camionnette, sur une scène ou au milieu d'une place de village, Péter Magyar promet ainsi à chaque allocution de "reprendre pas à pas" et "brique après brique", le pays alliant des discours de conservatisme social et de protection sociale, en mettant par exemple l'accent sur la lutte contre la pauvreté.
"Et cela fonctionne : il parvient à rallier une partie de l'électorat de gauche, les nombreux désabusés du paysage politique hongrois qui voient en lui une véritable alternative à Orban, et – fait inédit – des déçus du Fidesz", poursuit Stefano Bottoni. "En jouant avec les contrastes entre lui – jeune et sportif – et un Orban vieillissant, il devient le catalyseur de l'envie de changement de toute une partie de la population."
Pourtant, "Péter Magyar reste bien un produit du Fidesz", nuance le spécialiste. "Il ne propose pas de renverser le système. Il n'est pas de gauche. Il a simplement pris une posture plus modérée – celle d'un nouveau centre", résume-t-il.
"Candidat de la paix"
Au-delà de son charisme et de ses "connaissances de l'ennemi", Péter Magyar peut compter sur une autre corde à son arc pour les européennes : "En tant qu'ancien diplomate, il connaît bien les couloirs de Bruxelles", rappelle le spécialiste. "Et dans un contexte de crise économique et d'inflation, il a su jouer sur la promesse de ramener l'argent de l'Europe en Hongrie, réconciliant certains citoyens avec Bruxelles.
Mais c'est aussi sur cette posture "pro-européenne" que le camp gouvernemental concentre ses attaques. Toujours très critique de Bruxelles, Viktor Orban, resté proche de Moscou, a fait campagne en multipliant les charges contre l'UE et l'Otan. Alors qu'il bloque toujours l'aide militaire européenne à Kiev, il les accuse d'entraîner les pays membres dans une "conflagration mondiale".
"Ces dernières semaines, il a ainsi systématiquement présenté Péter Magyar comme un 'serviteur de Bruxelles', qui allait apporter des migrants et la guerre à la Hongrie", note Stefano Bottoni.
Pourtant, comme en politique intérieure, "la posture de Péter Magyar sur l'Europe ne diffère pas fondamentalement de celle du Fidezs. Il n'est pas non plus un grand défenseur de l'idée d'une nation-Europe", affirme le spécialiste. "Et ils convergent aussi sur la question ukrainienne : il a lui aussi répété à plusieurs reprises son refus de livrer des armes à Kiev."
"Plus de retour en arrière"
Les contre-attaques du camp Orban auront, quoi qu'il en soit, été vaines. "Après ce résultat aux élections européennes, Péter Magyar est officiellement devenu le visage de l'opposition à Viktor Orban et il ne pourra plus revenir en arrière", termine Stefano Bottoni. Désormais en ligne de mire : les élections générales de 2026. "C'est un long marathon qui s'ouvre. Et ce qui est sûr, c'est que Viktor Orban n'est pas du genre à se laisser battre facilement."