
Artiste populaire ou roi des produits dérivés ? Ben, connu pour ses slogans rédigés en lettres manuscrites blanches sur fond noir, est mort à l'âge de 88 ans à Nice, a-t-on appris mercredi 5 juin auprès de Robert Roux, ami proche et adjoint au maire de Nice délégué à la culture, confirmant une information de BFM TV.
L'artiste, Benjamin Vautier de son vrai nom, "a été découvert sans vie à son domicile", a précisé le parquet de Nice, selon qui "les premiers éléments font état d'une plaie par arme à feu". Une enquête "en recherche des causes de la mort est ouverte", poursuit le parquet. Un magistrat du parquet se rend sur les lieux.
Un magasin-musée au Centre Pompidou
Né à Naples en 1935, l'artiste franco-suisse, fondateur de l'École de Nice avec Arman, Yves Klein et Martial Raysse, vivait depuis l'âge de 14 ans à Nice, où il est mort.
Au début des années 1960, sa mère lui achète une librairie qu'il transforme en boutique de disques d'occasion. Elle devait devenir un rendez-vous d'artistes, fréquenté par César, Arman et d'autres. Ce magasin-musée sera transféré au Centre Pompidou en 1972.
Ben se revendiquera de Fluxus, mouvement avant-gardiste né en 1962 et inspiré du "ready-made" de Marcel Duchamp, qui s'est employé à désacraliser l'art.
Cet arrière petit-fils du peintre suisse Marc Louis Benjamin Vautier est connu du grand public par ses "écritures", des maximes écrites avec une graphie enfantine et déclinées sur divers supports.
"À quoi sert l'art ?"
Ben défend la présence de l'art dans la vie quotidienne, sur les objets les plus banals, avec à chaque fois une pincée d'humour. Insolent, chaleureux et amical, il multiplie les performances : "gestes", installations, signatures, pour choquer, interpeller, contredire, faire réfléchir aussi. Et appose sa signature sur les tableaux des autres et jusque sur la peau de sa fille, Eva.
Ses formules sont tracées d'une écriture arrondie, souvent à la peinture blanche sur fond noir, et semblent au premier abord sorties de la tête d'un écolier potache. Mais elles bousculent les certitudes installées de l'art contemporain : "À quoi sert l'art ?", "Le nouveau est-il toujours nouveau ?", "Que faites-vous ici ?" ou "Mon plus grand soucis, c'est moi" (avec une faute d'orthographe)...
L'électron libre fera "art de tout", collectant par exemple des cageots de légumes pour peindre dessus des phrases entendues sur les marchés.
"Mon art sera un art d'appropriation. Je cherche à signer tout ce qui ne l'a pas été. Je crois que l'art est dans l'intention et qu'il suffit de signer", s'amuse-t-il, détrônant l'œuvre de son piédestal.
Selon lui, les artistes étaient préoccupés par leur ego, et c'est une manière normale de s'exprimer, d'imprimer sa marque, d'exister au monde. "Mon territoire est actuel pour toutes les écoles d'art : c'est l'étude de l'ego. Est-ce qu'on peut faire autre chose que de l'ego (dans l'art) ?"
Sa création avait débuté dans les années 1950 "où se posait la question 'Qu'est-ce qu'une œuvre d'art ?' Et il déclare œuvre d'art des choses qui n'en étaient pas", expliquait Andres Pardey, directeur délégué du musée Tinguely de Bâle, en Suisse.
"Si j'étais critique d'art, j'esquinterais Ben"
Cet art de l'affichage dans la rue, de l'ironie provocatrice, a fait des émules.
Pour Andres Pardey, "Ben est son propre iconoclaste. Il détruit son œuvre par son œuvre", manifestant ainsi que l'art peut être éphémère. "Si j'étais critique d'art, j'esquinterais Ben", disait l'artiste.
En sortant du "cadre protégé des musées", en refusant de voir l'art comme le fruit d'une formation et d'un talent, Ben a irrité nombre d'artistes qui le considéraient comme un opportuniste, usurpant le titre d'artiste.
Celui qui s'assoit sur une chaise en pleine rue, un écriteau au cou avec la mention "Regardez-moi, cela suffit" ou appose sur la promenade des Anglais sa signature sur la peau de passants (avec leur consentement), voit ses "gestes" comme autant d'œuvres d'art.
Il se vantait de "créer un film qui va s'appeler 'Il ne se passe rien'." "C'est du non-art, de l'anti-art."
Ben se défendait de ne pas avoir de message. "Je ne suis pas une machine à fric, mais une machine à communiquer", disait-il, assurant être toujours dans une "recherche philosophique" sur les "limites de l'art".
Avec AFP