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Frappe sur Rafah : le camp de réfugiés bombardé était-il situé dans une "zone humanitaire" ?
Des ONG ont déclaré que la frappe israélienne sur Rafah, le 26 mai, avait touché une "zone humanitaire" censée être préservée des attaques. S'il semble que l'attaque, qui a tué au moins 45 personnes, ne s'est pas déroulée dans la "zone humanitaire" définie par Israël, ce camp de réfugiés n'était pas pour autant concerné par les ordres d'évacuation de l'armée israélienne, comme le montrent les communications de l'armée israélienne des dernières semaines.

"Aucun endroit n'est sûr" : depuis le bombardement par l'armée israélienne d'un camp de réfugiés dans l'ouest de Rafah le 26 mai, de nombreuses organisations et observateurs ont dénoncé d'une même voix cette attaque, qui a fait 45 morts selon le ministère de la Santé du Hamas. 

L'agence de l'ONU en charge des réfugiés palestiniens (UNRWA) s'est notamment inquiétée sur X des "rapports faisant état d'un grand nombre de victimes, dont des enfants et des femmes".

Le camp de réfugiés, une "zone humanitaire sûre" selon plusieurs organisations

De son côté, l'armée israélienne a affirmé dans un message le 26 mai sur Telegram avoir "frappé un complexe du Hamas [...] dans lequel opéraient d'importants terroristes du Hamas". Une frappe "effectuée contre des cibles légitimes au regard du droit international", aux yeux de l'armée israélienne.

Pourtant, de nombreux médias ont rapporté que la zone bombardée, à quelques pas d'un entrepôt de l'UNRWA, était considérée comme une "zone sûre" sur le plan humanitaire.

Plusieurs acteurs sur place ont en effet dénoncé une attaque dans une "zone humanitaire sûre", comme l'organisation Médecins du Monde. "Israël se moque du droit international. Combien de temps encore les Etats laisseront-ils faire ?", a dénoncé l'organisation sur X.

Israël bombarde des déplacés.

Israël cible une zone désignée par elle-même comme « humanitarian safe place ».

Israël se moque du droit international.

Combien de temps encore les États laisseront-ils faire ?#Rafah #CeaseFireNow pic.twitter.com/T4u2Ue3MFT

— Médecins du Monde (@MdM_France) May 27, 2024

Le Croissant rouge palestinien (PCRS) a aussi déclaré sur X que la zone touchée par le bombardement était une "zone humanitaire".

De son côté, le ministère des affaires étrangères palestinien a dénoncé ce bombardement comme comme une "nouvelle preuve qu'Israël a déclaré la guerre contre les civils palestiniens" et a remis en cause "l'existence de zones de sécurité dans la bande de Gaza".

Confusion dans la communication israélienne autour de la localisation des zones humanitaires

Depuis le début de l'offensive israélienne à Gaza, l'armée israélienne a compartimenté le territoire gazaoui en zones numérotées, dans le but notamment d'alerter la population sur les zones à évacuer.

Parmi ces blocs, l'armée israélienne a aussi établi une zone dite "humanitaire" allant d'Al-Mawasi à Deir Al-Balah, censée accueillir les civils forcés d'évacuer les différentes zones du territoire.

Le camp de réfugiés bombardé était-t-il considéré comme faisant partie de la zone humanitaire mise en place par Israël ? Interrogé par la rédaction des Observateurs de France 24 le 27 mai, l'armée israélienne a affirmé que la frappe n'avait "pas eu lieu dans la zone humanitaire d'Al-Mawasi, vers laquelle l'armée a encouragé les civils à évacuer", carte à l'appui. 

Frappe sur Rafah : le camp de réfugiés bombardé était-il situé dans une "zone humanitaire" ?

Pourtant, de nombreux internautes ont affirmé dès le 26 mai au soir que le camp était bien situé dans cette zone. Ces affirmations se basent sur la communication de l'armée israélienne, très contradictoire au cours des derniers jours, et une localisation du camp dans les premières heures ayant suivi l'attaque qui s'est révélée trop approximative.

Un responsable de la défense civile à Gaza a en effet déclaré au Washington Post que le camp bombardé se trouvait à l'intérieur du bloc 2371. Un bloc au statut changeant ces dernières semaines.

Dans une vidéo d'Avichay Adraee, le porte-parole de l'armée israélienne à destination des populations arabophones, publiée 22 mai, il était notamment indiqué que le bloc 2371 faisait désormais partie de la zone humanitaire nouvellement élargie établie par l'armée.

إلى سكان قطاع غزة، جيش الدفاع يعيد ويعلن عن توسيع منطقة الخدمات الإنسانية في #المواصي حيث تمتد هذه المنطقة من دير البلح شمالًا وفي البلوكات المعروضة على الخارطة التي تشاهدونها. في هذه المنطقة توجد الخدمات الإنسانية اللازمة من اجلكم من غداء ومياه وخدمات طبية ومؤن وغيرها.

جيش… pic.twitter.com/NcG4i3op89

— افيخاي ادرعي (@AvichayAdraee) May 22, 2024

Problème : la carte qui accompagne la vidéo n'intègre que la partie nord du bloc 2371 dans la zone humanitaire. D'où une interrogation quant au statut de la partie sud, proche des locaux de l'Unrwa et du camp de déplacés bombardé, qui ne serait dès lors pas concernée en se fiant à cette carte.

Mais un autre point sème la confusion : la frappe ne se serait en effet finalement pas déroulée dans le bloc 2371, comme le dit la défense civile gazaouie, mais dans le bloc 2372. Plusieurs spécialistes en géolocalisation, comme le chercheur du média d’investigation numérique Bellingcat, Jake Godin, ont en effet déterminé que le camp était situé à quelques dizaines de mètres à l'est du bloc 2371.

Et contrairement au bloc 2371, le bloc 2372 n'a pas été évoqué ces dernières semaines par l'armée israélienne comme faisant partie de la zone humanitaire.

"Cette zone n'était pas dans la zone d'évacuation et est donc considérée comme sûre"

Cependant, quel que soit le bloc visé par la frappe, aucune de ces zones n'était visée par des ordres d'évacuation israéliens ces dernières semaines.

Les deux dernières communications au sujet d'évacuations de la ville de Rafah ne concernaient que le sud et l'est de la ville, comme le montrent les derniers tracts diffusés le 6 et 11 mai derniers (voir ci-bas). 

Frappe sur Rafah : le camp de réfugiés bombardé était-il situé dans une "zone humanitaire" ?

Un statut qui faisait de cette zone une zone sûre aux yeux d’ONG comme Médecins du Monde. "Cette zone n'était pas dans la zone d'évacuation. Elle est donc considérée comme sûre", décrit ainsi Louise Bichet, porte-parole de l'organisation auprès de notre rédaction.

Cette dernière regrette les distinctions floues entre zones opérées par l'armée israélienne : "On est face à une armée qui fait elle-même ses définitions, avec des zones qui changent toutes les heures et dont les contours sont très mal définis."

La rédaction des Observateurs de France 24 avait déjà enquêté en décembre sur des zones décrites comme sûres et pourtant bombardées par l'armée israélienne, mettant aussi en avant les problèmes liées à la communication israélienne. "Si la population civile palestinienne doit faire la distinction entre 'safe zone' ['zone sûre'] et 'humanitarian zone' ['zone humanitaire'], nous ne sommes pas dans les clous en termes de droit humanitaire", souligne aussi Louise Bichet.

Selon Médecins du Monde, les civils habitant le camp de déplacés bombardé n'ont par ailleurs pas été prévenus en amont de la frappe, contrairement à ce qui est d'ordinaire effectué. "Sur ce type de bombardements dans des camps de déplacés, peuplés de civils, il y a d'ordinaire des ordres d'évacuation ou une alerte sur le fait qu'une attaque va avoir lieu."

Une "erreur tragique" selon Benyamin Netanyahou

Interrogé par la rédaction des Observateurs, le Croissant rouge palestinien a aussi affirmé que la zone avait "été désignée comme zone de sécurité", rappelant que "des dizaines de milliers de personnes vivent à cet endroit, sous des tentes".

La porte-parole de Médecins sans frontières Guillemette Thomas a de son côté dénoncé les pratiques de l'armée israélienne sur Franceinfo le 27 mai : "Depuis le début de cette guerre, le narratif de l'armée israélienne fait croire que, parce qu'on vise des terroristes, on peut tuer des dizaines et des centaines de civils. C'est inacceptable. Ce n'est plus audible. On ne peut pas accepter ce genre de discours."

Ce bombardement intervient deux jours après une nouvelle décision de la Cour internationale de justice (CIJ), qui a ordonné à Israël "d'arrêter immédiatement son offensive militaire à Rafah".

À l’occasion d’une intervention prononcée devant la Knesset le 27 mai, le premier ministre israélien a finalement reconnu une "erreur tragique" en parlant du bombardement. "À Rafah, nous avons évacué un million de résidents qui ne sont pas impliqués et, malgré tous les efforts déployés, une erreur tragique s’est produite hier. Nous enquêtons sur ce qui s’est passé et nous en tirerons les conclusions", a-t-il déclaré.

L'armée israélienne a aussi indiqué enquêter sur ce bombardement.