“CV” – l’inscription est discrète. Elle est taguée en noir sur un mur d’une rue adjacente à la Via Apia, l’une des artères principales de la favela Rocinha à Rio de Janeiro, au Brésil. Si pour beaucoup ces deux lettres ne signifient pas grand-chose, les habitants savent qu’elles marquent sans détour qui est aux commandes de la plus grande favela d’Amérique du Sud : le Comando Vermelho.
Plus ancienne faction du Brésil, elle est devenue aujourd’hui l’une des plus puissantes. À l'origine, le Comando Vermelho est une alliance entre militants communistes et groupes criminel incarcérés à la prison Candido Mendes, située sur l’île d’Ilha Grande, à une centaine de kilomètres au sud de Rio. Si aujourd’hui ses plages paradisiaques attirent près de 290 000 touristes en 2023, selon la Fondation brésilienne Getúlio Vargas, peu savent qu’elle abritait jusqu’en 1994 l’une des prisons les plus sécurisées du pays.
Braqueurs, voleurs, et groupes révolutionnaires croupissaient sans distinction dans un bâtiment entouré par les eaux turquoise de l’Atlantique sud. Pour les prisonniers, c’est plutôt le souvenir de l’humidité, de la promiscuité, des conditions de vie cauchemardesques ponctuées par la violence des gardes. “Cet endroit magnifique a le malheur d’être depuis longtemps associé à la souffrance humaine” témoigne William da Silva Lima, détenu dans les années 1970, dans son ouvrage Quatrocentos contra Um (Quatre cents contre un) publié en 2016.
Plus connu sous le nom de “Professeur”, William da Silva Lima a été l’un des braqueurs les plus célèbres de Rio de Janeiro et l’un des fondateurs du Comando Vermelho. Détenu jusqu’en 1979 dans la prison de Candido Mendes, William da Silva Lima côtoie des membres du MR-8 et de l’ALN, deux groupes révolutionnaires et antifascistes. Ces mouvements communistes ont organisés de nombreux attentats contre le régime militaire brésilien instauré suite au coup d’État le 2 avril 1964.
Ces groupes sont notamment connus pour l’enlèvement de l’ambassadeur américain Charles Burke Elbrick le 7 septembre 1969 et leur lutte conjointe contre la dictature militaire qui sévit jusqu’en 1985 au Brésil. Les prisonniers politiques et bandits se retrouvent à vivre les uns sur les autres dans des cellules exiguës. En les enfermant ensemble, “les généraux cherchent à les dépeindre comme de vulgaires criminels de droit commun” explique Misha Gelnny dans son livre Nem da Rocinha, ascension et chute du caïd de la favela emblématique de Rio.
Mais ensemble, les détenus vont devenir une seule et même force qui va s’opposer à l’autorité pénitentiaire. Les prisonniers politiques dispensent alors des cours d’économie à leurs codétenus et leur apprennent à commettre des enlèvements contre rançons ou des braquages de banque : la Phalange rouge est née, premier nom du Comando Vermelho.
Vingt ans plus tard, c’est avec la même haine du système carcéral brésilien que naît le Primeiro Comando da Capital (PCC) dans les couloirs sombres des prisons de São Paulo. Le 2 octobre 1992, une mutinerie sanglante éclate à Carandiru faisant 111 morts , 60 blessés dont 25 policiers. Le déclencheur ? Les conditions de vie déplorables.
Fatima Souza, journaliste spécialiste du PCC et auteure du livre PCC, a facção, confie qu’elle “a compris que cette rébellion était différente. C’était organisé, il y avait un chef et il demandait de meilleurs traitements pour les prisonniers”.
Mais ce n’est qu’un an plus tard, le 31 août 1993, à l’occasion d’un tournoi de foot, organisé à la prison de Taubaté dans l'État de São Paulo, que le PCC affirme son pouvoir. Le match se termine en affrontement entre deux gangs rivaux. L’équipe gagnante du match décapite le chef du gang rival et le vice-président de la prison. Le PCC vient officiellement de prendre le contrôle de la prison et impose son autorité. Deux jours plus tard, “à la lumière d’une lampe, les statuts du PCC sont écrits et signés à l’intérieur de la prison” , raconte Fatima Souza. En l’espace de quelques jours, ce “syndicat de prisonniers” se transforme en faction criminelle de grande envergure.
De même que pour le Comando Vermelho, de nombreux prisonniers voient avec le PCC la chance d’améliorer leurs conditions de vie, ce que l’État ne leur permet pas. Rapidement, la force du PCC se répand comme une traînée de poudre, aussi bien dans la prison qu’à l’extérieur, ses membres sont de plus en plus nombreux.
L’union fait la force
L’une des premières mesures adoptées par le Comando Vermelho est la mise en place d’une “caisse commune”, subventionnée par le butin issu des différents délits. Ce pot commun sert à faciliter la vie à l’intérieur de la prison mais aussi à financer certaines tentatives d’évasions. Comme celle, spectaculaire en hélicoptère de José Carlos do Reis Encina, l’un des fondateurs du CV, le 31 décembre 1985. Rapidement, l’idéologie communiste est abandonnée au profit d’activités criminelles lucratives.
Ce que le Comando Vermelho réussit à faire à Rio de Janeiro, le PCC l’entreprend à São Paulo. Selon Fatima Souza “près de 85 % des personnes qui entrent dans la prison sans faire partie du gang paulista le deviennent en moins d’un mois.” Les deux factions assurent la sécurité, un certain confort et la fraternité aux détenus. Pour autant, le PCC met en place une politique d’adhésion qui s’apparente à une confédération. Pour intégrer la faction, le prisonnier doit trouver un détenu qui le parraine pendant trois mois, payer entre 25 et 30 R$ (entre 4,50 et 5,50 euros aujourd’hui, NDLR) et faire un baptême de sang. Avec cette dernière condition, le détenu promet fidélité jusqu’à la fin de ses jours. En l’espace de vingt-sept ans, le PCC a baptisé près de 35 000 “frères”, auxquels il faut ajouter de nombreux “partenaires” comme des vendeurs ambulants, des concessionnaires de voitures importées, des stations-services, tout ceux permettant de blanchir l’argent du trafic.
La drogue, lucarne vers le pouvoir
Pour étendre son pouvoir à la majorité des quartiers pauvres de Rio de Janeiro, le Comando Vermelho se saisit de la nouvelle commercialisation de la cocaïne. En 1990, la faction contrôle près de 90 % des favelas cariocas. Pour se faire accepter par la population, le Comando Vermelho n’hésite pas à financer des écoles de samba, aider les habitants à trouver des emplois, distribuer des paniers alimentaires tout en tenant à distance la police en versant de généreux pots-de-vin.
La promesse d’être la voix des prisonniers permet au PCC de contrôler petit à petit le trafic de drogues à l’intérieur des prisons. Il condamne le crack mais autorise la marijuana qui participe à calmer les détenus. Rapidement, les prisonniers libérés et membres du PCC développent leurs réseaux. Ils commencent à négocier avec le Paraguay, la Bolivie, l’Uruguay, le Mexique. Fatima Souza observe que la faction a une manière particulière de fonctionner : elle ne se considère ni comme une mafia ni comme un cartel mais plutôt comme “une entreprise qui a un rayonnement international”. Effectivement, le pouvoir du PCC a dépassé les frontières de São Paulo pour s’élargir au Brésil, puis à l’Amérique latine et enfin à l’Europe et l’Afrique. Un trafic qui lui rapporterait près de 4,9 milliards de reais (8,9 milliards d'euros) selon le Gaeco (Groupe d'Action Spéciale pour la Répression du Crime Organisé au Brésil).
Le cercle vicieux du système carcéral brésilien
Cette expansion territoriale a entraîné de nombreux affrontements entre les deux plus grandes organisations criminelles brésiliennes. Les dernières années ont été régulièrement marquées par des vagues de violences dans les prisons. En 2016, l’accord de paix qui court depuis près de deux décennies, entre les deux organisations criminelles prend fin. En témoigne le titre d’un article du journal El Pais publié le 20 octobre 2016 : “Les rébellions sonnent la fin du pacte entre le PCC et le CV et augmentent la tension dans les prisons”.
Ce retournement donne lieu à des guerres de territoires, comme celle survenue en 2019 à Manaus, en Amazonie. Dans la nuit du dimanche 26 au lundi 27 mai 2019, près de 55 prisonniers ont été tués dans plusieurs prisons du nord du Brésil. Étranglements, décapitations, rixes… la violence est accentuée par des conditions de détention toujours plus déplorables, caractérisées par des cellules dépourvues de lumière et de ventilation, une pénurie alimentaire et une insalubrité préoccupante.
Si dans les années 90, le Brésil comptait 90 000 prisonniers, leur nombre a explosé pour atteindre 834 874 détenus en 2023, selon les données du gouvernement brésilien, faisant du pays la troisième population carcérale au monde. Malgré cette augmentation significative de prisonniers, la capacité d’accueil, elle, n’a pas suivi le rythme croissant des incarcérations. Favorisant des conditions de vies compliquées et le développement de l’autorités des gangs dans les prisons. Selon une enquête publiée, le 14 décembre 2023, dans le journal Folha de São Paulo, le PCC est présent dans les prisons de 23 états sur les 26 que compte le Brésil, soit deux de plus qu’en 2022. Le CV lui a gagné le contrôle de six états en l’espace d’un an, soit une main mise sur les prisons de 21 états.